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Live reports / 11.08.2015

Vache de Blues

Ce festival de l’est de la France est parmi les plus denses de l’été. Nico Vallone a fait parler sa science de la programmation et les trois journées promettent d’être alléchantes, d’autant que la météo est superbe, loin des orages de 2014.

Le vendredi soir débute avec Carl Wyatt qui remplit sa mission de chauffeur de salle avec un boogie blues rock entraînant fait d’instrumentaux (Green onions en ouverture, boogie hookerien par la suite, Hideaway en clôture) et titres chantés (Mojo boogie avec lap steel). Le tout servis par le jeu efficace, sans héroïsme, du leader sur ses Telecaster, bien accompagné par les Voodoo Kings, trio batterie, basse, claviers, avec le sympathique Apollo Munyanshongore et ses yeux roulants à la basse. Carl est un habitué du festival et le public apprécie.

 


Carl Wyatt

 

Nous allons ensuite prendre la première claque du week-end avec Curtis Salgado et ses boys (Fabrice Bessouat, Anthony Stelmaszack, Mig Toquereau et Benoit Ribière). Le festival prend feu avec le showman de première qu’est Curtis, superbe chanteur et leader efficace, le groupe répondant à la moindre sollicitation, commençant par préparer son arrivée avec un instrumental blues lent où Anthony Stelmaszack montre qu’il est chaud bouillant. Curtis prend ensuite les commandes sur un répertoire blues, soul, rock and roll, rhythm and blues, magnifique au chant, efficace à l’harmonica. Both sorry over nothing est un soul blues de la meilleure eau, Bluebird blues est pris au meilleur tempo, lent bien sûr, Drivin’ in the drivin’ rain, You’re so fine, les titres de ses albums se succèdent, puis c’est le Slow down de Larry williams qui emballe le rythme avant le savoureux 20 years of B.B King (« J’ai appris plus sur le blues en deux semaines avec toi qu’en vingt ans avec B.B. King »). Ne reculant devant rien, Curtis invite Sugar Ray Norcia, Anthony Geraci et Mike Welch à partager la scène pour un medley Big Joe Turner où Mike Welch annonce la couleur pour le concert prévu samedi. Côté public, on se pince pour se persuader qu’on ne rêve pas. Revenu à la formation initiale, Curtis se lance dans une soul sudiste churchy à souhait, on se dit que c'est le paradis. Le final gospelisant de A woman or the blues est magnifique.

 


Curtis Salgado

 

Les Wise Guys du jour sont hongrois. Ils ouvrent avec un instrumental funky avant d’accueillir Sharrie Williams qui prend le chant sur le même rythme. La dame est en grande forme et va enchaîner les morceaux de bravoure, lents ou rapides, funky, rock, avec une bonne dose de gospel, passages intimes compris, dont un très beau et très punchy I’ll take you there revisité. Son guitariste, très efficace, mérite un prix de stoïcisme, puisqu’il ne casse pas moins de trois cordes sans perdre son flegme et sa décontraction. Jealousy, Out of the dark, I’m here to stay, ça défile avant un final intense avec Travellin’ et Purple rain repris en chœur par le public en deuxième rappel.

 


Sharrie Williams

 

Le samedi ouvre sur la petite scène avec le Hatman Session Trio, Nasser Ben Dadoo au chant et aux guitares, Marko Balland à l’harmonica et Mathieu Tomi à la contrebasse. Voix rocailleuse, blues de tous les âges, originaux de bonne facture, Whiskey and women, Born into the blues, reprises intelligentes (un Trouble in mind très swing), dialogue humoristique avec le public, le trio s’en sort bien malgré la chaleur écrasante. À noter les effets d’harmonica de Marko Balland, en particulier le son d’harmonium sur le titre gospel.

 


Marko Balland et Nasser Ben Dadoo

 

Lil’ Red and the Roosters sont au grand complet avec Jennifer Milligan (chant, washboard) Pascal Fouquet (guitare), Thomas Troussier (harmonica), Jeff Vincendeau (b), Denis Agenet (batterie), et vont conquérir le public grâce à leur répertoire blues électrique, où se mêlent originaux (Black cat fever, Chicken scratch, Pretty gritty) et reprises nordistes ou sudistes (Mozelle, Sugar coated love). Jennifer chante bien, a le contact facile et souriant, Pascal et Thomas ne sont pas avares de solos, Jeff pompe le rythme avec efficacité et Denis fait le show à la batterie, agrémenté des plaisanteries dont il a le secret. Le groupe est puissant, mais c’est difficile de tenir tout un set par cette chaleur. Le final est en boogie inspiré de Magic Sam avant un rappel avec Respect your sister.

