;
Live reports / 15.11.2016

Tremplin Blues sur Seine 2016

Qu'il est bon en ce jour de funeste anniversaire d'assister à un feu d'artifice de jeunes talents. Avant même que s'estompent les dernières notes du sixième groupe, on sait que l'on tient avec cette dix-huitième édition du tremplin mantois une année référence tant le niveau de qualité fut homogène. Difficile d'estimer la part de responsabilité du nouveau critère de participation (la moyenne d'âge au sein de chaque groupe ne doit pas dépasser 35 ans), mais ce millésime illustre de belle manière les ressources d'une nouvelle génération.

Tout commence par une virée dans les années 1950, menée swing battant par les Toulousains de Jerry Khan Bangers. Une batterie qui n'hésite pas à faire danser ses toms, une contrebasse souvent slappée, une Telecaster pleine de sève… Au centre, une chanteuse qui ondule au gré de sonorités rétro séduisantes : rockabilly, rockin' blues et touche de Swamp (une reprise de Slim Harpo). Dommage que Lindçay Kahn ait du mal à se projeter au-dessus du volume de la guitare, car au détour d'un break se dévoilent les belles nuances de son timbre. De brefs instants de flottements et une approche un peu trop appliquée témoignent d'une marge de progression (les chœurs, un peu crispés, semblent être une bonne idée à creuser), mais on retient surtout une généreuse envie cristallisée par Arnaud Benz qui régale de riffs, de relances, de contrechants gorgés d'un blues joyeux.

 


Arnaud Benz

 


Lindçay Kahn

 

Mouvements lascifs et chant aux atours sensuels : Agathe Da Rama met peu de temps à imposer son charisme, quant bien même il s'agit de planter le décor avec Alabama de J.B. Lenoir, blues qui évoque sans détour les crimes racistes perpétrés aux États-Unis. Passé cette impression d'étrange décalage entre le fond et la forme, on apprécie l'étincelle complice qui anime ce tout jeune duo toulousain. Depuis le début de l'année Agathe travaille avec Joris Ragel, un guitariste déjà présent ici un an plus tôt, au sein des Weeping Widows, tandem foutraque qui n'avait pas convaincu. Revoici sa bouillonnante énergie, mieux canalisée : s'il cède encore par moments à la surabondance de notes, il illustre surtout la belle palette de son jeu dont le dynamisme et le tranchant pallient avec brio l'absence de rythmique. Du coup Agathe rayonne et enchante le public, que ce soit à travers ce Baby please don't go négocié en deux temps (lascif, à nouveau, avant une bascule vers un dancefloor de juke-joint) ou des compos avançant en douceur pour inviter la soul. Quelques mises en place vacillent mais le potentiel pour faire chavirer une salle se fait sentir.

 


Agathe Da Rama

 


Agathe Da Rama, Joris Ragel

 

Aucun boulon à resserrer du côté des Cinelli Brothers. Dès l'instant où le quintet déballe les premières mesures de son shuffle inaugural, c'est Chess Records en direct de Mantes-la-Jolie. La sainte Tension-Détente en bandoulière, le combo soudé autour de la fratrie italienne (Marco devant, guitare et chant, Alessandro derrière les fûts) célèbre toute la fraîcheur intemporelle du Chicago blues qui sévissait dans les années 50. Il faut dire que le renfort de pointures cultivées n'y est pas pour rien : Igor Pichon (Spoonful, Malted Milk…) caresse sa basse d'un pouce agile, Damien Cornélis (Nina Attal, Malted Milk…) fait rouler fièrement ses ivoires. Rollo Markee, le cinquième homme, donne quant à lui quelques saillants assauts d'harmonica amplifié. Et Marco endosse brillamment son rôle de frontman : chant bien placé qui s'octroie quelques growls bien rugueux et six cordes acérée, attaquée au pouce et capable de bâtir un discours fleuri et inspiré, tendu et fougueux. Le West Side et Buddy Guy sont tout proches quand la troupe explore un tempo lent en mineur ; la pulsation bondissante de ce Your lies n'aurait sûrement pas déplu à Willie Dixon. Et chapeau d'avoir osé dépoussiérer un vieux classique funk (Kiss) à grande lampées de shuffle.

