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Live reports / 06.12.2016

SoBlues Festival

La programmation du SoBlues Festival est resserrée cette année avec des concerts regroupés en trois jours et dans la seule salle des Saulnières, pour un événement qui y gagne en densité et en dynamisme. Aux concerts sur scène s’ajoutent des “apéro-blues” avec des prestations musicales sur une petite scène installée dans le hall, à côté d’un bar où boissons et assiettes gourmandes sont proposées. C’est aussi dans ce hall des Saulnières que Stéphane Duarte expose des photos des années précédentes du festival. Il faut ajouter le Centre des Jacobins, galerie commerciale la plus importante du Mans, où un local dédié au festival est ouvert, avec une exposition de pochettes de disques blues, extraits de la collection du directeur du festival Armand Meignan, des affiches d’artistes programmés au Mans par SoBlues et l’Europa Jazz auparavant, et des conférences. Enfin, les Saulnières accueillent un stage de danse swing et lindy hop.

Le jeudi, le duo Manceau Wymore ouvre l’apéro-blues, avec Stéphane Masson à la guitare et au chant et Laurent Duflos à la basse, qui joue assis car il assure aussi les percussions au pied. Leur blues est électrique, moderne, et la formule est prometteuse.

La grande scène est inaugurée par la Music Makers Blues Revue, avec un assemblage de musiciens éclectique. Le noyau dur du groupe est composé d'Albert White à la guitare, Lil’ Joe Burton au trombone, il sera aussi une sorte de maître de cérémonie, Nashid Abdul Khaaliq à la basse et Artie Dean à la batterie. C’est Alabama Slim qui prend le premier lead et plante le décor pour lequel Music Makers est réputé : blues à la façon du delta, riffs répétitifs, chant brut. Pas de surprise mais du plaisir avec des rythmes hookeriens, et un Baby please don’t go bien senti. Albert White lui succède, en plus électrique, avec des reprises de Funny how time slips away  ou Hoochie coochie man. En fond musical, Lil’ Joe Burton égrène des riffs de trombone, parfois fantaisistes mais toujours pittoresques. 

 


Alabama Slim

 


Albert White

 


Lil’ Joe Burton

 

Je ne verrai que peu Robert Lee Coleman, ex-guitariste de Percy Sledge ou James Brown, car c’est pendant son passage que j’ai pu interview Mr. Sipp pour Soul Bag, mais ce que je peux écouter montre que l’homme a encore du blues plein la voix et la guitare. C’est Robert Finley qui sera la star du show. Allure superbe, répertoire très soul, forte présence scénique, soucieux d’emballer le public, son passage mettra tout le monde debout, d’autant qu’il termine par un A change is gonna come a cappella, très risqué a priori mais qui passe très bien. Pour le final, Albert White reprend la direction des opérations, rappelle tout le monde sur scène et c’est parti pour Rock me et ce qui ressemble à There was a time de James Brown avec un Robert Finley déchaîné aux pas de danse à la Mashed potatoes.

 


Robert Lee Coleman

 


Robert Finley

 

La New Blues Generation est cette année composée de Mr. Sipp et Terrie Odabi. Ils entrent ensemble sur scène, accompagnés par les musiciens de Mr. Sipp, Stanley Dixon à la batterie et Jeff Flanagan à la basse. Dès le premier titre, c’est la claque. La majestueuse présence de Terrie, la guitare délicieusement blues de Mr. Sipp, la souplesse de la section rythmique, la cohésion d’ensemble, augurent d’un concert marquant. Le chant de Terrie est puissant, mais nuancé, jamais forcé. Elle commence avec Evolution of the blues, enchaîne avec Ball and chain et I’m a woman en mode Rock me, clamant qu’elle est « all pure » ! Wang dang doodle est son quatrième et dernier titre. En quittant la scène, elle laisse une impression de trop peu. Par la suite Mr. Sipp va assurer un spectacle impeccable, rempli de belles parties de guitare, de vocaux efficaces – à noter que le soutien vocal de Jeff Flanagan se fait au travers d’un système qui lui permet de sonner comme plusieurs choristes à la fois –, avec un engagement scénique généreux, duck walk, pas de danse coordonnés avec Jeff Flanagan, mimiques, solo de guitare dans le public, tout y passe et repose sur lui. Le répertoire reprend une bonne partie de son disque Malaco, mais aussi des classiques, comme I found a love, Forty days ou You send me interprété en chant et guitare seuls. On est rassasié, peut-être un peu trop, et c’est avec plaisir qu’on voit revenir Terrie Odabi pour le rappel.

