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Live reports / 21.09.2016

Rendez-Vous de l’Erdre

Trentième édition des Rendez-Vous de l’Erdre, jazz, belle plaisance et blues, sur les bords de l’Erdre, à Nantes et dans les villes qui bordent ses rives, La Chapelle-sur-Erdre, Sucé-sur-Erdre, Nort-sur-Erdre, Carquefou, Petit Mars. Deux nouvelles salles offrent leur scène au festival, le Pannonica et la salle Paul Fort (“la Bouche d’Air”). Il faut y ajouter les scènes éphémères qui, tout au long du festival, offrent de la musique, le matin au réveil, le soir à l’apéritif ou dans la journée dans les stations de transport en commun.

Concentrés sur le blues, nous ne pourrons pas suivre le programme jazz et la frustration est grande de ne pas écouter plus longuement ce dont nous ne profiterons que par bribes sur les autres scènes (Lilian Mille, Nicolas Folmer, les créations de Jean-Marie Bellec, Foenix Big Band, Tony Allen, Brotherhood Heritage, et bien d’autres). Et même dans le blues, nous sommes malheureusement certains de ne pas tout voir puisque pendant que la scène blues de Nantes bat son plein, celle de Sucé-sur-Erdre avance aussi à son rythme.

L’ouverture musicale blues se fait dès le mercredi 17 août avec le premier concert de la tournée des Batignolles, assurée cette année par Kévin Doublé et Éric C. Le duo acoustique va ainsi jouer pendant une semaine, dans les quartiers du nord et de l’ouest de Nantes.

Le blues est aussi présent le jeudi 25 août pour l’ouverture officielle du festival à Nort-sur-Erdre, avec le premier rassemblement des bateaux dans le port de la ville, et le concert d'Arnaud Fradin and his Roots Combo. Accompagné par Igor Pichon à la contrebasse, Thomas Troussier à l’harmonica et Baptiste Brondy (de Delgrès) à la batterie qui remplace Richard Housset au pied levé, Arnaud va nous emmener dans une douce soirée de blues acoustique, puisé à diverses sources, Skip James, Robert Johnson, JB Lenoir, élargi par une reprise de Bob Dylan. Le format en quatuor actualise une musique jouée essentiellement en solo à l’origine. Les temps forts sont Walking blues, joué vigoureusement, I know it was your love repris du répertoire de Malted Milk et Karl W. Davis, et le final en shuffle Chicago blues. Les solos sont surtout l’affaire de Thomas Troussier, toujours aussi plaisant à écouter. Il fait beau, la chaleur baisse un peu en intensité, la bière est fraîche, la galette saucisse est délicieuse, ce festival commence bien.

 


Arnaud Fradin et Thomas Troussier © Christophe Mourot

 


Port de Nort-sur-Erdre © Christophe Mourot

 

La scène blues de l’Ile Versailles à Nantes débute le vendredi 26 août au soir. Elle accueille cette année le Challenge Blues Français, organisé par l’association France Blues. Six finalistes pour trois prix, deux pour accéder à l’International Blues Challenge 2017 de Memphis, un pour l’European Blues Challenge 2017 au Danemark. Kathy Boyé and the DTG Gang lancent le concours, tout de violet vêtus. Il y a bien entendu Sam Mister Tchang à la guitare – qu’on n’entend jamais assez – mais aussi Jimmy G. James, choriste de Vocal Colors, la formation gospel de Kathy, à la deuxième voix, ce qui fait intelligemment le lien entre les deux univers musicaux de Kathy. Celle-ci se concentre sur la partie blues de son disque “The Power Of My Shoes” et se livre avec un dynamisme et une sincérité indéniables. Red beans and Pepper Sauce prennent la suite avec un blues rock très rock, qui devra faire sans le clavier, mystérieusement en panne. Le groupe ne sera que peu désarçonné, capable d’adapter illico son répertoire et préserver son gros son.

