;
Live reports / 10.09.2013

Tremplin Blues des Rendez-vous de l’Erdre

L’édition 2013 des Rendez-Vous de l’Erdre a tenu ses promesses. « Jazz et Belle Plaisance » ont une fois de plus enchanté le public, environ 150 000 personnes, sous un soleil splendide magnifiant la beauté du site. Le blues était bien présent avec la traditionnelle scène blues, mais aussi des concerts à La Chapelle Sur Erdre (Mountain Men) et à Sucé Sur Erdre (Gaelle Buswel, Manu And The Devil Blues, Awek, Mountain Men), sans oublier le blues brunch du Canotier.

Le festival s’est ouvert le jeudi 29 août à Nord Sur Erdre avec Dana Luciano & 4tet avant de se transporter le vendredi 30 au site principal de Nantes et ses huit scènes. En attendant l’ouverture de la scène blues, passage à la scène nautique Ceineray pour écouter la préparation de Michel Portal Unit avec le maître aux saxophones, Vincent Peirani à l’accordéon, Bruno Chevillon à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie. Lorsque ces quatre-là sont en phase, la grâce n’est pas loin.

Le Michel Portal Unit pendant les balances
 

C’est Bo Weavil qui lance la scène blues. Mat Fromont (v, g, hca), accompagné de Miguel Hamoum (bs) et Franck Tommelet (dm), déroule un set de blues électrique en tempo moyen, sombre, au son dur, dont les originaux et les reprises font bon ménage quand Mat joue avec les pédales d’effet de sa guitare. Ça ne plaisante pas, ça s’éloigne du Bo Weavil downhome des débuts, au moins ça n’est pas figé, et ça fixe l’ambiance. Mesdames, Messieurs, le blues frappe à votre porte.

Mat Fromont de Bo Weavil
 

Un contexte que les Mountain Men vont exploiter à fond dans un concert en deux parties, entrecoupées d’une interview télévisée, curieusement faite sur scène. La recette de Mat Guillou et Ian Giddey est connue : début gentil et calme à la guitare ou à l’harmonica, mise en place de la mélodie, ton qui monte au rythme du foot stomping, refrain qui gronde, éclate, coupure brusque, murmure vocal ou instrumental, puis reprise soudaine à pleine puissance. Ils le font sur tous les morceaux ou presque mais le public ne s’en lasse pas et n’est plus qu’un jouet entre leurs griffes. Pourquoi ? D’abord, les deux compères ont un charisme et une présence sur scène évidents. Ensuite leurs compositions sont fortes, ils savent les mettre en scène par de petits accessoires, des mimiques, des saynètes individuelles ou à deux, ils sont brillants musicalement, Mat est un formidable chanteur, Ian un comédien né, le tout dégageant une puissance rare. Tout ça est bien réglé mais non feint. Au pied de la scène, on voit, on peut presque toucher, l’énergie de Mat et Ian. Qui d’autre peut tenter un Georgia on my mind en plein milieu d’un concert et faire exploser le public tout du long ? Grandissime.

Mountain Men : Ian Giddey (hca) et Mat Guillou (g)
 

Fin du concert vers minuit, il fait doux, les rues sont encore pleines de promeneurs, on entend les dernières notes du Michel Portal Unit.

Samedi 31 août, le tremplin blues commence. Déjà concurrents dans une édition précédente, basés à Douarnenez, Bobby And Sue, Violaine « Sue » Fouquet au chant et Brendan « Bobby » de Roeck à la guitare, au piano et au chant, ont le redoutable privilège de passer en premier, dès 15 heures. Mais la qualité de leur prestation va tout de suite attirer la foule. Leur musique en duo passe très bien sur scène, peut-être mieux que sur disque, puisqu’on y profite de leur élégance, leur chaleur, qui valorisent leurs originaux et leurs reprises (très beau Alabama blues). Cette formule minimaliste est osée mais ils occupent bien l’espace, grâce à la belle voix de Sue et à l’accompagnement de Bobby, bon à la guitare et encore plus au piano.

