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Brèves / 01.07.2013

Bobby Bland, une icône s’en va

Curieusement, même s’il était très respecté et aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs chanteurs de soul blues de l’histoire, Bobby “Blue” Bland n’était finalement pas si connu que cela au-delà des rangs des amateurs de musiques afro-américaines. Quant à la presse française, si on excepte Le Monde pour un article assez convenu, elle n’a guère fait écho de la disparition de l’artiste le 23 juin 2013 à l’âge de 83 ans. Né Robert Calvin Brooks, celui-ci voit le jour le 27 janvier 1930 dans une municipalité non constituée comme on dit aux States (unincorporated community), nommée Rosemark et située environ 20 km au nord-est de Memphis. Son père quitte la famille dès l’enfance et le jeune Robert est élevé par sa mère qui se remarie en 1936 avec Leroy Bridgeforth qui se fait également appeler Leroy Bland, un nom qui sera donc adopté par le chanteur.


Début années 1960. © : DR / Collection Joël Dufour

Il n’est pas scolarié (et restera donc illettré), et en 1947 il suit sa mère partie s’installer à Memphis. Il travaille dans un garage tout en commençant à chanter des spirituals et du gospel dans des groupes comme les Miniatures, fréquente inévitablement Beale Street où il forme les Beale Streeters. Son histoire personnelle prend corps très jeune car parmi les membres des Beale Streeters figurent quand même B.B. King et Johnnny Ace, ainsi que Billy Duncan, Roscoe Gordon, Earl Forrest et autre Junior Parker… Son nom apparaît pour la première fois sur disque en 1951 chez Chess, puis quelques autres singles suivent jusqu’en 1953 (sous son nom, avec les Beale Streeters, avec Roscoe Gordon…), chez Modern sous la houlette de Sam Phillips, enfin à nouveau chez Chess puis chez Duke. Il est ensuite incorporé, et quand il revient en 1955, il trouve une scène désormais largement dominée par la vague du rock ‘n’ roll.

Mais Bobby Bland s’installe en pilier parmi les musiciens de Memphis, imposant un soul blues envoûtant qui repose sur une voix caractérisée par une belle palette de nuances qui lui vaut d’être à l’aise sur les tempos enlevés comme sur les ballades. Il reprend ses enregistrements avec Duke dès 1955, et deux ans plus tard, il signe avec Further up on the road son premier grand succès qui grimpe d’ailleurs jusqu’à la première place des charts R&B. L’année suivante le voit réaliser son premier album avec son ami Junior Parker, “Blues Consolidated”. Jusqu’au milieu des années 1960, il grave une demi-douzaine d’autres albums ponctués de hits qui se placent avec une rare régularité dans le top 10 des charts, les plus notables étant I’ll take care of you (n° 2 en 1959), I pity the fool (n° 1 en 1960), Don’t cry no more et Turn on your love light (n° 2 en 1961), That’s the way love is (n° 1 en 1963) et These Hands (Small But Mighty) (n° 4 en 1965).


Avec Wayne Bennett (g), Jazz Club Lionel Hampton, Paris, 30 mai 1988. © : Christian Mariette

Il ne cesse d’enregistrer mais la réussite est moins évidente la décennie suivante, toutefois marquée par deux albums en public pour ABC avec son vieux complice B. B. King, “Together for the First Time… Live” (1974) et “Together Again… Live” (1976), qui relancent sa carrière et rappellent quel chanteur il est. Bland accède ainsi au statut d’icône et son influence s’exerce au-delà de son propre style auquel il est toujours resté fidèle, ses chansons étant reprises par des artistes pop et rock. Il entrera d’ailleurs au Rock and Roll Hall of Fame en 1992. Entre-temps, après d’autres réalisations chez ABC, MCA et Malaco à partir de la moitié des années 1980 (il a gravé son dernier album en 2003 pour ce label), Bobby “Blue” Bland profite d’une notoriété enfin établie. S’il n’enregistrera plus ces dix dernières années, il continuera de se produire jusqu’à son dernier souffle avec cette ferveur qui ne l’aura jamais quittée et qu’il savait si bien transmettre. Ainsi, en 2011 lors du Jazz Fest à La Nouvelle-Orléans, malgré un groupe assourdissant, le déjà octogénaire Bobby Bland, casquette vissée sur la tête, était parvenu à irradier et à nous enchanter avec ses classiques immortels. Car les grands ne meurent jamais.
Daniel Léon