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Live reports / 11.07.2017

Watermelon Slim

Dans le cadre de la tournée de promotion de son dernier CD, l’excellent “Golden Boy” (4 étoiles et demie dans notre n° 226), Watermelon Slim faisait escale au Sunset pour un show bien à son image : généreux (deux sets de plus d’une heure chacun), varié, foutraque, intense et captivant. Pas étonnant que ses apparitions scéniques drainent un public nombreux : assister à un concert de Watermelon Slim, c’est participer à un spectacle global mêlant musique, récits historiques (son érudition est légendaire), anecdotes tirées d’une vie hors-norme, esquisses d’analyses politiques, danse, blagues potaches, autodérision et moments d’émotion.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis son précédent passage en groupe chez nous : les fidèles Workers ont laissé la place aux Truckers, constitué d’une paire basse-batterie souple et compétente ainsi que d’un jeune guitariste dont la dextérité digitale, la qualité du toucher (il joue en son clair sur une Telecaster-like ; pas possible de tricher !) et la richesse des influences (jazz, blues, funk, country) sont desservies par un jeu de scène horripilant (quelle nervosité !) et une extraversion stylistique peu en accord avec la sobriété de son patron (ses rythmiques partent dans tous les sens). C’est dommage, car lorsqu’il joue “simple”, ses lignes sont d’une efficacité remarquable. Quant à Watermelon, à part quelques rides supplémentaires, on le retrouve tel qu’en lui-même : grand, mince, truculent (il s’exprime le plus souvent dans son incroyable français canadien, surplombé d’un épais accent yankee), flamboyant (costume en lin blanc rayé, chemise pourpre mordorée, cravate rose, colifichet peace & love, fedora solidement vissé sur la tête ; la classe !). Il alterne avec aisance chant, dobro (qu’il joue debout et à plat) et harmonica.

Lancé par Philippe Langlois (Dixiefrog), le show démarre sur les chapeaux de roue avec Blues for Howard (tiré de “No Paid Holidays”) et se poursuit avec Bull goose rooster au cours duquel Slim défouraille plusieurs beaux chorus slidés (sa National est jouée en son clair ; pas de saturation ce soir). Il passe ensuite au diatonique, occasion de rendre hommage à son mentor George “Earring” Mayweather. Les chorus brûlants de Gypsy woman (qu’il introduit de sa voix d’infrabasse avec une belle formule de passeur : « Muddy played it to George… George played it to me… and now I’m gonna play it to yooouuuu ») viennent rappeler que le blues est avant tout une affaire de cœur. On reste dans les grands classiques de l’harmo avec I wish you would pris en mode funky. Déchaîné, Slim improvise une chorégraphie à la James Brown (du type “robot sautillant” ; pas simple à gérer quand on connaît la faible hauteur de plafond du Sunset !). Il nous explique ensuite que nous pouvons acheter ses CD à l’entracte (« Bon, je ne sais pas trop comment vous dire, je suis pas un businessman, je suis un socialiste, mais bon vous pouvez quand même acheter mes disques »). Fin de la gaudriole avec Picked up my guidon (premier extrait de “Golden Boy”), dédiée aux soldats du Viet-Nam (dont il fit partie), suivie de la sonnerie aux morts américaine (jouée seule à l’harmonica), couplée à Dark genius (hommage à JFK, lui aussi issu de son dernier CD). Tirade anti-Trump, félicitations pour « l’élection d’Emmanuel » (on n’ose lui dire qu’“Emmanuel” vient d’inviter Donald pour le 14 juillet…) et retour au rock’n’blues avec The wheel man (« J’ai récolté pas mal d’awards pour ce CD mais vous savez, le vrai award du bluesman, c’est de savoir qu’il pourra jouer le lendemain »), slidé avec une mignonette de Courvoisier (ce qui lui permet d’annoncer son prochain passage au festival de Cognac !). Le set se conclut avec une rumba en mode mineur (co-écrite avec son ex-guitariste Ronnie Mack, qu’il semble regretter) et final en trombe au rythme d’un shuffle instrumental prétexte à de furieux échanges guitare-harmo.

À la pause, Slim reste sur scène pour vendre ses disques et signer des autographes (longue file d’attente), prenant le temps d’échanger quelques mots avec chacun.

Le concert redémarre avec Jimmy Bell, fantastique chanson harmo-voix tiré de “The Wheel Man”. Le groupe remonte sur scène pour un hommage à Bonnie Raitt (vieille amie de Slim, qui partage avec lui idéaux pacifistes et passion commune pour Fred McDowell). Interprétée avec calme et retenue, Angel from Montgomery (écrite par John Prine mais effectivement popularisée par Bonnie sur son album “Streetlights” de 1974) est enchaînée à la furieuse I ain’t whistling dixie durant laquelle Slim enclenche la wah-wah (mais reste en son clair). Nouveau coup de chapeau à George Mayweather via Tomorrow night (shuffle tiré de “Whup it! Whup it!”, seul album publié par Mayweather, en 1995) et nouveaux chorus fiévreux. Slim termine la chanson allongé par terre, après être parvenu à tenir une incroyable note en suraigüe sur l’intégralité de la grille, sans interruption ! L’orchestre enfonce le clou avec un Call my job super funky ; nouveaux pas de danse browniens, complétés cette fois d’étirements à la Bruce Lee effectués dans l’allée centrale du Sunset. Délire total et sacrée franche de rigolade dans l’assistance ! (C’est aussi ça le blues, ne jamais se prendre au sérieux !) Deux morceaux pour finir : le saignant Archetypal blues n°2 (qui d’autre que lui pour nommer ses chansons ainsi ?), occasion de célébrer ses héros de toujours (Muddy, Howlin’ Wolf, Mississippi Fred…) et fin du set avec Vigilante man, empruntée à Woody Guthrie et chère au cœur de Slim puisque c’est avec elle qu’il entama sa carrière enregistrée (en 1973 sur l’obscur LP “Merry Airbrakes”).

À 70 ans passés, loin de se reposer sur ses lauriers, Watermelon Slim, bluesman authentique, continue de brûler les planches et de jouer comme si demain n’existait pas. Il a d’autres dates prévues cet été en France : ne faites pas l’erreur de le manquer !

Ulrick Parfum