Bobby & Sue
 

L’anglais Thomas Ford leur succède, en one man band, guitares, harmonica, foot stomping et voix. L’homme en est à son 42ème concert en 45 jours et se dit fatigué, ce qui nous vaudra des intermèdes humoristiques dont un où il renversera la bière qui venait juste d’être déposée à ses pieds. Tel un Gollum bluesy et flegmatique, il s’exclamera : « my precious precious beer ! ». Il cassera aussi deux fois une corde de sa guitare National, ce dont nous rirons en discutant après son set, nous disant qu’il n’aurait plus manqué que la pluie ou un éclair sur la sono, pour compléter la malédiction du bluesman. Dès qu’il saisit ses instruments et se met à chanter, la fatigue disparait pour nous emporter dans une jolie séance de blues acoustique ancien ou downhome électrique, très rythmé, au son authentique, sombre ou joyeux, entrainant. Ses compositions, comme Song for Patrick et ses reprises, I choose to sing the blues de Duster Bennett (nationalité oblige !) sont maîtrisées. Du blues, du vrai.

Thomas Ford
 

En attendant la suite, on fait un saut à la scène Jazz Classique pour s’envoler au son de Irakli & The Louis Ambassadors. Tombé dans une marmite de Louis Armstrong quand il était petit, Irakli en perpétue le style et le répertoire avec classe, superbement entouré par Jean-Claude Onesta au trombone, Alain Marquet à la clarinette, Jacques Schneck au piano, Philippe Plétan à la contrebasse et Sylvain Glevarec à la batterie. Le public danse, tout le monde sourit, un signe qui ne trompe pas.

Troisièmes et derniers candidats du jour, venus de Béziers, les Red Beans And Pepper Sauce vont confirmer le buzz : ils envoient ! Laurent Galichon (g) est un solide leader musical, adepte du gros son et des effets, Jessyka Aké une élégante, néanmoins puissante, chanteuse, Baptiste Chaubard un claviériste intéressant qui pourrait prendre plus de place, et la rythmique de Denis bourdié (bs) et Thierry Imperato est costaude. Le groupe commence par un boogie hookerien et enchaine sans transitions sur un instrumental lent et un jump blues. Les échanges entre la guitare et le clavier sont beaux, le rythme est soutenu, ça verse parfois dans le hard rock, mais ça tient la route tout du long.

Red Beans & Pepper Sauce avec Jessyka Aké
 

La journée se termine avec Big Daddy Wilson accompagné par deux musiciens italiens dont Roberto Morbioli excellent à la guitare acoustique. Le look de Wilson est soigné, vêtements sombres, chapeau, lunettes noires, barbiche blanche, sourire généreux, voix grave et chaude, attirail de percussions, le public est conquis dans l’instant, poussant un audible soupir d’aise. Wilson va le régaler avec son répertoire de blues, folk, gospel, qu’il habite d’une grande énergie, bien soutenu par Roberto Morbioli qui apporte une touche moderne en multipliant les solos. La musique est belle, douce, parfois enlevée, toujours entrainante, ce qui se traduira en une forte presse lors de la vente de disques avec signature d’autographes après le concert.

Bid Daddy Wilson

Roberto Morbioli
 

Sur le chemin du retour, un disque de Johnny Otis aide à redescendre doucement.

Le dimanche 1er septembre s’ouvre paisiblement avec le blues brunch du Canotier, animé par Thierry Gautier (le « Lone Wolf » des Backdoormen, v, g) et Bruno Rouillé (hca). Ces deux-là sont à leur affaire, blues rugueux, comme la voix de Thierry, guitares agiles, harmonica virtuose, rythmé par le passage du tramway, et apprécié par un public déjà conséquent.

Blues Brunch avec Thierry Gautier et Bruno Rouillé
 

La deuxième phase du tremplin est entamée par Blues Connexion, groupe perpignanais conduit par le leader chanteur guitariste harmoniciste et anglais John Hillary. Adepte du Chicago blues électrique, le groupe s’appuie sur l’impulsion rythmique souple et dynamique de Fred Duclos (dm) et Bernard Guirao (bs), la guitare solo de Gilles Violet et la trogne de son leader, sa voix râpeuse, son harmonica efficace, ses guitares dont une belle rectangulaire rouge dont on se dit qu’elle va valoir une reprise de Bo Diddley mais non. Le son est bon, le répertoire rempli de shuffles bien balancés et autres rythmes chaloupés, le soleil finit de se lever, le public est nombreux, déjà très chaud malgré l’horaire. Comme quoi, les fondamentaux ont du bon !

