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Live reports / 08.04.2022

Ils nous quittent : Milton Hopkins, Elliott Small, Scott Edwards, Ernie Andrews…

Hommages aux artistes et personnalités disparus récemment.

Milton Hopkins (1934-2022)

Bien qu’il n’ait que peu enregistré, le guitariste Milton Hopkins a joué un rôle majeur à partir des années 1950 sur la scène blues de Houston, avec laquelle il restait un des derniers liens historiques. Cousin de Lightnin’ Hopkins, même s’il ne le connaît pas personnellement, Hopkins débute tardivement à la guitare mais ne tarde pas à se faire remarquer, d’abord avec le groupe du pianiste Otis Turner, puis avec celui du saxophoniste Grady Gaines.

Découvert par Don Robey, il accompagne en studio les artistes Duke, et en particulier Johnny Ace et Bobby Bland, et prend la route pour une longue tournée avec Ace en tête d’affiche et, entre autres, Big Mama Thornton. C’est avec cette dernière que Hopkins est sur scène, au Houston City Auditorium, le soir de Noël 1954, quand Johnny Ace a la mauvaise idée de s’essayer à la roulette russe… Quelques années plus tard, Milton Hopkins rejoint, à l’invitation de Grady Gaines, les Upsetters, qui continuent à tourner un peu partout malgré la retraite de Little Richard. Avec eux, il accompagne notamment, sur scène et sur disque, Little Willie John, mais aussi, à l’occasion d’une séance semi-clandestine, un Little Richard en voie de retour au rock. Il participe également à des séances pour Don Covay et les Coasters et tourne avec Jimmy Reed.

Il rejoint au début des années 1970 l’ensemble de B.B. King, avec qui il participe à plusieurs albums au cours de la décennie (“Guess Who”, “Lucille Talks Back” et les deux disques live avec Bobby Bland, en particulier). S’il prend ensuite un peu de recul par rapport à la musique, le blues boom de la fin des années 1980 le convainc de reprendre sa guitare, et il devient un habitué des clubs de Houston. C’est d’ailleurs dans l’un d’entre eux qu’il grave son seul album sous son nom, “Live At Danton’s”, crédité au Milton Hopkins Hit City Blues Band. Un autre album, en collaboration avec la chanteuse Jewel Brown, paraît aussi sur Dialtone, à l’occasion duquel il est interviewé dans Soul Bag (numéro 208). Il apparaît également avec Brown au Bay-Car Blues Festival en 2012. C’est cependant dans les clubs de Houston qu’il se produisait le plus régulièrement, fêté localement, et à juste titre, comme une légende du blues.
Photo © Brigitte Charvolin

Elliot Small (1944-2022)

Figure semi-légendaire de la scène musicale néo-orléanaise, Elliott Small a connu plusieurs vies musicales au cours d’une carrière engagée dès les années 1960. Originaire de La Nouvelle-Orléans, il connaît une enfance tumultueuse entre sa ville natale et New York. Dans le courant des années 1960, il fait ses débuts comme chanteur soul, se produisant aussi bien dans les deux villes.

C’est sous l’égide de Wardell Quezergue qu’il commence à enregistrer, d’abord pour le label néo-orléanais ABS (I’m evil) puis pour New Sound, basé dans le New Jersey. Son Stay in my heart fait suffisamment de bruit pour qu’il soit repris par Bang Records, sans grand succès cependant. S’il enregistre dans le courant des années 1970 deux singles pour Malaco, toujours produits par Quezergue, c’est essentiellement sur la route et dans les clubs qu’il travaille. Même s’il publie un dernier 45-tours dans les années 1980, il finit au cours de la décennie par s’éloigner de l’industrie musicale et s’invente une nouvelle personnalité : celle de Grampa Elliott, un musicien des rues au look mémorable – une grande barbe blanche, une salopette bleue, un t-shirt rouge – qui devient une véritable institution locale, souvent installé au croisement des rues Royal et Toulouse, au cœur du French Quarter, où il se produit avec son partenaire, le guitariste Michael “Stoney B” Stone.

