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Live reports / 27.08.2015

Talant Blues Festival

Le deuxième Festival de Blues de Talant (près de Dijon) a présenté une programmation riche et originale privilégiant la qualité, l’éclectisme et bien sûr le blues dans toute sa variété. Rappelons que le premier volet, en 2014, avait déjà présenté une affiche alléchante avec des artistes comme Shemekia Copeland, Marquise Knox et Eugene « Hideaway » Bridges, sans oublier l'unique date en Europe de l’ancien membre du Paul Butterfield Blues Band, Elvin Bishop venu avec son orchestre. Il faut savoir trouver la salle Sant-Exupéry-Eyquem, mais les habitués et quelques nouveaux curieux ont répondu présent et ont été immédiatement récompensés, dès la première soirée plutôt féminine du vendredi 26 juin.


Veronica Sbergia et les Red Wine Serenaders. © : Patrick Jacquel

Veronica Sbergia (chant, ukulélé, washboard, kazoo) et ses Red Wine Serenaders, Max De Bernardi (chant, guitare National Reso-Phonic, ukulélé) et Dario Polerani (chant et contrebasse), nous ont fait voyager vers le blues d'avant guerre mâtiné d'hawaïen. Veronica est une chanteuse dynamique, souriante et attachante, qui présente en français les titres, allant jusqu'à proposer une « surprise » pour le public hexagonal, qui chantonnera avec elle Mon amant de Saint-Jean, transformé pour la circonstance en ballade blues. Au milieu des notes d’ukulélé (Ukulélé swing), de la planche à laver et du kazoo accompagnés par la basse solide, c'est le beau picking de Max sur sa guitare National Tricone qui attire l'oreille. Il faut oser jouer du Blind Blake de manière aussi décontractée comme sur Wabash rag : on pense à Bo Carter, Gary Davis ou Blind Boy Fuller. La composition The resurrection on the honeybadger en guitare slide est dans la lignée des John Fahey, Bob Brozman ou Cyril LeFebvre. Un répertoire puisé dans celui des jug bands, de vieux blues réinterprétés avec originalité, comme le ferait le belge Elmore D. Après l'énergique Up above my head (Sister Rosetta Sharpe) et un Jitterbug swing endiablé de Bukka White (avec l'ambiance de raga indienne rappelant, encore, les divergences de la guitare de Fahey), ils terminent avec le doux Shine on harvest moon, nous ramenant dans les îles du Pacifique. L'orchestre italien a complètement enthousiasmé par sa fraîcheur des relectures de vieux thèmes, il ne faut pas manquer d'aller le voir s'il passe près de chez vous.


Lisa Simone. © : Patrick Jacquel

Avec Lisa Simone nous restons dans une ambiance acoustique mais plus jazzy. Lisa présente sa musique en français : elle aussi fera chanter le public avec les paroles originales des Feuilles mortes, thème incontournable des jazzmen (sans compter Eric Clapton qui a fait sa version de Autumn Leaves !). La guitare acoustique du sénégalais Hervé Samb, avec quelques discrets effets, accompagne élégamment la belle voix claire et précise de Lisa qui dégage un charisme indiscutable dans sa fine robe moulante. Elle sait qu'elle est la fille de Nina, mais son chant s'en démarque, reprenant son répertoire sans excès (Ain't got no, I got life), juste consciente d'y être obligée en hommage respectueux pour sa maman et le public. Le ton du show est aussi dans les rythmes dansants, funky, presque rock, n'oubliant pas le blues de base : le tout est accompagné par la solide basse du New-Yorkais Reggie Washington et la batterie du guadeloupéen Sonny Troupé qui nous gratifia d'un magnifique solo. Mais c'est aussi dans les ballades avec seulement une guitare que Lisa brille, revisitant « l'incunable » Suzanne de Léonard Cohen avec talent.


Léo Misset et French Couisine. © : Christian Esther

Après cette belle entame, il était possible le lendemain après-midi, en plein air à deux pas du complexe, d'écouter des groupes locaux comme Jurassic Blues, Léo Misset & French Couisine ou After Midnight… mais en restant relax à l'ombre, avec une boisson, près du jardin d'enfants, en raison du début de canicule. Il fallait aussi aller flâner dans les trois expositions en une à la proche salle Pierre-de-Coubertin : d'abord une rétrospective de l'association Jagoblues qui fêtait les 20 ans d'une riche programmation et un hommage à B. B. King dont la photo trônait, d'ailleurs, sur la scène. Les musiciens, tout au long des deux soirées, par un mot ou un morceau dédié, salueront sa mémoire. Il y avait aussi la belle présentation de l'histoire du blues Back to the Roots ,  proposée par l'association dijonnaise La Clef des Bayous. Affiches, pochettes de disques, badges et vitrines thématiques ont permis aux amateurs de blues de rester dans l'ambiance des concerts et aux novices de se documenter agréablement pendant les entractes. Quelques anciennes belles couvertures noir et blanc (Soul Bag des années 1970) étaient bien mises en évidence. On regrettera que l'expo ait été située dans une salle un peu trop vaste et à l'accès non évident.