John Hillary de Blues Connexion
 

En direct de Clermont-Ferrand, le Aurélien Morro Blues Band fait monter le niveau sonore, avec un blues bien rock, mettant en avant la guitare très véloce du leader Aurélien Morro, qui laisse peu de place au clavier de Frédéric Canifet et s’appuie sur la rythmique sans faille de Eric Courier (bs) et Miguel Pereira (dm, physique impressionnant qui ne l’empêche pas d’être d’une excellente souplesse sur ses fûts). La machine est rodée, Aurélien tient son groupe en mains, son chant est neutre mais sa guitare distille de très beaux passages blues, en rythme lent comme en jump, avant de se déchainer dans des phrases héroïques auxquelles le public va bien réagir.

Aurélien Morro Blues Band
 

Dernier candidat, le groupe parisien Nantucket relate un voyage à travers les Etats-Unis, via un blues aux facettes multiples, souvent jazz, parfois soul, parfaitement interprété et chanté. Raphaëlle Naudin est une liane vêtue de rouge, à la voix puissante et bien placée, qui tient le lien avec le public. Nils Frechilla est un guitariste délicat, Erwan Ricordeau un étonnant contrebassiste moderne, et Aurélien Pasquet un batteur efficace. Leur mise en scène, contraignante au début, s’assouplit peu à peu, permettant au groupe de se lâcher, totalement imprégné de sa musique et la vivant intensément au point pour Raphaëlle d’en avoir les larmes aux yeux. Convaincant !

Nantucket
 

C’est alors l’heure pour le jury de délibérer avec encore une fois des choix difficiles tant le niveau musical a été élevé. Le premier prix va à Thomas Ford, le deuxième à Blues Connexion, et le troisième à Nantucket (prix France Blues). Thomas Ford fait le grand chelem avec également les prix SoBlues de l'Europa Jazz Festival, Montfort Blues Festival, Leons Blues Festival et Soul Bag !

The winner is… Thomas Ford
 

Le palmarès est annoncé sur scène, ponctué de cris de joie par ceux qui voient récompenser leurs favoris.

Il est temps de laisser la place aux vainqueurs du tremplin 2012, les Nantais Lazy Bones. Comme le dit Alain Millet, co-organisateur de la scène blues, guitariste et membre du jury : « Ils sont jeunes, ils sont sympas, ils jouent très bien, ils chantent super, ils ont un charisme extra, on n'arrive pas à leur trouver un défaut, je cherche encore ». il faut reconnaître qu’en un an, le groupe a beaucoup gagné en maturité et montre désormais une maîtrise qui en dit long sur son potentiel. Son, swing, élégance, tout est là, il ne leur manque plus qu’un répertoire original, pour mieux entourer leurs reprises érudites et l’avenir leur appartiendra ! En invités, Eric Lebeau à la contrebasse, Antoine Julé à la guitare, et Kévin Doublé à l’harmonica font valoir leurs propres qualités sans rompre l’unité du concert. Avec Bo Weavil, Thierry Gautier et Bruno Rouillé, tout ce petit monde montre la richesse de la scène nantaise.

François Nicolleau et Thomas Pichot des Lazy Bones avec, en invité Kevin Doublé (hca)
 

Il est presque 21 heures, c’est le temps des adieux avec les musiciens, les membres du jurys, les spectateurs qui ont du mal à partir, l’équipe technique, alors qu’on entend les premières notes du concert de Sandra Nkaké sur la scène nautique. Elle va, nous le saurons le lendemain, y faire un malheur.

Merci à Armand Meignan pour sa programmation impeccable.

Texte et photos Christophe Mourot

 

Une playlist vidéo est disponible sur Dailymotion : « Rendez-Vous de Erdre 2013 », http://www.dailymotion.com/playlist/x2tn0i_Chapelle_Sur_Blues_rendez-vous-de-erdre-2013/1#video=x14bu8s)