Dominique Fils-Aimé, Café de la Danse, Paris
07.12.2023
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Dans la série des grandes machineries festivalières estivales, We Love Green cherche à se distinguer par un positionnement particulier, marqué simultanément par des choix musicaux originaux, avec de nombreuses exclusivité, et par un positionnement politique marqué avec la présence de conférences engagées – comme celle de Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix et inventeur du micro-crédit – et une organisation respectant l’environnement (toilettes sèches, points de recyclage, utilisation d’énergies renouvelables…). L’ensemble se tient dans un cadre accueillant, une clairière au cœur du bois de Vincennes, sur un site joliment aménagé, avec une organisation conviviale et une attention claire aux conditions d’accueil des festivaliers – y compris en ce qui concerne les propositions gastronomiques, particulièrement soignées tout en restant dans des prix décents. Seule l’attente très longue et peu agréable aux différents bars constitue un point négatif dans la gestion de l’événement qui s’est déroulé, les deux jours, sous un soleil particulièrement enthousiaste.
Au plan musical, le premier jour était, avec l’annulation de la prestation très attendue de A Tribe Called Quest, largement placé sous le signe de la pop et de l’électro, avec des propositions souvent bien éloignées des centres d’intérêt de Soul Bag – même si la pop de la très jeune Naya, en ouverture de la journée, ne manque pas de charme et de potentiel.
Difficile d’imaginer la déclinaison scénique de la soul très sophistiquée de Kadhja Bonet, et le moins qu’on puisse dire est que les conditions – en plein après-midi, sous un chapiteau, devant un public debout (bien que Bonet ait tenté de faire asseoir les spectateurs en expliquant qu’elle jouait de la « sitting music ») pas très concerné et à peu de choses près sans balance – ne lui étaient pas très favorable. Dans un format trio dans lequel elle assure elle-même la guitare (avec son complice habituel Itai Shapira à la basse et aux chœurs), et malgré son peu d’enthousiasme évident (elle tente même à deux reprises d’abréger sa prestation), la magie opère malgré tout sur un répertoire qui emprunte évidemment largement à son très réussi premier disque. Dépourvu de ses somptueux arrangements, le tube Honeycomb ne perd rien dans la sobriété des accords de guitare imaginatifs de Bonet, et la seule reprise au programme, le Yesterday des Beatles, s’inscrit parfaitement dans la continuité des compositions originales. À revoir très vite dans des conditions plus appropriées, par exemple le 11 novembre au Café de la Danse…
Kadhja Bonet
Un peu confus, surtout au début, le show de Benjamin Clementine finit par décoller quand il quitte son clavier pour aller jouer avec le public puis avec ses choristes. Mais c’est un titre seul au piano qui rend le mieux justice à son style vocal qui évoque par moment l’approche d’une Nina Simone.
À défaut, donc, de pouvoir entendre Q-Tip et sa bande, remplacés par le groupe électro Justice, c’est avec Solange qu’on finit la soirée. La petite sœur de Beyoncé (on l’a dit une fois, on n’en reparlera plus !) est réputée pour la qualité de ses shows, et elle ne fera pas mentir la rumeur. Privée d’effets spéciaux par le format festivalier et de ses tenues de scènes par la compagnie aérienne, elle assure une prestation spectaculaire, qui met l’accent sur le répertoire du récent “A Seat At The Table”, dont Soul Bag vous disait le plus grand bien. Vocalement très au point, elle propose un spectacle réglé au millimètre, avec des chorégraphies originales auxquelles participent ses choristes et ses musiciens, mais qui ne donne pas l’impression de manquer de spontanéité. La réponse du public est enthousiaste, et la clairière remue en rythme jusqu’au bouquet final, le très attendu Don’t touch my hair.
Solange
Même si l’électro et la pop étaient encore au programme, c’est le hip-hop qui dominait l’affiche avec la présence de deux des voix les plus excitantes du genre en ce moment, Action Bronson et Anderson .Paak. Mais en attendant l’entrée en lice des vedettes, c’est le français Jok’Air, en charge du premier set de la journée, qui s’illustre avec une prestation impliquée et décomplexée. Accueilli par quelques fans très motivés, il a acquis quelques centaines de nouveaux supporters à l’issue de son show, et il va évidemment falloir compter sur lui dans les prochains mois.
Dans un autre registre, le brésilien Seu Jorge se présentait seul à la guitare pour interpréter les adaptations de David Bowie qu’il avait enregistré pour le film de Wes Anderson La Vie Aquatique. Le résultat est léger et sans enjeu, mais ne manque pas de charme, même s’il s’écouterait sans doute mieux dans d’autres conditions qu’en plein soleil…
Seu Jorge
Le duo malien Amadou & Mariam propose un show très rodé et à l’efficacité redoutable (même si on peut regretter qu’Amadou Bagayoko ne dispose pas de plus d’espace pour sa guitare très expressive). Même s’il fait encore très chaud sur la clairière, il ne reste plus grand monde assis au terme de leur prestation.
Amadou & Mariam
Très attendu par un public qui scande son nom bien avant l’heure annoncée de sa venue, Action Bronson n’a pas besoin de forcer son talent pour convaincre. En format minimaliste, avec juste un DJ qu’il engueule d’ailleurs copieusement, il débite son répertoire musclé (ah, le formidable sample de la ligne de basse du Hercules d’Aaron Neville sur Steve Wynn…) en arpentant la scène et harangue la foule, qu’il asperge régulièrement d’eau. S’il semble fort satisfait de sa prestation (il la revendiquera sur Twitter comme une des meilleures de sa carrière), d’ailleurs très bien accueillie par le public, mais le résultat reste un peu frustrant tant il est évident que tout cela est un peu routinier.
Pas de problème de ce genre avec Anderson .Paak, qui déboule sur scène – costume rayé noir et blanc, t-shirt noir – bien décidé à en découdre. Refusant de choisir entre soul et hip-hop, il passe sans transition du rap au chant et assure le show avec l’accompagnement de son groupe, les Free Nationals.
Anderson .Paak
S’il perd un peu l’attention du public lorsqu’il s’installe pour plusieurs titres à la batterie (l’absence d’écran géant se fait d’ailleurs sentir à ce moment-là), il reprend le pouvoir en enchaînant ses titres les plus dansants, entre funk et disco, avant de finir en délicatesse avec le très beau The bird, parfait point final d’une soirée qui se poursuit ensuite sur le versant électro.
Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot