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Brèves / 04.06.2016

Muhammad Ali, 1942-2016

Le plus grand boxeur de l’histoire, pour beaucoup le sportif du XXe siècle, personnalité à la fois adulée et controversée, mais assurément parmi les plus influentes de notre époque, s’est donc éteint dans la nuit du 3 juin 2016. Ali, qui souffrait de la maladie de Parkinson depuis 1984, venait d’être hospitalisé pour des troubles respiratoires, mais son état a rapidement empiré. Il était âgé de soixante-quatorze ans. Certes, d’aucuns verront peu de passerelles à jeter entre celui que se faisait appeler The Greatest et Soul Bag. Mais par ses origines, son engagement en faveur de la cause afro-américaine – même si elle sembla parfois « excessive » –, son influence que l’on qualifiera de sociale et tout simplement son destin fascinant, il nous a forcément touché à un moment et à un niveau ou un autre. Et le monde de la musique ne lui était pas complètement étranger… Né Cassius Marcellus Clay, Jr. le 17 janvier 1942 à Louisville au Kentucky, il est le fils de Cassius Marcellus Clay, Sr. (1912-1990), lui même ainsi nommé en mémoire d’un autre Cassius Marcellus Clay (1810-1903), homme politique et fervent abolitionniste. Le père du futur boxeur, descendant d’esclaves, qui a appris le piano très jeune, est également compositeur, peintre et excellent danseur, une précision d’importance comme nous le verrons plus loin. Il vivra d’ailleurs un temps de la musique. Sa mère, Odessa Lee Clay née O’Grady, a comme son patronyme de jeune fille l’indique des ascendances britanniques, notamment irlandaises.


Avec ses parents. © : manscout-mag.blogspot.fr

Clay découvre la boxe à douze ans et débute ensuite une carrrière amateur déjà prometteuse dans la catégorie des poids lourds – une catégorie qui sera toujours la sienne –, durant laquelle il gagne quatre-vingt-quinze combats sur cent disputés. Le point d’orgue de cette période se passe à Rome en 1960, où il remporte la médaille d’or aux Jeux olympiques. Quelques semaines plus tard, en octobre 1960, il devient professionnel. Il a dix-huit ans. En trois ans, jusqu’à la fin de l’année 1963, il connaît un début de carrière prometteur, s’octroyant dix-neuf victoires en autant de combats, dont quinze par KO… Entre-temps, en août 1963, il enregistre un album pour Columbia, « I Am The Greatest », publié en 1964. Il comprend une chanson, et pas n’importe laquelle car il s’agit du classique Stand by me de Ben E. King, qui sortira aussi en single (clip YouTube ci-dessous). Clay n’est pas ridicule bien que sa voix ne soit pas très bien placée. Mais la plupart des autres titres sont des poèmes et des discours déjà engagés – rappelons qu’il n’a que vingt et un ans, et si l’écrivain Gary Belkin affirme l’avoir aidé à écrire ces textes, c’est toutefois contesté –, qui révèlent déjà son sens de la provocation : I am the greatest révèle une arrogance certaine alors que Will the real Sonny Liston please fall down s’avère prémonitoire. En effet, le 25 février 1964, alors qu’il ne s’est pas encore fait un nom malgré ses succès, il affronte Sonny Liston, incontesté champion du monde des lourds que personne ne voit perdre. C’est pourtant le cas, Liston tombe, Clay s’empare du titre suprême et actionne sa légende.

Peu après, le 2 mars, Clay rencontre Malcolm X à New York et se fait appeler Cassius X lors d’une interview pour le journal Amsterdam News, ajoutant qu’il ne veut plus de son nom d’esclave et qu’il admire énormément Elijah Muhammad, à la tête de Nation of Islam. Désormais membre des Black Muslims, il se convertit dans la foulée à l’islam et prendra quatre jours plus tard le nom de Muhammad Ali. Il prononce aussi une de ses phrases les plus célèbres : « La religion est la vérité et je suis prêt à mourir pour la vérité. Je suis le plus grand. » Cette prise de position ne réjouit pourtant pas tous les leaders de la lutte pour les droits civiques, dont Martin Luther King : « En rejoignant les Black Muslims et en commençant à se faire appeler Cassius X, il devient le champion de la ségrégation raciale et c’est ce que je combats. Je pense que Cassius devrait sans doute passer plus de temps à démontrer ses talents de boxeur et à moins parler. » Une anecdote musicale survient exactement à la même époque, le 3 mars 1964 : finalisant un projet envisagé l’automne précédent, le boxeur enregistre avec Sam Cooke le titre The gang’s all here (que l’on retrouvera sur la réédition de l’album cité plus haut). Le lendemain, invité par le commentateur sportif anglais Harry Carpenter, Clay et Cooke interptrètent en duo et en avant-première la chanson ! Ci-dessous, une courte vidéo immortalisant ce moment avec un Cooke s’improvisant percussionniste…