 


Terrie Odabi

 


Mr. Sipp, Jeff Flanagan

 

Le vendredi, l’apéro-blues est animé par Éric C et Kévin Doublé. Les deux compères ont le don pour mêler blues anciens et modernes, du Mississippi, de Chicago et d’ailleurs, pour les fondre dans une musique revigorante et de nombreux moments de grâce. Ils chantent et jouent très bien, on ne s’en lasse pas.

 


Kevin Doublé, Éric C

 

Sur la grande scène, ça va être une découverte pour beaucoup, le duo anglais Heymoonshaker propose une formule chant-guitare et beatboxing percutante et efficace. Andrew Balcon et Dave Crowe vont faire un malheur dans ce contexte. Ce n’est finalement pas très blues, mais peu importe tant leur spectacle est emballant, dynamique, humainement préservé par les jolis contacts que Dave, le beatboxer, entretient avec le public, parlant français avec un délicieux accent : «Achetez notre disque et vous verrez que vous aurez du succès dans la vie, au travail, dans vos expériences sexuelles. » Leur version de Whole lotta love fera rugir le public. Celui-ci s’était rajeuni mais une partie des jeunes justement s’en ira après ce concert, ce qui sera une erreur parce que Shakura S’Aida et son gang sont en forme et le montrent dès le début de leur set. Le groupe est toujours composé de Roger Williams à la basse et Tony Rabalo à la batterie, mais c’est Brooke Blackburn qui officie à la guitare et Vinz Pollet-Villard qui tient les claviers. Shakura a suffisamment de morceaux forts dans son répertoire pour y consacrer la majeure partie du show : Queen of rock and soul, Geechie woman, One monkee don’t stop the show, le funky et coquin My sweet spot, « I got the itch, you got the scratch, you touch me in my sweet spot »… Alors que le guitariste habituel, Paige Armstrong, ne joue qu’en électrique, Brooke Blackburn apporte de la diversité en jouant aussi à la guitare acoustique. Damn your eyes est ainsi interprété à trois, Shakura au chant, Brooke à la guitare acoustique et Roger Williams à la basse. Cela dit, les changements de guitare feront parfois retomber la tension. Le rappel est généreux avec trois titres dont Using me avec Vinz à l’orgue et Brooke au scat et à la guitare, et Time à pleine puissance.

 


Heymoonshaker

 


Brooke Blackburn, Shakura S'Aida

 

Le samedi après-midi, votre serviteur parle du blues californien à l’Espace Jacobins. En début de soirée, Sandra Caroll et Mat Mathis chauffent un hall copieusement rempli avant que Fred Cruveiller chauffe à son tour la grande scène. Avec Eric Petznick à la batterie et Laurent Basso à la basse, le toulousain délivre un solide set de blues électrique, sa guitare à résonateur est aussi très amplifiée, voyageant entre Chicago et le Sud profond. Fred est placé au chant, très agile à la guitare, en restant du bon côté de la force. Il reprend des titres de Junior Wells, Little Walter, Keb Mo, Gary Clark Jr, Vera Hall, mais joue aussi ses propres compositions qui n’ont pas à rougir de la comparaison. En rappel, il chante fort bien le Feels like rain de Buddy Guy. En inter-scène, le danseur François Chag, animateur du stage de danse lindy hop et West Coast swing de l’après-midi, en fait une démonstration, seul ou accompagné d’une autre danseuse.