Parmi les touristes qui les écoutent quelques instants ou qui achètent un des CD autoproduits du duo, rares sont ceux qui se doutent de la carrière passée du chanteur et harmoniciste… Alors que des problèmes de santé persistants le conduisent à perdre la vue, il est découvert par le producteur Mark Johnson qui décide de l’intégrer dans son projet Playing for Change. Il est en particulier l’une des figures centrales de la version de Stand by me enregistrée avec différents chanteurs des rues venus du monde entier et qui fait connaître le projet dans le monde entier – la vidéo a aujourd’hui dépassé les 177 millions de vues… Il tourne ensuite avec le projet et participe aux différents albums de l’ensemble, et c’est sous le parrainage de Playing for Change qu’il publie en 2009 son unique album solo, “Sugar Sweet”, auquel participent notamment Reggie McBride, Keb’ Mo’ et Kirk Joseph.

Scott Edwards (19??-2022)

Remarqué au début des années 1970 au sein de l’orchestre de Stevie Wonder – il apparaît “Talking Book” (sur You are the sunshine of my life) et “Innervisions” (sur All in love is fair) ainsi que sur le premier album de Syreeta –, le bassiste Scott Edwards devient ensuite, tout au long des années 1970 et 1980, un prolifique musicien de studio à Los Angeles, enregistrant en particulier avec Lamont Dozier, Tavares, les Four Tops, Nancy Wilson, Clarence Carter, Aretha Franklin, les Miracles, Ray Charles, Hall & Oates, Albert King, Donald Byrd, les Supremes, les Impressions, Candi Staton, Minnie Ripperton, Diana Ross, Boz Scaggs, Smokey Robinson, Ben E. King, Terry Callier, Ahmad Jamal, Gloria Gaynor, Donna Summer, Thelma Houston, B.B. King, Bobby Bland et Natalie Cole, ainsi que, côté pop, Glen Campbell, T-Rex, Tom Waits, les Beach Boys et Rod Stewart, et même Patrick Juvet et Sylvie Vartan !

Parmi les tubes sur lesquels il joue figure I will survive de Gloria Gaynor, Bad girl de Donna Summer, Reunited de Peaches & Herb, Being with you de Smokey Robinson et Young hearts run free de Candi Staton. Il collabore également à deux “all stars” de musiciens de studios, Brass Fever et Rhythm Heritage, qui publient plusieurs albums, et continuait encore à participer ponctuellement à des séances, en particulier avec Charles Wright, dans les années 1990-2000.

Denroy Morgan (1946 –2022)

Originaire de Jamaïque, le chanteur a mené une carrière américaine entre reggae et R&B, décrochant plusieurs succès dans le second registre au début des années 1980, en particulier I’ll do anything for you qui se classe à la 9e place des charts R&B. 

Kevin O’Day (19??-2022)

Habitué des clubs et studios de La Nouvelle-Orléans depuis les années 1990, le batteur Kevin O’Day a accompagné sur disque et sur scène Walter Wolfman Washington,  Bonerama, Leo Nocentelli, Anders Osborne, Kirk Joseph et Cedric Burnside, et fait partie de différents groupes dont le Kosmic Krewe du trompettiste Michael Ray et des New Orleans Klezmer Allstars ainsi que ses propres ensembles. Après Katrina, il est un des premiers musiciens de retour en ville et organise le premier show au Maple Leaf, avec un groupe ad hoc emmené par Walter Washington.

Ron Miles (1953-2022)

Figure de la scène jazz depuis la fin des années 1980, le trompettiste et cornettiste Ron Miles a beaucoup enregistré, tant sous son nom qu’en tant qu’accompagnateur. Il est en particulier apparu depuis les années 2000 sur une dizaine d’albums d’Otis Taylor, de “Double V” à “Fantasizing About Being Black”. 

Clifton “Fou Fou” Eddie (1943-2022)

Originaire de Chicago, le batteur Clifton Eddie fait ses débuts côté jazz avant de se tourner vers la soul, accompagnant sur disque et sur scène les vedettes de la ville et de passage, des Dells à Jerry Butler en passant par Sidney Barnes, Patti LaBelle et Tommy Hunt. Il apparaît notamment sur les classiques Give your baby a standing ovation des Dells et Ain’t understanding mellow de Jerry Butler. Installé ensuite en Californie, il continue à se produire localement et enregistre ponctuellement en particulier avec Don “Sugarcane” Harris. Il se lance également dans une carrière d’acteur qui le voit apparaître, à chaque fois dans le rôle d’un batteur, dans Whiplash et La La Land.

David Tyson (19??-2022)

Originaire de Philadelphie, David Tyson marche dans les traces de son frère aîné Roy – membre notamment des Ethics dans les années 1960 et des Temptations depuis les années 1980 – et se produit localement avec le groupe Final Touch. Sur les conseils de son frère, il passe une audition et rejoint en 1993 les Manhattans aux côtés des deux historiques Gerald Alston et Blue Lovett, avec qui il enregistre et se produit jusqu’à aujourd’hui. 

Charles “The Delta Blues Hog” Hayes (19??-2022)

Originaire d’Alamo, dans le Tennessee, Charles Hayes s’installe encore enfant à Racine, dans le Wisconson, en banlieue de Chicago. Issu d’une famille de musiciens, il ne tarde pas à s’immerger dans la scène musicale locale aux côtés de ses deux frères, Peewee Hayes et Jojo Hayes,  et fait ses débuts professionnels sur scène aux côtés de Sonny Boy Williamson. Si sa carrière discographique reste restreinte (“Blues Train” en 1999, “Raw Blues!” en 2004), il devient un habitué des clubs et des festivals dans tout le pays et se produit même occasionnellement en Europe (par exemple au Blues Estafette de 2004 et au Spring Blues Festival de 2007). Il se produisait encore régulièrement en 2019. 

Gary Brooker (1945-2022)

Particulièrement connu pour son rôle au sein du groupe rock Procol Harum, le chanteur et pianiste Gary Brooker avait fait ses débuts à peine adolescent au sein de la scène du british blues naissante avec les Paramounts, qui publient plusieurs 45-tours au milieu des années 1960 et décrochent un petit succès avec leur version de Poison ivy. Son principal tube, A whiter shade of pale, a été repris par de nombreux albums soul, dont King Curtis, Shorty Long et les Dells. 

Derf Reklaw (1947-2022)

Originaire de Chicago, le percussionniste et chanteur occasionnel Fred Walker fait ses débuts discographiques au début des années 1970 au sein des Pharaoh, un des groupes soul jazz les plus influents de la ville, au sein desquels il adopte son ingénieux pseudonyme. Au cours de la décennie, il s’impose comme un habitué des studios de la ville, accompagnant sur disque Ramsey Lewis, Eddie Harris, Jerry Butler, les Dells, Young-Holt Unlimited, Nathalie Cole, Tyrone Davis, Bo Diddley, Terry Callier, Leroy Hutson, Jack McDuff… Installé à Los Angeles à la fin des années 1970, il y poursuit son activité de studio, aux côtés notamment de Tavares, Leslie Drayton, Noel Pointer… Impliqué dans la scène jazz locale, il publie en 1998 son unique album personnel, “From The Nile” et collabore régulièrement le chanteur Dwight Trible. À partir des années 2000, il intègre l’ambitieux collectif Build An Ark, avec lequel il enregistre plusieurs albums. Il avait participé en 2020 à l’excellent album “Pathways & Passages” du groupe Cosmic Vibrations. 

Ernie Andrews (1927-2022)

Vrai chanteur de big band à la Joe Williams, Ernie Andrews a traversé sept décennies, de ses débuts discographiques en 1945 à ses dernières prestations publiques à la fin des années 2010… Aussi à l’aise dans le jazz que dans le rythm and blues, il devient un habitué des clubs de Central Avenue à Los Angeles et enregistre dans ces différents registres, du milieu des années 1940 à la fin des années 1960, passant notamment six années au sein de l’orchestre d’Harry James. Si les années 1960 et 1970 lui sont moins favorables, malgré quelques tentatives soul pour Tangerine et  Phil L.A. Of Soul et un album avec Cannonball Adderley, sa carrière est relancée à partir des années 1980 par une série d’albums, dans un registre jazz, sur Muse et HighNote et des collaborations avec différents big bands comme le Philip Morris Superband dirigé par Gene Harris, le Kansas City Jazz Orchestra, l’orchestre de Harry James ou le Clayton-Hamilton Jazz Orchestra. 

