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Brèves / 24.03.2017

James Cotton, 1935-2017

Ironie cruelle, c’est une pneumonie qui a fini par emporter celui que l’on surnommait “Mr. Superharp”, l’un des plus illustres et des plus puissants bluesmen à avoir jamais soufflé entre les lames d’un harmonica : Monsieur James Cotton.

James Cotton est né dans les années trente sur une plantation de Tunica (Mississippi). Encore enfant, il fait la connaissance de jeunes qui s’essayent à la guitare, Hubert Sumlin et Pat Hare, et joue de l’harmonica avec eux. Partant s’installer avec Sumlin à West Memphis dans l’Arkansas, il écoute la station de radio KWEM qui l’abreuve de blues. Sonny Boy Williamson (Rice Miller) devient son mentor et Cotton prend la route aux côtés de Sonny Boy, Howlin’ Wolf, Junior Parker ou Joe Hill Louis. À Memphis au début des années 1950, il enregistre à l’harmonica derrière Howlin’ Wolf (Saddle my pony) puis sous son propre nom pour le label Sun de Sam Phillips (Cotton crop blues). Il ne tarde pas à quitter Memphis pour Chicago, où il vit de petits boulots avant de se faire embaucher, à 20 ans, par Muddy Waters avec qui il reste une douzaine d’années. D’abord intimidé par les grands noms de l’harmonica à qui il succède dans l’orchestre du boss du Chicago blues et dont le jeu est plus sophistiqué que le sien (Little Walter, avec qui il alterne les sessions studio pour Chess), Cotton se débarrasse vite de ses complexes et affirme sans détour un jeu personnel, ancré dans le Delta et qui prend immanquablement aux tripes, comme en témoigne l’album classique “Live At Newport” de Muddy (1960). La complicité qui se noue alors notamment entre Cotton et le pianiste Otis Spann transparaît sur de nombreux enregistrements.

 


James Cotton, Pat Hare, Chicago, 1959 © Jacques Demêtre / Soul Bag Archives

 

À Chicago, Cotton aide alors les jeunes aspirants bluesmen tels que Paul Butterfield à progresser dans leur apprentissage (cf. 3 harp boogie). Lorsqu’au milieu des années 1960 il forme son propre groupe, avec le guitariste Luther Tucker, c’est avec l’idée d’inventer un blues qui colle à son époque et au son de la nouvelle génération : urbanisé, ouvert au rock et aux explorations jazzy, soulful et profondément funky. Il grave ses premiers disques pour le label Verve sous les auspices de Michael Bloomfield et Barry Goldberg (“The James Cotton Blues Band”, 1967) et est instantanément accueilli par la jeunesse contre-culturelle américaine : à San Francisco et New York sur les scènes du Fillmore, il partage les mêmes affiches que le Grateful Dead ou Santana ; dans la programmation des grands rendez-vous hippies comme au Texas International Pop Festival (1969), son nom n’est pas loin derrière Janis Joplin ou Led Zeppelin. Parmi d’autres exemples, Todd Rundgren et Johnny Winter le secondent sur son album “Taking Care Of Business” (Capitol, 1971) tandis que Steve Miller recrute son harmonica pour son album “Fly Like An Eagle” (1976).

 


James Cotton, Johnny Winter, Muddy Waters © David Gahr

 

Sa réputation est établie et sa discographie est riche de nombreux albums (“Chicago / The Blues Today Vol. 2” ou “Cut You Loose!” sur Vanguard, “100% Cotton” ou “Live And On The Move” sur Buddah) lorsque  Muddy Waters fait à nouveau appel à lui pour enregistrer un LP produit par Johnny Winter. L’harmonica âpre et brut de Cotton est un élément essentiel du son organique de l’album “Hard Again” (Blue Sky, 1977), au point que les concerts de la tournée qui suit sont présentés comme “une soirée avec Muddy Waters, Johnny Winter et James Cotton” (voir le CD “Breaking It Up, Breaking It Down” publié en 2007 par Sony). Conscient de son apport et veillant à ses affaires d’un œil avisé, Cotton n’entend en effet pas être traité comme un simple figurant. Lorsque Winter enregistre son propre album à la suite de “Hard Again”, “Nothing But The Blues”, il n’a d’autre choix que de se plier aux exigences salariales de l’harmoniciste. De mauvaise grâce certes, mais rien n’entame l’estime mutuelle entre les deux hommes, dont la route allait ensuite souvent se croiser à nouveau, sur scène ou en studio (cf. la compilation “Deluxe edition” de Winter publiée par Alligator en 2001).

 


Nice, 1987 © Brigitte Charvolin

 


Londres, 1992 © Cilla Huggins

 

Après la mort de Muddy Waters, Cotton s’impose comme un de ceux qui prennent la relève avec le plus de flamboyance. En 1991 notamment, il est en état de grâce sur “Mighty Long Time”, un album publié sur le label texan Antone’s : jamais il n’a sonné aussi puissamment terrien. Mais son autre album pour Antone’s, un live, est lui aussi excellent, tout comme ses disques pour Alligator (“High Compression”, “Live From Chicago” et “Harp Attack”, où viennent l’épauler ses camarades harmonicistes Carey Bell, Junior Wells et Billy Branch mais dont le point d’orgue est Black night, un long blues en mode mineur où il est seul maître à bord). Durant cette période, il enregistre avec ses plus anciens collègues, comme Hubert Sumlin, Matt Guitar Murphy ou Luther Tucker, tout en mettant le pied à l’étrier à une nouvelle génération d’artistes, qu’il embauche comme sidemen dans son groupe (le guitariste Michael Coleman, le tromboniste Boney Fields, le bassiste Noel Neal…).

 


Chicago, 2007 © Brigitte Charvolin

 


Avec Matt Murphy, Chicago, 2010 © Brigitte Charvolin

 

Dans les années 1990, un nouveau contrat avec le label Verve lui permet d’obtenir la reconnaissance d’un plus large public : “Deep In The Blues”, un album rural et dépouillé de retour aux fondamentaux, enregistré notamment avec le contrebassiste de jazz Charlie Haden, est récompensé d’un Grammy Award en 1996. Un cancer de la gorge le prive alors de sa voix mais Cotton est un vrai dur à cuire. Il terrasse la maladie et ne lâche plus son harmonica, ne cessant ni d’enregistrer (de nombreux albums sur Telarc puis Alligator, sur lesquels il s’entoure généralement d’invités de prestige) ni de tourner (s’adjoignant les services de l’excellent chanteur Darrell Nulisch). Bien qu’assis, sur scène il se démène comme un diable, convoquant les meilleures heures de Memphis et de Chicago ou les mânes de Sonny Boy et de Muddy : remplis d’âme et d’énergie, ses concerts sont un ravissement pour les amoureux du blues. Son dernier album en date, “Cotton Mouth Man” (2013) est excellent. C’est un bluesman majeur, qui a contribué à forgé le jeu à l’harmonica et qui représentait un lien vivant avec une époque aujourd’hui révolue, qui s’en est allé.

Éric D.

 


Avec Lil' Ed et Deitra Farr, Chicago, 2013 © Brigitte Charvolin

 


Chicago, 2013 
© Brigitte Charvolin