 


Sandra Caroll, Mat Mathis

 


Fred Cruveiller

 

Le plateau est protéiforme ce soir puisque, après le blues électrique, c’est le rhythm and blues cuivré de Nico Duportal & his Rhythm Dudes qui prend possession de la scène. Nico à la guitare et au chant, Olivier Cantrelle aux claviers, Thibaut Chopin à la contrebasse, Pascal Mucci à la batterie, Sylvain Tejérizo et Alex Bertein aux saxophones, c’est un sacré gang qui démarre à fond. Le répertoire privilégie le nouveau disque “Dealing With My Blues” et ça passe très bien, Nico gérant habilement les changements de rythme et d’ambiance apportés par les morceaux plus doux comme The one to blame ou Mess and chaos. S’il est le personnage central du show, les claviers et les saxophones ont droit à une belle place et la contrebasse aussi avec un solo agréablement slappé. Rhythm and blues, jump, rock and roll, mambo, il y en a pour tous les goûts et toutes les danses.

 


Nico Duportal & his Rhythm Dudes

 

C’est ensuite le dernier concert du festival, déjà, et ça va encore être une grosse claque. Le Chicago Blues Festival 2016 est d’un niveau comme on n’en a pas vu depuis longtemps. Qualité des leaders, Eddie Cotton Jr, guitare et voix, Grady Champion, guitare, harmonica et voix, Diunna Greenleaf, voix, et des accompagnateurs, musiciens habituels d'Eddie Cotton, Darryl Cooper aux claviers, Myron Bennett à la base et Kendero Webster à la batterie, tout est prêt pour donner ce que le public attend : du blues et du vrai. Tout le monde entre en scène en même temps, Eddie et Grady à la guitare, Diunna au chant qui prend le spectacle en main. Elle explique que Sam Myers lui a un jour recommandé de ne jamais oublier « les amis des jours ensoleillés » et, hop, c’est parti pour Sunny day friends extrait de son CD “Trying To Hold On”. Elle enchaîne ainsi quatre chansons, avec une autorité réjouissante car on voit bien que l’orchestre joue pour elle avec plaisir. Elle a une voix et un physique imposants mais évite les clichés du genre, préférant rester dans la nuance et la gentillesse. C’est du velours pour Grady Champion qui prend la suite. Voix râpeuse, harmonica terrien, présence engageante, il sait y faire et le public est rapidement conquis. Son répertoire est enlevé, blues, soul, et l’harmonica lui permet d’aller faire un long solo au milieu du public.

 


Diunna Greenleaf

 


Grady Champion

 


Eddie Cotton Jr

 

Pendant ce temps, Eddie Cotton Jr sert le groupe à la guitare et ses solos rendent impatient de le voir en leader. Quand il le fait, il commence par un très beau blues lent, dont les paroles sont émaillées de nombreuses références à l’être aimé mais aussi à l’homme de la porte de derrière. C’est du blues, avec ses thèmes classiques, mais rendu intemporel par le talent musical et vocal, la ferveur et le feeling. Eddie Cotton est de ces bluesmen qui n’ont pas besoin d’en rajouter, c’est par le feeling qu’il conquiert le public. That ain’t it en mode funky avec solo énorme, Don’t you lie to me survitaminé avec intro à la Dust my broom et riffs empruntés à Chuck Berry, ses reprises sont transfigurées avec goût et ses originaux sont au même niveau. Tout ça est beau à écouter et à regarder. Ces gens sont heureux et nous aussi. Le rappel est endiablé, boosté par le retour de Diunna Greenleaf, Grady Champion lui-même réclamant de chanter Sweet home Chicago ! Il est tard quand le concert se termine, mais le blues, c’est comme le vin, quand il est bon, il ne fatigue pas !

Texte et photos : Christophe Mourot