Joel Paterson et Joe Nosek. © : Christian Esther

La soirée du samedi 27 juin débute avec les énergiques Cash Box Kings  emmenés par  Joe Nosek, dont le chant et l'harmonica nous plongent dans un efficace Chicago Blues millésimé années 1950 ramenant les fantômes de Sonny Willamson 2 ou de Little Walter. La rythmique française de Fred Jouglas (basse) et Pascal Delmas (batterie) ne déméritera pas. Joe revisitera à la sauce blues un intéressant  I'm waiting for the man de Lou Reed et du Velvet Underground… Joel Paterson est un fin guitariste multistyle :  il joue aussi de la lap steel, du bottleneck et du rockabilly. Il dédiera un bel instrumental à B. B. King.


Joel Paterson et Oscar Wilson. © : Alain Millard

C'est ensuite Oscar Wilson qui mènera la danse en parfait entertainer, si l'on peut dire, car malgré un pied cassé une semaine plus tôt, il n'a pas voulu annuler la tournée en Europe. Son ouverture avec un énergique Walking blues est tout à fait appropriée ! Il ne laisse rien paraître de sa douleur et reste debout. Influencé  par sa famille de musiciens, chanteur de 61 ans trop sous-estimé, il connaît bien le blues du South Side de Chicago, le  gospel et le répertoire « classique » (Too late, Bring it on home de Willie Dixon), et inscrit, dans la même lignée, ses compositions intéressantes comme l'entraînant boogie Black toppin’, qui est aussi le titre du dernier CD  des « rois du tiroir-caisse ». Ils ont proposé une « riche » prestation fort appréciée et revitalisante qui a chauffé la première partie de la soirée.  Nous espérons les revoir bientôt avec un Oscar guéri et … de bon pied.


Curtis Salgado. © : Alain Millard

Avec Curtis Salgado, excellent harmoniste sachant évoquer les grands (Sonny Boy ou Little Walter), nous restons dans le son du  Chicago Blues  des années 1950 (Bluebird, She so fine)… mais pas seulement : il est aussi un grand chanteur soul/rock/blues à mettre à côté d'Eric Burdon,  Van Morisson ou Mitch Ryder (vous vous rappelez ce gars des Detroit Wheels dans les années 1960, n'est-ce pas?). Une voix tendue de ténor à la limite de la rupture avec une émotion soul non feinte : il  le prouvera  en interprétant O. V. Wright, une des ses idoles, avec Don't let my baby ride et  Nobody but you.


Curtis Salgado. © : Christian Esther

Parfaitement à la hauteur de Curtis, un orchestre français l’accompagne (Benoit Ribière  aux claviers, Mig Toquereau,  ex-Doo The Doo à la basse, Fabrice Bessouat à la batterie). Curtis est aussi compositeur et il chantera Drivin' in the drivin' rain et l'ironique, et tristement approprié,  20 years of B. B. King. Coécrite avec David Duncan, elle cite les titres de B. B. et a été inspirée par un fan qui disait avoir appris plus de Curtis en deux semaines qu’en vingt ans de B. B. King ! Mais nous  allons continuer à apprendre du King et, espérons-le, encore longtemps de Curtis Salgado !


Selwyn Birchwood. © : Alain Millard

Si l'arrivée, comme une tornade venue de Floride, de la guitare musclée  de Selwyn Birchwood a fait fuir quelques-uns, d'autres spectateurs ont été immédiatement enthousiasmés. La couleur est un peu rock – comme savait le faire un Luther Allison ou un Stevie Ray Vaughan – avec la rythmique en béton de  Huff Wright (basse) et Curtis Nutall (batterie), colorée étrangement par le saxophone baryton de  Regi Oliver. Oliver et Birchwood ne manqueront pas de s'affronter (saxo contre guitare, comme au bon vieux temps du R&B), déambulant dans la salle au grand plaisir de tout le monde. Récemment primé et signé sur le label Alligator, ce grand jeune homme au beau sourire d'à peine 30 ans, annoncé comme la relève du blues, n'a pas démérité et a rempli son contrat


Selwyn Birchwood. © : Christian Esther

Les idoles de Selwyn, depuis le lycée, sont Jimi Hendrix, Albert King, Freddie King, Albert Collins, Muddy Waters, Lightnin’ Hopkins et Buddy Guy qui le scotcha lors d'un concert. Mais il a eu la chance d'avoir un bluesman vétéran en voisin – ce qui est bien pratique pour apprendre le blues ! -, en l’occurrence Clarence Smith, plus connu sous le nom de Sonny Rhodes. Il doit sûrement de lui cette belle démonstration de lap steel à la fin du concert avec Hoodoo stew, composition au riff de saxo baryton velu et jouissif empreint de voodoo… ou bien est-il entré dans une église ou la sacred steel faisait l'office ! Une belle voix et une guitare qui sait se faire douce et sensible avec un jeu avec les doigts qui n'est pas sans rappeler le meilleur Hubert Sumlin. Il finit le set, sur le rappel, en citant le bluesman Son Seals. Espérons que ce jeune musicien talentueux va nous donner encore de belles prestations et saura  mener sa carrière avec originalité…


Expo blues. © : Christian Esther

Animations, expos, films et deux belles soirées de concerts, la deuxième édition du festival de Talant est un bon cru avec des artistes rares chez nous, mixant le blues avec le jazz, le gospel, le rock, le folk, Hawaï… et même la chanson française que ce soit en ambiance acoustique ou plus  électrique : bien sûr, ouverture d'esprit obligatoire ! Remercions les sonorisateurs qui, comme l'année dernière, ont fait dans la qualité. Enfin, savez-vous ce que signifie le nom de l'association Jagoblues ? La réponse est JAzz, GOspel et BLUES… bien sûr.

Christian Esther