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Brèves / 20.03.2017

Chuck Berry, 1926-2017

Aucun autre artiste n’a écrit autant de standards du rock and roll puis du rock que Chuck Berry. Elvis n’était qu’un interprète, Bill Haley est resté figé dans sa formule, Buddy Holly et Eddie Cochran sont morts jeunes, Gene Vincent est entré tôt dans la malédiction, Little Richard n'était plus le même après son entrée en religion, Bo Diddley était trop novateur. Berry aura été le seul artiste à marquer autant la musique populaire sur tous les plans, musicaux, vocaux, scéniques. 

 

 

Né en 1926 à Saint Louis dans le Missouri, Chuck a près de 30 ans quand il explose aux oreilles du grand public en 1955. Il est alors un musicien accompli, nourri des influences de T-Bone Walker, Big Joe Turner, Louis Jordan et son guitariste Carl Hogan, mais aussi de la musique country qu’il écoutait à la radio chez ses parents. Il rallie l’orchestre du pianiste Johnnie Johnson en 1952 et les deux se construisent un répertoire hybride de blues, hillbilly, calypso, variétés. En 1954, il s’installe à Chicago et signe chez Chess par l’entremise de Muddy Waters. Le 21 mars 1955, il enregistre ses deux premières faces, sous la houlette de Willie Dixon qui tient aussi la contrebasse, et Ebby Hardy ou Jasper Thomas à la batterie. Maybellene est une adaptation d’un morceau country et Wee wee hours une ballade blues poignante. En septembre, il grave deux autres titres avec Willie Dixon toujours, la première apparition de Johnnie Johnson au piano, Ebby Hardy à la batterie. Thirty days (To get back home) est un blues rapide avec un incroyable solo de guitare et Together (We will always be) une ballade dont émane une menace latente. La machine à succès est lancée pour dix ans.

 


Nice, 1979 © Brigitte Charvolin

 


Nice, 1979 © Brigitte Charvolin

 

La musique de Chuck Berry parle de bonheur, de vie ensemble, sans en ignorer les difficultés. Il est différent, il est Noir, plus âgé que son public adolescent, très vite majoritairement blanc. Il a de l’expérience et essaie de la transmettre aux jeunes, avec les mots qui sont les leurs. Il n’oublie pas de montrer son côté humain, charnel, le sexe et l’argent sont constamment présents dans ses textes. Il est son patron, il a une vision stratégique, un business plan, il sait comment choisir les musiciens pour l’accompagner et il a un adjoint solide, talentueux, fiable, le formidable Johnnie Johnson. Avant de se révéler chez Chess, il a déjà travaillé professionnellement, avec un certain succès et il sait qu’il doit s’appuyer sur ses aînés. Il contacte donc Muddy Waters qui lui conseille de rencontrer Leonard Chess. Celui-ci lui demande des chansons originales et Chuck écrit sur le champ les quatre titres cités plus haut. Il construit ses chansons en collaboration, donnant une direction, un rythme et le riff de guitare millésimé, avant que le reste du groupe y greffe la matière finale. À chaque fois qu’il s’écartera de cette formule, son œuvre en sera affadie. De même, rien n’est pareil sans le piano virevoltant de Johnnie Johnson. Ses chansons sont pour beaucoup devenues des standards incontournables de la musique populaire, nombre de groupes, Beatles, Rolling Stones, Beach Boys, n’auraient pas existé sans lui, en tous cas pas de la même façon. Son œuvre originale traverse les temps sans prendre une ride, aussi puissante que jamais, témoignant du rock and roll en tant qu’art. Aux confins de l’univers, Johnny B. goode fait à cette heure danser les formes de vie que la sonde spatiale Voyager, qui l’a emporté comme exemple de la musique populaire terrienne, peut croiser.

Ses textes sont autant de tranches de vie, bâtis à partir de références devenues classiques, voitures, achetées, conduites, volées, relations interpersonnelles, vie scolaire et d’autres, plus improbables, comme la Vénus de Milo. Et Chuck met aussi en forme définitive la geste rock and roll. “Duck walk”, jambes écartées, et autres poses, sont devenues iconiques.

 


Nice, 1987 © Brigitte Charvolin

 


Nice, 1987 © Brigitte Charvolin

 

L’écoute intégrale de ses enregistrements est parfois rude avec les “espagnoleries”, les titres bâclés, mais elle révèle aussi qu’il pouvait être fin instrumentaliste, notamment à la steel guitar – le tryptique Deep feelingLow feelingBlue feeling du 21 janvier 1957 est somptueux –, et surtout fin bluesmen. Sa voix suave, sa diction claire, véhiculent un blues très prenant, et s’il faut regretter une chose, c’est qu’il n’ait pas plus composé dans ce style. Autour de tout ça, il arrive toujours à écrire de nouvelles merveilles jusqu’au milieu des années 60, recyclant avec goût ses riffs ou créant de nouveaux standards. Tout le monde voudra les reprendre mais personne n’approchera la perfection des originaux. Y a-t-il eu une bonne reprise de Johnny B. goode ?

 



Avec sa fille Ingrid, Chicago, circa 1985 © André Hobus

 



Vienne, 2004 © Brigitte Charvolin

 

Chuck Berry a certes sa part d’ombre qui lui a valu des séjours en prison, mais, sans nier sa part de responsabilité, rappelons qu'il a aussi certainement subi les foudres d’une justice blanche pas vraiment réputée pour être juste envers les Noirs, d'autant plus s'ils ont du succès. C’est également une censure plus insidieuse qui l’empêchera de passer dans les plus grands shows télévisés dans les années 50. Il ne faut pas s’étonner de sa posture méfiante adoptée par la suite, sa façon de voyager seul, d’exiger d’être payé avant de jouer avec des groupes formés pour l’occasion. 

Il s’en trouve encore pour dire que Chuck s’est contenté de reprendre ce que d’autres avaient déjà fait, son mythique riff d’introduction de Johnny B. goode est en effet très inspiré de Carl Hogan et T-Bone Walker. Il n’empêche que Chuck a su utiliser ces influences, les intégrer à ses propres créations, pour les mettre dans la bonne forme au bon moment, celui du succès artistique, populaire et commercial.

Christophe Mourot

 


Vienne, 2004 © Brigitte Charvolin