 


Lil’ Red and the Roosters

 

La scène est prête pour accueillir T.Bo and the B.Boppers, à peine débarqués de voiture, ce qui ne les empêche pas de livrer un set dynamique, enlevé, tout en rhythm and blues et rock and roll. Le jeu de guitare du leader Thibault Ripault gagne en maturité à chaque sortie, transcendant les influences pour se forger une véritable identité. JP Cardot voit son piano s’écrouler au début du premier solo, Sylvain Tejerizo honke à tout va, Abdell B.Bop est la force tranquille de la contrebasse et Bastien Cabezon, moustache à la Errol Flynn, est efficace derrière ses fûts. Mis debout par les Roosters, le public continue à danser.

 


T.Bo and the B.Boppers

 

On passe à la grande scène avec les Bad Mules. Le quatuor Nantais, Julien Broissand (chant, guitare), Denis Agenet (chant, batterie), Freddy Pohardy-Riteau (sax), Philippe Gautier (claviers), démarre par un instrumental façon Tilt a whirl de Jimmie Vaughan et embraye sur un revigorant set de blues et rhythm and blues, de Little Walter à Amos Milburn en passant par Wynonie Harris, Bullmoose Jackson, Dave Bartholomew mais aussi Rick Holmstrom, sans oublier ses propres compositions Dirty knave, The garden of love et autres extraits de leurs deux derniers disques. Denis Agenet s’est remis du concert en pleine chaleur avec les Roosters et a de l’expressivité pour quatre mais ses compères ne sont pas en reste. Julien Broissand donne de beaux solos sur I done done it et Romance, Philippe Gautier nappe le tout de son orgue et sourit en regardant les autres et Freddy Pohardy-Riteau a de l’allure et du son avec ses saxophones rutilants.

 


Julien Broissant et Freddy Pohardy-Riteau

 


Denis Agenet

 

Le temps de se lester d’une saucisse italienne et il faut se poster au pied de la scène pour Sugar Ray and the Bluetones. L’occasion n’est pas souvent donnée de voir un tel groupe de stars, Sugar Ray Norcia, Anthony Geracy, Mike Welch, Michael “Mudcat” Ward et Neil Gouvin, et l’attente est forte. Nous ne serons pas déçus puisque ça va être la deuxième claque du festival. L’expérience cumulée sur scène a peu d’équivalents, même le plus jeune, Mike Welch, a déjà une longue carrière derrière lui. Il confirme qu’il est monstrueux à la guitare, forcément, mais au-delà du surnom, il impressionne par son talent, sa facilité, son feeling et son énorme présence, en témoigne la grande place que lui laisse le leader tout au long du concert. À la rythmique, Neil Gouvin et Mudcat Ward font croire que tout est simple tandis que Anthony Geraci, queue de cheval et lunettes noires, fait des étincelles aux claviers. Shuffle instrumental en entrée et Sugar Ray montre de suite qu’il est un des grands chanteurs du blues contemporain. Blues de Chicago, blues des marais, soul blues, rock and roll, ballade néo-orléanaise, le répertoire est bien agencé. Mike Welch prend le lead sur un instrumental hommage à B.B. King et chante sur I want you to love me de Magic Sam. Anthony Geraci envoie un formidable instrumental boogie. Le cœur du set est constitué des originaux du CD “Living Tear To Tear”, Rat trap, Things could be worse et un sompteux Misery en rappel. L’ovation du public met longtemps à s’éteindre.

 


Sugar Ray and the Bluetones

 

Comment passer après ça ? Demandez à Davina & the Vagabonds. Davina Sowers a un look de Betty Boop post-moderne, joue du piano avec aisance et chante d’une voix puissante, acidulée, agile, qui se joue des temps et du placement. Accompagnée des Vagabonds, Ben Link au trombone, Daniel Eikmeier à la trompette, l'incroyable Connor McRae à la batterie, tous trois également chanteurs, et Greg Byers à la contrebasse, elle va nous mettre sens dessus dessous avec un répertoire néo-orléanais et soul débridé, dont des ballades superbes de tension-détente. Combien de fois avez-vous eu la chair de poule en entendant une reprise de I'd rather go blind ? Davina réussit le tour de force d’y mettre encore plus de puissance qu’Etta James et d’en rester crédible. C’est le moment de pause, si on peut dire, au milieu de multiples titres new orleans plus dansants les uns que les autres. Blues ancien, rhythm and blues, Smiley Lewis, Tommy Ridgley mais aussi Chuck Berry, The Valentinos, Hank Williams, Big Joe Turner, Lionel Hampton, tout y passe. Une sacrée découverte et la troisième claque du festival !

 


Davina & the Vagabonds

 

Le dimanche est tout aussi chaud mais le vent permet de respirer. Des conditions idéales pour Shake Your Hips qu’on a le plaisir de voir à six, puisque saxophone et harmonica sont tous les deux présents. Philippe Perronnet apporte une couleur chatoyante au blues musclé du groupe, qui reste fondamentalement le même mais qui prend un son plus rond, plus rhythm and blues. Olivier Raymond est un guitariste sûr, Jean-Marc Hénaux est toujours aussi efficace et sobre à l’harmonica, la rythmique des frères Ferrie est solide et sans fioritures, Freddy Miller est très bon chanteur mais par-dessus tout, c’est d’abord un groupe qu’on écoute, soudé, costaud, capable de composer un répertoire entièrement original. C’est difficile de les quitter même si c’est pour Fiona Boyes et Nathan James. Avec Pablo Leoni à la batterie et Danny Blomeley à la basse (vu avec Kyla Brox), ils nous entraînent dans un joyeux set de blues protéiforme, entre titres anciens et modernes, servi par une collection de guitares cigar box ou planche à laver et des voix à la hauteur, celle de Fiona ayant une raucité très particulière, qui contribuent à l’intérêt de leur prestation.