 


Mister Tchang et Kathy Boyé © Nico Sturma

 


Red beans and Pepper Sauce © Nico Sturma

 

Vicious Steel, avec Cyril Maguy aux guitares et au chant et Antoine Delavaud à la batterie, prend comme à son habitude la scène et le public d’assaut pour ne plus les lâcher. Charisme de Cyril, richesse rythmique d’Antoine, originalité du répertoire, compositions et reprises, contact avec le public, ce duo a tout pour réussir. Bobby & Sue leur succèdent, avec leur univers tout aussi original, mélange de soul, jazz, folk, mis en valeur par la superbe voix de Violaine-Sue, mais avec peut-être trop de changements d’instruments de Brendan-Bobby (guitare, banjo, clavier) en si peu de temps.

 


Cyril Maguy (Vicious Steel) © Nico Sturma

 


Bobby & Sue © Christophe Mourot

 

Retour du gros son avec Gaëlle Buswel et son gang, Michaal Benjelloun (g), Xavier Zolli (b), Steve Belmonte (dm). Que ce soit blues ou non, peu importe, c’est puissant, carré, musicalement et visuellement attractif, le public apprécie. Puisse Gaëlle percer au-delà du circuit blues. La conclusion revient aux Cotton Belly’s, qui se mettent le public dans la poche en un clin d’œil. Jeunes, affûtés, souriants, communicatifs, Yann Malek (vo, hca), Aurélie Simenel (dm), Kiki Etienne (b), Jérôme Perraut (g), portent un répertoire folk blues boosté qui fait mouche, ovationné par le public.

 


Gaëlle Buswell © Christophe Mourot

 


Yann Malek (Cotton Belly's) © Nico Sturma

 

Après délibération, le jury désigne Cotton Belly’s pour représenter la France à l’IBC dans la catégorie “Groupe” et Vicious Steel pour la catégorie “Solo/duo”. Gaëlle Buswell est primée pour l’EBC. Les Cotton Belly’s interprètent un dernier morceau et il est encore temps d’aller écouter la fin du concert du Foenix Big Band avec Eric Barret et Nicolas Folmer, merveilleuse création où hip-hop et big band se mêlent dans un jazz funky à souhait. On en profite pour admirer les éclairages de façades le long de l’Erdre et celui, exceptionnel, sur toute une face de la tour Bretagne.

 


© Christophe Mourot

 

Le samedi 27 août lance le tremplin blues, dont il faut souligner que des anciens finalistes étaient présents la veille au challenge blues français et que deux ont été primés. Jakez & the Jacks sont les premiers à tenter leur chance. Le Westside blues de Chicago constitue la majeure partie du répertoire de ce quartet emmené par Jakez Rolland (vo, g), avec Thomas Allain (g, hca), Julien Dubois (b) et Hugo Deviers (dm). Mais ils savent aussi descendre au sud. Jakez vit son blues intensément au point de parfois se laisser dépasser par l’enjeu et de parsemer son jeu et son chant de quelques blancs qui ne seront pas difficiles à gommer. Mais le plaisir est grand d’entendre un jeune groupe faire du Westside blues son fond de commerce. Thomas Allain est impeccable à la guitare rythmique et à l’harmonica et la paire Dubois-Deviers est une des meilleures de France, à la fois précise et souple. Olivier Gotti, seul au chant et à la guitare à plat sur les genoux, a la stature pour leur succéder. Il dégage une étonnante puissance, et une grande expressivité empreinte de poésie, qu’il met très bien en voix, avec un grain qui n’appartient qu’à lui. Le soleil pèse sur la scène mais c’est sa chaleur à lui qui prévaut. En plus il offre une belle version de son magnifique Curtain’s falling, pourtant joué en orchestre sur son dernier disque. Le Tony Martin Trio clôt cette première partie du tremplin avec un blues moderne, reposant sur la guitare étourdissante de technique et de vélocité du leader. Albert King et les Meters sont les premiers inspirateurs de son set qui devient vite très personnel tant il sait recomposer ses reprises et les entrelacer de ses originaux.