 


Alessandro et Marco Cinelli

 


Rollo Markee

 


Damien Cornélis

 

L'histoire ne dit pas pourquoi Maggy & Da Funky G se sont changés en Maggy & the Buddies Project, mais en tout cas c'est une formation à dominante funk-soul qui foule les planches du CAC Georges Brassens. Avec un pied de grosse caisse lourd et une basse jouée proche du chevalet, la rythmique du quintet parisien opte pour un son dur, efficace mais parfois un peu raide. Et comme de part et d'autre de la scène s'emploient un guitariste et un pianiste certes compétents mais au jeu de scène pour le moins monolithique (le premier a l'air de s'ennuyer ferme, le second, appelé en renfort à la dernière minute, scrute ses partitions), le groupe ne parvient pas toujours à faire oublier l'image un peu froide qu'il dégage. Heureusement, au centre, Maggy Trottier a du bagout à revendre, et tant pis si la surcharge est parfois de mise, son chant théâtral insuffle un allant salutaire à un lot de compositions aux grooves bluesy.

 


Maggy Trottier

 


Maggy Trottier, Romain Leray

 

Règlement oblige, Flo Bauer a dû venir sans les deux sexagénaires qui l'accompagnent régulièrement. C'est donc seul à la guitare acoustique, la semelle droite prête à faire gronder un bout de plancher amplifié, que se présente cet Alsacien qui n'a pas 20 ans. Il ne lui faut pas longtemps pour afficher en grand son talent. D'abord grâce à un chant d'une maturité exemplaire : sens du placement, belle amplitude, vibrato bluesy… Le jeune homme a de la ressource et son jeu de guitare n'est pas en reste. Fluide, intense et cinglant quand il faut : une telle maîtrise des couleurs se traduit par la signature sonore la plus marquante de l'après-midi. En toute décontraction, il brosse une petite boucle et s'aventure dans un solo vibrant, comme lors de cette relecture inspirée de The thrill is gone qui finit par glisser vers Pretty woman, ou ce Been caught cheating, ballade soulful de Stereophonics qui dépouillée de la sorte honore son ancrage dans le blues. Si en conclusion un Hey Joe toute en finesse et puissance contenue lui permet d'affirmer son sens du show, une composition comme You're the one laisse entrevoir un potentiel soul pop évident. Flo Bauer possède de sacrés atouts pour faire éclore sa personnalité.

 


Flo Bauer

 

Retour au groove musclé avec Rumble2Jungle, quartet breton emmené par le dynamisme contagieux du chant soul de Kissia San dont la coupe afro est en accord avec le credo “engagé” revendiqué. Plus que les textes dont on a du mal à entendre les nuances, c'est par les structures élaborées de leurs compos, servies par des mises en place affûtés, que le groupe se distingue sur un socle funk qui convie blues et rock à la fête. Le leader guitariste Eddy Leclerc en fait parfois un peu trop en solo alors qu'il sait être bien tranchant et que le groove qu'il tresse avec son impeccable tandem rythmique se suffit à lui-même. Ainsi leur Memories qui ondule en douceur avec une pointe de mélancolie offre une superbe conclusion à une après-midi riche en découvertes.

 


Kissia San

 


Eddy Leclerc

 

Verdict du jury :

-Prix Révélation Blues sur Seine : Flo Bauer

-Prix OFQJ – La Marche à Côté de Montréal : Agathe Da Rama

-Prix Coup de Cœur Mississippi : Rumble2Jungle

 

 

Nicolas Teurnier
Photos © J-M Rock'n'Blues