Mais Muhammad Ali révolutionne surtout son sport. Il impose un style incroyablement aérien habituellement réservé aux catégories de poids inférieures, sublime l’art de l’esquive et semble danser sur le ring – héritage paternel ? –, des aptitudes d’autant plus impensables compte tenu de sa stature (1,91 m pour 100 kg). Sans connaître la défaite, il conserve son titre jusqu’en 1967 et n’a pas d’égal sur le ring. Mais il est moins à l’aise sur le terrain politique. Toujours en 1967, après avoir battu Zora Folley le 22 mars, il est déchu de ses titres pour avoir refusé son incorporation et condamné la politique des États-Unis au Vietnam. Considéré comme déserteur, il est condamné à cinq ans de prison et 10 000 dollars. Il paie sa caution et fait appel, évitant l’emprisonnement, mais reste éloigné des rings jusqu’en 1970. Cette période d’inactivité sportive lui permet paradoxalement d’accroître sa popularité auprès du grand public qui voit en lui un pacifiste alors que la guerre du Vietnam fait rage.



© : youtube.com

Il remet ensuite les gants et domine sans mal ses deux premiers adversaires. Mais le troisième, Joe Frazier, est d’un autre acabit. Et le 8 mars 1971, Ali cède aux aux points face à Frazier et goûte à la défaite, ce qui ne lui était donc pas arrivé depuis ses débuts professionnels en août 1960… Il reprend toutefois sa marche en avant, et malgré un deuxième revers en 1973 contre Ken Norton – qu’il bat dès le combat suivant –, s’il n’est peut-être pas tout à fait redevenu The Greatest, il n’en est plus très loin… Il retrouve l’Olympe en 1974, peut-être sa plus grande année compte tenu de l’opposition, car les deux autres meilleurs poids lourds de l’époque l’attendent. Il prend d’abord sa revanche contre Joe Frazier le 38 janvier 1974. Puis, le 30 octobre, il a rendez-vous à Kinshasa au Zaïre avec George Foreman, puncheur destructeur alors invaincu. Organisé dans un pays sous le joug du dictateur Mobutu, il est souvent considéré comme le plus grand combat de boxe de l’histoire. Devant soixante mille spectateurs, Ali épuise Foreman qui rend les armes à la huitième reprise. Mais l’événement reste aussi dans les mémoires pour son environnement musical. En effet, outre le combat proprement dit mais sur fond de Black Power, c’est un véritable festival qui est proposé durant trois jours, avec des concerts de Miriam Makeba, des Spinners, de Bill Withers, des Crusaders, de Manu Dibango, de James Brown, de B. B. King… Celui de ce dernier fait d’ailleurs partie de ses meilleures prestations scéniques enregistrées, et elle fera l’objet d’une édition en DVD signée Leon Gast, Live in Africa ‘74.

Deux films relateront également l’événement : le superbe When we were kings, également de Leon Gast (1996), justement plébiscité et récompensé, et Soul Power de Jeff Levy-Hinte (2008), plus axé sur la musique elle-même.

Ali ne subira plus de défaite avant 1978, à la fin de sa carrière. En février, à trente-six ans, il perd le titre mondial contre Leon Spinks, qu’il lui reprend toutefois sept mois après. Il achève son incomparable parcours pugilistique par deux défaites en octobre 1980 et décembre 1981, à près de quarante ans. Trois ans plus tard, il apprend qu’il est atteint de la maladie de Parkinson. Bien que de plus en plus diminué, il mènera son dernier et plus long combat pendant trente-deux ans, tout en continuant de s’engager pour des causes humanitaires. Bien au-delà du sport, Muhammad Ali aura marqué son temps et l’histoire contemporaine. Alors qu’il vient de prendre le chemin des cieux, laissons-lui les derniers mots, ceux qu’il aimait tant pour qualifier son style inimitable : « Je vole comme un papillon, je pique comme une abeille. »
Daniel Léon