Derrick Lee (19??-2022)

Collaborateur régulier de Bobby Jones, dont il est le directeur musical dès 1981 pour l’émission sur BET et qu’il accompagne régulièrement sur disque et sur scène, le pianiste, organiste et producteur Derrick Lee avait également travaillé avec Slim & The Supreme Angels, Archie Dale & The Tones Of Joy, BeBe & CeCe Winans, Donnie McClurkin, Shirley Caesar, les Highway Q.C.’s, Albertina Walker, les Caravans, les Jackson Southernaires,  les Williams Brothers, les Mighty Clouds of Joy, Dorothy Norwood et Vanessa Bell Armstrong, mais aussi, hors du champ gospel, avec Aretha Franklin, Linda Clifford, Beverley Knight et même Swamp Dogg, qu’il accompagnait sur son album récent “Sorry You Couldn’t Make It”. 

Fred Funki Mills (1950-2022)

Originaire de Reidsville, en Caroline du Nord, c’est au sein de Funk House, le groupe régulier de Betty Davis, qui l’accompagne aussi bien sur scène que sur disque, que se fait remarquer le clavier Fred Mills, qui devient son directeur musical. Il poursuit ensuite sa carrière musicale de façon plus discrète, malgré un album Atlantic avec le groupe Chops au milieu des années 1980. Il apparaissait dans le documentaire de 2017 Betty: They Say I’m Different et avait reformé Funk House pour rendre hommage à la chanteuse. 

Richard Pratt (19??-2022)

Originaire de Philadelphie, Richard Pratt chante avec le groupe  Shades of Love quand le producteur Norman Harris décide de les utiliser pour former Blue Magic autour du chanteur Ted Mills, qui a  déjà décroché un petit succès R&B avec Spell avec d’autres chanteurs qui ne souhaitent pas poursuivre plus avant leur carrière. Voix de basse de l’ensemble, Pratt n’est pas particulièrement mis en avant, mais il contribue aux différents tubes de Blue Magic, et en particulier au numéro 1 R&B Sideshow en 1974, et apparaît sur leurs cinq albums ATCO ainsi qu’à un disque live partagé avec Margie Joseph et Major Harris. S’il quitte le groupe en 1981, il en lance plus tard  – comme ses collègues – sa propre version qui se produisait encore il y a quelques mois sur le circuit de la nostalgie.

Bernard Arcadio (1945-2022)

Pianiste et chef d’orchestre français à mi-chemin entre jazz et variété, Bernard Arcadio avait notamment enregistré avec Tina Turner et Dee Dee Bridgewater.

Traci Braxton (1971-2022)

Originaire du Maryland, Traci Braxton commence à chanter à l’église et fait ses débuts discographiques avec ses sœurs au sein des Braxtons, qui publient leur premier single pour Arista en 1990. L’aventure du groupe tourne court quand Toni est choisie pour artiste solo. Après l’avoir accompagnée sur scène et sur disque, Traci renonce à sa carrière musicale, qu’elle ne relance que dans les années 2010, après être apparue dans l’émission de téléréalité familiale, Braxton Family Values. Elle publie alors deux albums, “Crash & Burn” et “On Earth”, qui connaissent un certain succès, et un de ses titres, Last call, devient un petit tube R&B, même si elle doit la plus grande partie de sa popularité à ses apparitions télévisées.

Benny Reeves (1938-2022)

Frère de Martha Reeves, Benny Reeves fait brièvement partie des Contours au début des années 1960 avant d’intégrer l’armée pour une carrière militaire. Il relance ensuite sa carrière musicale, se produisant régulièrement à Détroit avec différents groupes et enregistrant même quelques titres sous son nom pour Motorcity, ainsi qu’un album de standards soul à la fin des années 1990. 

Textes : Frédéric Adrian