Après la réédition à l’automne dernier de trois albums exceptionnels enregistrés au début des années 1970 par la poétesse et activiste afro-américaine Nikki Giovanni (chronique ici), celle qu’Oprah Winfrey considère comme une légende vivante (née en 1943 dans le Tennessee) s’associe au saxophoniste Javon Jackson, ancien des Jazz Messengers des dernières années d’Art Blakey et auteur d’une vingtaine d’albums sous son nom, pour un enregistrement hors catégorie. Objectif commun : transmettre aux jeunes générations l’histoire des spirituals. 

« Je suis là pour arroser des fleurs, parce qu’elles ont soif », dit joliment celle qui est aussi la première récipiendaire du Rosa L. Parks Women Of Courage Award. Giovanni et Jackson ne sont pas des enseignants pour rien : la première dans une Université de Virginie, le second dans le Connecticut. On pense au travail de traduction mené autrefois par Marguerite Yourcenar de ce côté-ci de l’Atlantique, on goûte surtout le soin apporté au choix des dix morceaux de ce disque joué par un quartet de jazz au top : il y a des “traditionnels” comme Sometimes I feel like a motherless child, dans une version inspirée d’Equinox de Coltrane, et Swing low, sweet chariot, en mode calypso à la Sonny Rollins.

Et il y a une ballade, Night song, retenue parce que Nikki Giovanni était une grande amie de Nina Simone et que ce morceau était selon elle l’un des préférés de la grande prêtresse de la soul. C’est ainsi que l’on n’entend la voix chantée, douce et fragile, de la grande Nikki Giovanni que sur ce titre (sur Wade in the water, Nikki ne fait “que” parler, “réciter” le texte). Sur cette version de Night song, n’est-on pas loin de Chet Baker voire de Jimmy Scott, toutes proportions gardées ? 

Giovanni et Jackson déclinent sur scène ce programme de transmission à travers une douzaine de dates prévues aux États-Unis jusqu’à la fin août 2022. En Europe, on a le disque et c’est déjà beau. 

Julien Crué

Note : ★★★
Label : Solid Jackson
Sortie : 18 février 2022