;
Hommages / 27.12.2022

Luther “Guitar Jr.” Johnson (1939-2022)

Il n’est pas difficile d’imaginer la confusion des amateurs de blues qui découvrent, au début des années 1970, l’arrivée dans le groupe de Muddy Waters d’un certain Luther Johnson au poste de guitariste occupé précédemment par… Luther Johnson ! Le malentendu ne dure pas longtemps, et Luther “Guitar Jr.” Johnson ne tarde pas à acquérir sa propre réputation, dans un registre d’ailleurs assez différent de celui de son prédécesseur indirect,  Luther “Georgia Boy” (ou “Snake Boy”) Johnson. 

Originaire d’Itta Bena, dans le Mississippi, où il est né le 11 avril 1939, Luther Johnson Jr. grandit entouré de musique, aussi bien gospel que blues, mais c’est le second qui le passionne réellement quand il s’installe à Chicago au milieu des années 1950. Il ne tarde pas à se faire remarquer sur la scène locale, et intègre les orchestres du batteur Ray Scott et de Tall Milton Shelton. Quand celui-ci décide de renoncer au blues au profit de la religion, il assure la direction de son groupe. 

Au début des années 1960, il croise la route de Magic Sam, qui devient sa principale influence et avec qui il joue. Même s’il n’enregistre pas à ce moment-là, il est, aux côtés de Buddy Guy, Otis Rush et Magic Sam, un de ceux qui popularisent dans les clubs de Chicago le West Side Sound qui fera forte impression, quelques années plus tard, sur quelques adolescents britanniques. Il publie un premier single personnel en 1972 pour le label Big Beat.

Sa carrière connaît une accélération fulgurante quand il attire l’attention du grand patron du Chicago blues. Il rejoint le groupe de Muddy Waters en décembre 1973*, quelques mois après le recrutement de Bob Margolin. L’arrivée peu après de Jerry Portnoy finalise la composition du second orchestre majeur de Muddy – après celui comprenant Little Walter, Otis Spann et Jimmy Rogers –, qui dure dans cette configuration jusqu’en juin 1980. 

Luther fait ses débuts discographiques avec l’orchestre sur l’album de Muddy Waters “Unk In Funk”, enregistré quelques semaines après son arrivée, mais est absent des disques suivants, sa place étant prise par Johnny Winter sur les premiers disques Blue Sky. Il doit attendre 1981 et le dernier album de la carrière de Muddy, “King Bee”, pour apparaître à nouveau à ses côtés en studio. Sur scène, par contre, la situation est différente, et Johnson occupe une place majeure dans le son du groupe, son approche “moderne” contrastant avec le côté plus racinien du jeu de Margolin, et il interprète plusieurs titres en tant que soliste et chanteur lors des concerts, bien souvent en ouverture du second set, où il a la responsabilité d’accueillir le retour sur scène la vedette de la soirée. 

S’il apparaît sur l’officiel “Muddy “Mississippi” Waters Live” de 1979, de nombreux disques à la légalité parfois douteuse documentent son jeu de l’époque et sa place au sein du son global d’un groupe dont Waters lui-même considérait qu’il était le meilleur qu’il ait eu depuis les années 1950. Avec ses collègues, Luther apparaît en 1980 dans le film des Blues Brothers, accompagnant John Lee Hooker sur un Boom boom explosif. Il participe également avec eux à l’album “Jack & Kings” des Nighthawks, qu’il recroisera régulièrement par la suite.

Sa présence au sein de l’orchestre de Muddy Waters lui a apporté une visibilité accrue, qui lui permet d’enregistrer sous son nom à partir du milieu des années 1970 pour les labels français MCM puis Black & Blue. Accompagné sur ces disques par ses collègues – sans Muddy –, il leur rend la politesse et accompagne Pinetop Perkins sur son propre disque Black & Blue. 

Quand l’orchestre démissionne en bloc pour des raisons économiques, il ne suit pas ses camarades dans l’aventure du Legendary Blues Band. Peut-être enhardi par sa participation au volume 6 de la série “Living Chicago Blues”, Luther monte son propre groupe, les Magic Rockers. C’est cependant avec les musiciens de J.B.Hutto, les New Hawks, qu’il apparaît, aux côtés de Hutto, Koko Taylor, Sugar Blue, Stevie Ray Vaughan et John Hammond au festival de Montreux en 1982. Publiée sur disque deux ans plus tard sous le titre “Blues Explosion”, sa participation à l’anthologie issue de cette soirée lui vaut d’être lauréat, avec ses camarades, d’un Grammy du meilleur disque de blues traditionnel en 1985. 

Entre-temps, il a sorti sur Rooster Blues Records son premier album avec les Magic Rockers, renforcé pour l’occasion de la section de cuivres de Roomful of Blues et des claviers de Ron Levy, sous le titre “Doin’ The Sugar Too”. Désormais basé à Boston, et plus à Chicago, il tourne régulièrement – il est de la partie pour la tournée 1982, aux côtés de J.B. Hutto et Robert Lockwood Jr. –, mais doit attendre 1990 pour publier un nouvel album à son nom, “I Want To Groove With You”, sur Bullseye Blues, suivi de « It’s Good To Me » en 1992 et “Country Sugar Papa” en 1994, puis par une réédition de “Doin’ The Sugar Too”. 

Il signe ensuite avec Telarc, où il sort trois CD jusqu’en 2001 dont “Got To Find A Way” qui lui vaut une nouvelle nomination aux Grammys. Entre-temps, il a retrouvé au milieu des années 1990 ses anciens collègues pour un Muddy Waters Tribute Band qui tourne régulièrement (parfois avec Carey Bell à la place de Jerry Portnoy et Big Daddy Kinsey) et enregistre un album anecdotique en 1996 pour Telarc. Il tourne régulièrement sous son nom également, apparaissant en particulier au Méridien en 1993 ou à Villepinte, dans le cadre du festival Banlieue Bleue, en 2000. Il répond aux questions de Soul Bag en 1996, à l’occasion d’un entretien publié dans notre numéro 142. Installé à Antrim, dans le New Hampshire, dans le courant des années 1990, il y enregistre un album live publié en 1999, “Live At The Rynborn”. 

Dans les années 2000, il se concentre sur les prestations scéniques, essentiellement autour de sa base de Boston, même s’il s’installe en Floride en 2017. Absent des studios pendant deux décennies, il crée la surprise quand apparaît en 2020 “Won’t Be Back No More”, suivi en 2021 de “Once In A Blue Moon”, gravé au Hideaway Cafe de St Petersburg, mais l’accueil critique est pour le moins mitigé. Désormais octogénaire, il se produisait encore régulièrement il y a quelques mois, partageant la scène avec Curtis Salgado pour une courte tournée début 2022 avant que des problèmes de santé lui imposent d’interrompre ses activités. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : Châteauneuf-du-Pape, 1988 © Brigitte Charvolin

*Bien que la majorité des sources parlent de 1972, la date de décembre 1973 est celle que donne Bob Margolin, bien placé pour avoir une vision claire de la chronologie. 

André HobusBrigitte CharvolinFrédéric AdrianLuther “Guitar Jr.” JohnsonMuddy Waters