Nick Gravenites (1938-2024)
03.10.2024
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L’histoire de la grande ville du Missouri est étroitement liée à celle du blues depuis les origines de cette musique. Dès 1914, W.C. Handy nomma une de ses plus célèbres compositions The Saint Louis blues. Saint-Louis est célèbre pour son école de blues pianistique et vit passer à partir des années 1920 des artistes de la stature de Victoria Spivey, St. Louis Jimmy Oden, Roosevelt Sykes, Speckled Red… Dans d’autres registres, Lonnie Johnson gagna en 1925 à Saint-Louis un “concours” de blues qui lui permit de lancer sa fabuleuse carrière, et Henry Townsend fut une autre figure locale de tout premier ordre. Arrêtons-nous là, il s’agit juste de donner un peu plus de relief au parcours de Big George Brock, moins connu que ceux cités plus haut.
Il naît George Brock le 16 mai 1932, à Grenada, Mississippi, à la limite est du Delta, localité dont sont également originaires Magic Sam et Magic Slim. Sa famille s’installe rapidement sur une plantation proche de Clarksdale où il cueille du coton tout en apprenant l’harmonica vers l’âge de huit ans. En grandissant, il baigne dans le blues et se déplace de plus en plus dans le Delta, où il aurait côtoyé des “géants” comme Muddy Waters, Howlin’ Wolf ou encore Memphis Minnie. Il est toutefois probable qu’il ne partagea pas la scène avec eux avant de se fixer à Saint-Louis en 1950.
Parallèlement au blues, son physique impressionnant le conduit sur les rings de boxe, une page de sa vie à l’origine d’une anecdote savoureuse. En 1952, il accepte d’être le sparring-partner d’un certain Sonny Liston, qu’il bat en deux rounds. L’année suivante, Liston passera professionnel, deviendra champion du monde des poids lourds en 1962, cédant seulement son titre deux ans plus tard face à Cassius Clay (qui deviendra Mohammed Ali en 1965) ! De nos jours, les spécialistes considèrent que Liston fait partie des dix plus grands boxeurs de l’histoire des poids lourds…
Mais Brock abandonne la boxe, pas assez lucrative à ses yeux, pour se dédier pleinement au blues dans les nombreux clubs de Saint-Louis. À la même époque, soit dès le début des années 1950, il prend plus d’importance sur la scène locale, gérant son propre club et dirigeant un groupe dans lequel apparaît brièvement Albert King. Les années passant, Brock s’occupe d’autres clubs, le plus fameux étant Climmie’s Western Inn, où il accueille Muddy Waters, Little Milton ou encore Jimmy Reed. Au début de la décennie suivante, Muddy lui propose de le présenter aux responsables de Chess à Chicago, mais Brock se méfie et craint de se faire flouer, il décide donc de rester à Saint-Louis, plus à l’aise sur le circuit des clubs. Il ouvre d’autres clubs (sous le même nom de Club Caravan), dont un après la mort de sa femme en 1970.
Le choix de carrière de Big George Brock le prive d’enregistrer sous son nom. Mais bien qu’il habite Saint-Louis, il a conservé des attaches dans le Mississippi du côté de Clarksdale, d’autant qu’il est l’oncle de James “Super Chikan” Johnson et le beau-frère de Big Jack Johnson. Marié trois fois, on lui prête quarante-deux enfants ! En 1987, il sort un album autoproduit, “Should Have Been There”. Au milieu des années 1990, il est remarqué par Roger Stolle, qui vit lui aussi à Saint-Louis. Passionné de blues, Roger choisit ensuite de s’installer à Clarksdale, où il a ouvert Cat Head Delta Blues & Folk Art, une boutique qui lui sert de base pour œuvrer aussi comme écrivain, producteur, réalisateur, organisateur de concerts… un activiste, un vrai ! Pour sa part, Brock se laisse convaincre de retourner en studio. Après un album passé inaperçu (“Front Door Man”, Tee-Ti, 1999), il signe pour Cat Head, le label de Roger Stolle, avec lequel il va réaliser trois albums à partir de 2005, “Club Caravan”, “Round Two” et “Live At Seventy Five”. En 2006 sous l’égide de Cat Head, il fait l’objet du documentaire de Damien Blaylock Hard Times. Il signe un autre CD en 2007 pour APO, “Heavyweight Blues”.
Au travers de toutes ces réalisations, on découvre un artiste impliqué dans un blues d’inspiration très rurale. Sa voix puissante, son jeu d’harmonica terrien à souhait, ses tenues soignées et son jeu de scène spectaculaire en font un artiste très demandé lors des festivals malgré son âge avancé. Heureux d’être ainsi reconnu, Brock ne cessera de se produire dans ses dernières années, de Saint-Louis à Clarksdale mais aussi lors de tournées internationales. Son état de santé s’était toutefois dégradé ces derniers mois, la maladie finissant par l’emporter cinq semaines avant son quatre-vingt-huitième anniversaire. Difficile de ne pas avoir une pensée pour Marquise Knox, dont Brock était le mentor, le confident, l’inspirateur… Mais justement, avec des bluesmen du talent de Marquise Knox, la scène blues de Saint-Louis a encore de très beaux jours devant elle !
Texte : Daniel Léon
Photo d’ouverture © Brigitte Charvolin