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Brèves / 11.05.2016

Ils nous ont quittés en mars

Voici le deuxième volet de nos hommages aux artistes disparus ces dernières semaines, qui porte donc sur le mois de mars 2016.

– Le bassiste James Jamerson Jr. (photo ci-dessus), qui luttait contre la maladie depuis plusieurs années, a finalement cédé le 23 mars à l’âge de cinquante-huit ans. Né en 1958 à Detroit, il est le fils de James Jamerson, bassiste renommé pour la Motown. James Jr. hérite donc du talent paternel et se révèle dès l’âge de quatorze ans avec les Temptations. Puis il se produit aux côtés des principaux artistes de R&B de son époque, de Tavares à Teena Marie en passant par les Four Tops, Valerie Simpson, les Crusaders et Johnnie Taylor, mais aussi avec Bruce Springsteen, Bob Dylan, B.B. King ou encore Luciano Pavarotti…Après avoir formé le groupe Chanson avec David Williams à la fin des années 1970, il s’est davantage consacré à la production et a dû ralentir ses activités, diminué par la maladie.

 


© Estelle Axton Estate

Terry Johnson (ci-dessus, troisième en partant de la droite), qui fut le batteur des Mar-Keys et donc un pilier du label Stax, s’en est allé brutalement le 19 mars à l’âge de soixante-douze ans. Né le 3 avril 1943 à Memphis, il fait partie des membres originaux des Mar-Keys dès la formation du groupe en 1958. Il n’a alors que quinze ans et ses « camarades de classe » se nomment donc Steve Cropper, Donald « Duck » Dunn, Don Nix, Wayne Jackson… Johnson apparaît sur plusieurs enregistrements de la formation dans les années 1960, mais il choisit ensuite de privilégier ses études : après l’obtention de son doctorat en psychologie, il dirigera d’importants établissements hospitaliers et mènera de brillantes recherches dans le domaine médical.

 


© wwno.org

– Le 18 mars a vu la disparition du chanteur, pianiste et compositeur David Egan, deux jours avant son soixante-deuxième anniversaire. Il a succombé des suites d’un cancer du poumon, une maladie qu’il avait déjà contractée quelques années plus tôt. Né le 20 mars 1954 à Shreveport en Louisiane, il a toutefois mené des études musicales à Denton au Texas. On le retrouve ensuite brièvement à Memphis puis à Nashville, où il essaie de vivre de ses talents de compositeur tout en exerçant le métier de guide dans la capitale du Tennessee. Il éprouve des difficultés à joindre les deux bouts, revient à Shreveport le temps de former un groupe, A-Train, puis repart pour Nashville où il travaille avec Jo-El Sonnier. En 1980, il revient définitivement en Louisiane à Lafayette en 1990, et l’année suivante, Joe Cocker reprend sa chanson Please no more sur son album « Night Calls ». Mis en lumière, Egan s’impose alors en compositeur et arrangeur avisé, et la liste des grands artistes qui enregistrent ses titres est absolument édifiante, comprenant entre autres Irma Thomas, Marcia Ball, Solomon Burke, Etta James, Percy Sledge, Johnny Adams, John Mayall… Ses deux albums sous son nom, « Twenty Years Of Trouble » en 2003 et « You Don’t Know Your Mind » en 2008, démontrent qu’il était également un interprète de premier ordre. Certes méconnu, David Egan laisse le souvenir d’une figure importante de la scène louisianaise.

 


© Dulce Pinzón

– Un autre vétéran a tiré sa révérence le 18 mars en la personne du pianiste et organiste Cliff Driver qui avait quatre-vingt-quatre ans. Né en 1931, scolarisé dans un établissement pour aveugles à Louisville au Kentucky, il apprend divers instruments durant sa jeunesse dont le trombone et bien entendu les claviers. Après avoir joué dès 1947 avec le Chick Chanifield’s Band à New York où il s’est installé, il se produit de façon assez soutenue dans les clubs de Manhattan. Dans les années 1960, il remplace Little Richard au sein des Upsetters, rencontre Naomi Shelton et collabore et tourne avec des artistes importants dont Ruth Brown, Solomon Burke, Arthur Prysock et les Coasters, puis plus tard avec King Curtis et Jerry Goldberg. Ces dernières années, il s’est surtout fait connaître en travaillant pour le label Daptone, avec bien sûr Naomi Shelton mais aussi Charles Bradley et Sharon Jones.

