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Chroniques / 27.01.2021

Sevdaliza, Shabrang

Les inflexions persanes de sa voix sont peut-être une partie de la réponse, à moins que ce soit davantage sa manière d’inscrire son vibrato fissuré dans une tension dramatique d’une beauté sombre insaisissable. Toujours est-il qu’on se demande encore pourquoi et comment cette chanteuse néerlando-iranienne nous ensorcelle. Avec un sens particulièrement affûté des textures sonores, Sevda Alizadeh taille son deuxième album dans un roc de spleen, d’angoisse et de lumière transcendante dont les éclats sont propres à un surprenant mélange de langueur trip-hop, de puissance electro et de délicatesse de phrasé, vocale comme instrumentale. 

Au chant à fleur de peau répond bien souvent un piano habité, celui de Leon Den Engelsen, dont l’articulation mélancolique contribue grandement à l’épanouissement de pièces vraiment intenses : la boucle majestueuse et désespérée de Habibi, le climat trouble au groove sous-jacent de Darkest hour, la virtuosité enveloppante de Comet… L’imparable Oh my God, le titre le plus directement R&B, s’appuie quant à lui sur des torsions de timbres sans qu’un effet gimmick prenne le pas sur l’écriture agile et sinueuse de Sevdaliza. Derrière le faux détachement de sa mise en scène, c’est d’ailleurs l’audace de son approche qui imprime sa personnalité. Un côté organique qui paradoxalement trouve un éclairage retentissant lorsqu’elle a recourt à l’auto-tune pour atteindre dans Human nature une cime suraiguë renversante.

On serait tenté d’analyser le minimalisme saisissant des deux premiers morceaux (Joanna, Shabrang et leurs guitares tordues) ou l’impact d’une volée de cordes, mais on se souvient que les meilleures alchimies gardent à jamais leurs secrets. Et que les albums les plus difficiles à cerner sont parfois les plus marquants. 

Nicolas Teurnier  

Note : ★★★★½
Label : Twisted Elegance
Sortie : 28 août 2020

Nicolas TeurnierSevdaliza