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Hommages / 24.03.2020

Manu Dibango (1933-2020)

Figure majeure de la “sono mondiale” chère à Jean-François Bizot, incarnation parfaite de l’idée de “Great Black Music”, Manu Dibango dépassait largement de sa stature les étiquettes et frontières de genres et de styles.

Né au Cameroun mais installé en France à la fin des années 1940, il y découvre le jazz. Il joue du piano puis du saxophone, et monte son premier groupe avec son compatriote Francis Bebey, qui poursuivra aussi une belle carrière musicale. Au milieu des années 1950, il est un habitué des clubs bruxellois, et notamment des Anges Noirs, où il est repéré par le musicien congolais Le Grand Kallé, avec qui il enregistre Indépendance cha cha, considéré comme le premier tube panafricain. Installé au Congo, où il gère une boîte de nuit, il y publie dès 1961 ses premiers disques, dont le tube local Twist à Léo

De retour en France au milieu des années 1960, il s’impose vite avec son orchestre sur les scènes parisiennes, mais aussi en studio. Il y accompagne quelques vedettes de la chanson française dont Dick Rivers et, surtout, Nino Ferrer, dont il devient le directeur musical, mais aussi des Américains de passage comme Hal Singer ou T-Bone Walker (l’album “…Good Feelin’…”, paru sur Polydor en 1969). À partir de 1968, il anime avec son orchestre l’émission de télévision Pulsations, qui accueille de nombreux musiciens africains, antillais et afro-américains de la scène parisienne ainsi que quelques vedettes pop ou chanson. L’élégamment titré “Saxy-Party”, paru en 1969, marque le début d’une longue série d’albums qui l’imposent comme un des musiciens africains les plus connus en France, même si, loin des clichés exotiques, le jazz, la soul et le funk occupent une place majeure dans sa musique.

Soul Makossa, à l’origine publié en face B d’un improbable Hymne de la 8e coupe d’Afrique des nations puis repris en distribution par Atlantic, lui vaut un tube international et lui permet même de partager l’affiche avec les Temptations à l’Appolo ou avec le Fania All Stars. Le destin de la chanson ne s’arrête pas à son succès du moment : multi-reprise dès sa sortie, Michael Jackson se l’approprie sans vergogne pour son Wanna be starting something, l’affaire se terminant par un accord financier “à l’amiable”. Kanye West, Jay-Z, Childish Gambino, les Fugees, Public Enemy et bien d’autres sampleront ensuite Soul Makossa, qui faisait encore récemment son apparition dans le “Homecoming Live” de Beyoncé…

Si Dibango ne retrouve plus ensuite le même niveau de succès, il poursuit régulièrement sa carrière, publiant régulièrement jusqu’à ces dernières années de nouveaux albums, tournant sur les scènes du monde entier et apportant généreusement son saxophone et sa crédibilité à différents projets, de C+C Music Factory aux Little, en passant par les Nubians ou Zap Mama. Hostile aux clichés – « Quand tu as compris que tu n’étais pas chargé de mission musicale parce que tu es africain, ça te libère. J’écoute aussi bien Rachmaninov que Duke Ellington. », rappelait-il dans une interview récente publiée par le magazine Schnock –, il s’offrait régulièrement des récréations hors des sentiers battus, qu’il s’agisse d’une tournée il y a quelques années autour du vibraphone, dont il jouait occasionnellement sur disque, ou d’un projet en hommage à Sidney Bechet (l’album “Homage To New Orleans”)…

En octobre dernier, il présentait au Grand Rex un Safari Symphonique, alliance entre son fidèle Soul Makossa Gang et une formation classique. Une belle façon de mettre en musique ses mots : « Je ne cherche pas à démontrer quelque chose. Le malheur, c’est que les gens veulent généraliser. Tu dois être noir ou blanc. Tu ne peux pas simplement être. Je me considère comme hybride. J’intègre des codes différents et je ne culpabilise de rien. Ma musique, c’est l’histoire de ma vie. »

Texte : Frédéric Adrian
Photos © DR 

Frédéric AdrianManu Dibango