 


© DR

– Il faisait partie des précurseurs importants de cette période des années 1950 qui voit le R&B donner peu à peu naissance à la musique soul : Lee Andrews en a fini avec son passage terrestre le 16 mars à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Né Arthur Lee Andrews Thompson le 2 juin 1936 à Goldsboro en Caroline du Nord, il forme dès 1953 à Philadelphie un groupe de doo-wop, Lee Andrews & the Hearts. La formation évolue alors en plein âge d’or du genre aux côtés d’autres comme les Moonglows, les Orioles, les Drifters, les 5 Royales, les Ravens… Sans atteindre le sommet des charts, ils obtiennent régulièrement de bonnes places, leurs titres les plus célèbres étant Long lonely nights en 1957 et Tear drops l’année suivante, distribués par Chess… Bien que leur musique commence à subir la concurrence de la soul, ils continuent de sortir des singles dans les années 1960 au gré de changements de personnel – mais Andrews reste – et de noms, le groupe s’appelant tour à tour les Five Hearts et les Famous Hearts avant de disparaître. Andrews gère quelque temps un magasin de vêtements puis crée en 1971 First Born et Congress Alley deux ans plus tard, sans renouer avec le succès. Il disparaît ensuite quasiment de la circulation, revenant dans les années 1980 pour donner un nouvel élan aux Hearts, cette fois composés de membres de sa famille. Une famille qui a toujours été impliquée dans la musique, car Lee Andrews était le fils de Beachy Thompson – qui a chanté avec les Dixie Hummingbirds – et le père d’Ahmir « Questlove » Thompson.

 


© blackdoctor.org

– Le chanteur de gospel Daryl Coley n’a pas survécu au diabète qui le rongeait depuis quelque vingt-cinq ans et qui l’a emporté le 15 mars à soixante ans. Il voit le jour le 30 octobre 1955 à Berkeley en Californie. Élevé par sa mère, il apprend enfant la clarinette, les claviers et bien sûr le chant. Il commence à s’intéresser au gospel à la fin des années 1960, et entre à seulement quatorze ans – début 1970 – dans le chœur de la formation d’Helen Stephens and The Voices of Christ. Tout en poursuivant ses études, il chante et joue régulièrement du piano, et il côtoie bientôt des figures du gospel qui l’engagent, dont Edwin Hawkins en 1977 et James Cleveland en 1983. S’il se consacre prioritairement au gospel, il collabore aussi avec des artistes de jazz dont Nancy Wilson et Rodney Franklin, ainsi que Philip Bailey d’Earth Wind & Fire. Trois ans plus tard, l’expérience accumulée et sa belle voix grave lui permettent d’entamer une carrière sous son nom avec un premier album, « Just Daryl », qui est nominé aux Grammy Awards. La réussite est au rendez-vous, et son quatrième disque, « When The Music Stops » (1992), se hisse en tête des charts gospel. Jusqu’en 2006, tous ses disques sont de haut niveau et l’installent parmi les meilleurs chanteurs de gospel de sa génération. La maladie l’oblige ensuite à restreindre ses activités.