 


Olivier Raymond, Freddy Miller, Jean-Marc Hénaux

 

On effectue un pas de plus vers le blues avec Dave Riley et Bob Corritore, alliance du rural et de l’urbain, du chant profond, de la guitare simple et de l’harmonica amplifié. Shuffles, downhome blues, ils nous mettent vite en mouvement, Dave laissant d’abord une grande place à l’harmonica de Bob pour les solos avant de passer à l’offensive sur un titre soul, un autre façon Jimmy Reed et un double Folsom prison blues, pris d’abord sur le rythme d’origine puis sur une relance en blues lent. Mais il y a cette chaise vide au milieu de la scène, sur laquelle est posée une lap steel rouge, branchée, prête à servir, il y a cette silhouette voûtée qu’on a vu passer, costume jaune et chapeau noir, on fait alors le lien avec la surprise annoncée par Nico Vallone et, effectivement, Sonny Rhodes apparaît sur scène. Appuyé sur sa canne, le visage souriant, le regard bleu délavé, il paraît frêle mais il est bien là, ses notes pleines de blues à la lap steel le prouvent. Since I met you baby en entrée, un blues classique, un boogie hookerien et un Shake your hips en conclusion, son passage est court mais constitue une parenthèse hors du temps.

 


Dave Riley

 


Bob Corritore

 


Dave Riley, Sonny Rhodes, Bob Corritore

 

 

Il reste deux concerts sur la grande scène mais on prend d’abord le temps de déguster le fameux bœuf à la Guiness. Il faut ça pour se préparer au choc Shakura S’Aida. Une paire de titres pour se chauffer et elle prend la scène, son groupe et le public en son pouvoir. Superbe sur tous les plans, luminosité de sa tenue argentée, expressivité vocale, puissance, émotion, étendue du registre, elle a de plus un sens hors pair du contact avec le public, il faut l’écouter parler – en français ! – de l’homme idéal « qui est un pianiste car ses doigts montent et descendent et ça lui est égal si on est blanche ou noire », ou inviter le public à « trouver quelqu’un et danser ». Accompagnée de Paige Armstrong à la guitare, Lance Anderson au piano, Tony Rabalao à la batterie et Roger Williams à la basse, la “Queen of Rock and Soul” envoie un répertoire blues, rock, soul, funky, jazzy, boogie, worksong tribal, gospel. Geechee woman, Blues dancing, Mr. Right, Las Vegas blues, les titres de ses albums sont portés d’une voix profonde, puissante, avec la petite pointe de vulgarité qui va bien. Après un rappel de folie, Shakura restera un long moment en scène pour saluer le public dont l’ovation ne trompe pas : c’était la quatrième claque !

 


Shakura S’Aida

 

Pour leur unique concert en Europe, c’est peu dire que The 44’s sont attendus. Le trio de base, Johnny Main (chant, guitare), Mike Hightower (basse), J.R. Lozano (batterie), s’est adjoint les services du jeune harmoniciste Jacob Huffman et c’est une bonne pioche. À la fois classique et moderne, il va porter une bonne partie du concert à lui tout seul, couvé du regard par ses aînés. Si les deux disques du groupe sont bien visités, So low down, Take it easy, Automatic, You’ll be mine, la mise en place générale reste difficile à comprendre, avec des temps relativement longs entre les morceaux, une incompréhension sur la durée du set, donnant l’impression d’un certain dilettantisme qui me laisse sur ma faim. Nathan James sera invité une première fois seul puis une deuxième avec le maître des lieux Nico Vallone pour de longues et belles interventions à l’harmonica, avant que Bob Corritore ne s’invite à son tour pour souligner de son jeu dépouillé un bel hommage à B.B. King. Le bilan reste très positif avec des rythmes variés, un son magnifique, une puissance imparable et, ce n’est pas rien, un look de durs.

 


The 44’s

 

Après être monté si haut, il est difficile de redescendre et de réaliser que le festival est terminé. Il faut aussi parler de la qualité de l’accueil, de l’amabilité des personnes tenant les différents stands, des bénévoles, des animations, exposition de micros, harmonicas et guitares, des clowns qui distraient le public de mille gentilles façons, des jets d’eau allumés sous les arbres pour se rafraîchir, de l’accès facile aux artistes, de cette impression d’être ici en famille.

2016 sera le quinzième anniversaire du festival, nul doute que Nico Vallone nous réservera de belles surprises.

Texte et photos : Christophe Mourot