 


© Paula Smith Propst / rollingout.com

– Nous avons perdu le 12 mars un artiste protéiforme, à la fois bluesman, acteur de la grande époque du R&B et précurseur du rock ‘n’ roll : il s’agit de « Wheepin » Tommy Brown, disparu à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Né Thomas A. Brown le 27 mai 1931 à Lumpkin en Géorgie, il fonde dans les années 1940 un groupe dont il est le batteur. Il a l’opportunité d’enregistrer dès 1949, et son titre Atlanta boogie préfigure incontestablement le rock ‘n’ roll, sur le plan instrumental mais plus encore au niveau des paroles : « Well, let's rock'n'roll, well, let's rock'n'roll / Yes, let's rock'n'roll till the break of day. » Au début de la décennie suivante, il apparaît sur plusieurs hits R&B des Griffin Brothers, le plus fameux étant certainement Wheepin’ and cryin’ – auquel il doit son surnom et qui trahit aussi l’influence des blues shouters sur son chant –, qui atteint la première place des charts en août 1951. Dans les années 1950, il est présent auprès de Bill Doggett – pour lequel il affirme avoir écrit Honky tonk en 1956 – et de l’harmoniciste de blues Walter Horton. Les années 1960 et 1970 sont moins prolifiques, il vit à Saint-Louis, Chicago et New York, exerce la profession d’humoriste puis revient en 1977 en Géorgie où il gère un centre de soins à Atlanta créé par sa mère. En 2001, il fait son retour et signe plusieurs CD tout en participant à des tournées. Enfin, en 2015, il a été introduit au Blues Hall of Fame à Memphis.

 


© Jill Sagers-Wijangco / Chicago Tribune

Ernestine Anderson nous a quittés le 10 mars 2016 à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Née avec sa sœur jumelle Josephine le 11 novembre 1928 à Houston dans une famille musicale, elle chante avec son père à l’église, mais elle décroche son premier engagement en 1943 grâce à une tante qui lui permet d’entrer encore adolescente dans le groupe du trompettiste Russell Jacquet, le frère d’Illinois. En 1947, Johnny Otis la remarque et l’engage, la chanteuse réalisant ses premiers enregistrements la même année pour Black & White. Elle poursuit ensuite sa carrière dans le jazz avec les musiciens les plus prestigieux du genre dont Lionel Hampton, Quincy Jones et Duke Jordan. En 1958, l’album « Hot Cargo » est plébiscité, et la chanteuse profite de sa nouvelle notoriété jusqu’au milieu des années 1960, quand elle choisit d’aller vivre en Angleterre. Après une éclipse d’une dizaine d’années, elle retrouve les États-Unis puis revient sur le devant de la scène avant de signer chez Concord, obtenant trois nominations aux Grammy Awards. Un succès qui perdure quand elle réapparaît sur le label Qwest de Quincy Jones, ce qui lui vaut une autre nomination aux Grammys en 1996. Relativement méconnue mais considérée comme une des meilleures chanteuses de jazz et de blues de sa génération, elle enregistre jusqu’en 2011, puis la maladie d’Alzheimer l’oblige à se retirer.

 


© Jos L. Knaepen

– Le chanteur et batteur français Jacques Mahieux s’en est également allé le 10 mars, des suites d’une crise cardiaque à l’âge de soixante-neuf ans. Ce musicien de jazz né le 24 juin à Guise dans l’Aisne appréciait aussi le blues et apparaît aux fûts sur deux disques de Champion Jack Dupree enregistrés en France : « 1977 » et « Get You An Ol’ Man » en 1984 (avec également Louisiana Red).

 


© : Tomasz Szeremeta

– On a longtemps douté du décès de Karen Carroll, hélas bien survenu le 9 mars après une longue maladie. Elle avait cinquante-huit ans. Née le 30 janvier 1958 à Chicago, elle est la fille de Jeanne Carroll et la filleule de Bonnie Lee, ce qui la prédestinait assurément au chant… Dans les années 1980, après une collaboration avec l’harmoniciste Carey Bell, son activité dans les clubs de Chicago lui vaut de participer à des tournées en Europe – on se souvient de sa truculence alors qu’elle accompagnait Eddie Lusk –, puis d’être remarquée par Delmark, label pour lequel elle enregistre deux albums en 1995 et 1997. Elle aura du mal à confirmer et signera d’autres disques confidentiels, mais elle restait une figure appréciée du Chicago blues.

Daniel Léon