 


Jakez Rolland © Nico Sturma

 


Olivier Gotti © Nico Sturma

 


Tony Martin © Nico Sturma

 

La soirée du samedi est celle que beaucoup attendent. En 2015, Sugaray Rayford et son groupe avaient renversé Nantes. Que va-t-il en être en 2016 ? Neal Black et Larry Garner partent, pour notre plus grand plaisir, sur les mêmes standards de qualité. C’est d’abord Neal qui apparaît, avec Kris Jefferson à la basse, David Bowler à la batterie et Mike Lattrell aux claviers. Voix râpeuse, sourire sympathique, guitare sobrement blues rock pour ses compositions Daily bread et Jail in San Antonio, avec une bonne dose de rock and roll en instrumental, Neal sait y faire pour chauffer le public. Larry Garner arrive, habillé avec classe dans un camaïeu de tons bruns, jusqu’aux chaussures bicolores. Il lui suffit d’être là, de sourire, de parler au public, de chanter quelques mots de sa voix instantanément reconnaissable, et on bascule totalement. She’s the boss, Cold chills, font monter la tension puis les deux compères se mettent en mode duo pour interpréter le répertoire de leur disque commun, avec Saints in New Orleans, encore plus country et sudiste qu’en studio, ou A friend like you. Quand Larry lance un blues lent à la guitare, c’est le frisson garanti. Et quand il remonte à ses premiers disques sur JSP ou Verve, on réalise que ses compositions font partie de notre vie blues et que c’est un baume de jouvence que de les entendre. Keep playing the blues s’étire en un long monologue anecdotique orné de reprises de 2Pac ou Isaac Hayes (Shaft). Aucune esbroufe, juste de l’expérience, que Nantes (oui, Nantes en entier, car l’événement était là à cet instant et nulle part ailleurs) reconnaît à sa juste valeur par une formidable ovation. Cela vaut un rappel avec Guilty, que Larry abandonne vite pour prendre l’orchestre et le public en photo avec une joie manifeste.

 


Larry Garner et Neal Black © Christophe Mourot

 

Le dimanche 28 août commence avec… Des huîtres et du Muscadet ! De quoi se donner des forces pour aller au blues brunch du Canotier qui accueille l’Ibérique Blues Connection assemblée par Thomas Troussier (hca) avec Cesar Crespo (vo, g) et Iker Piris (vo, g). Leur blues électro acoustique ravit un public déjà nombreux. Il faut dire que pour sécuriser la zone du festival, la circulation du tram a été supprimée et il y a plus d’espace devant le bar pour se rassembler.

 


Ibérique Blues Connection © Nico Sturma

 

Il ne faut pas traîner car le tremplin reprend dès 14 heures avec le Fred Cruveiller Blues Band qui va être une découverte pour beaucoup. Leur blues électrique en trio, Fred Cruveiller (vo, g), Eric Petznick (dm) et Laurent Basso (b, obligé de jouer assis suite à des problèmes à l’épaule), est solide, axé sur la justesse et le placement, musical autant que vocal. Reprises de Chicago, compositions plus downhome, ils sont sûrs d’eux, sans arrogance, et partagent bien avec le public. Changement d’ambiance avec la soul musclée de Foolish King. La chanteuse Charlie Dales est une bête de scène et, avec Charlie Dufau (g), Julien Bouyssou (kbd), Julien Lavie (dm), Victor Bérard (b), elle va rapidement mettre le public en mouvement. Leur set est rempli de moments forts quand le groupe est à pleine puissance.

 


Fred Cruveiller © Nico Sturma

 


Charlie Dale (Foolish King) © Nico Sturma

 


Maggy Trottier © Nico Sturma

 

On reste dans une veine soul, peut-être plus souple, avec Maggy and Da Funky G Project. Maggy Trottier (vo), Cédric Schmidt (g), Jean Tessier (p), Hyppolyte Fevre (tp), Romain Leray (b) et Benjamin Leray (dm) revisitent les classiques de la soul, avec un talent et une élégance affriolants, et plongent les membres du jury dans les affres de la difficulté à départager un tel plateau.

Ils n’en rendront pas moins leurs résultats :

– Premier prix des Rendez-Vous de l'Erdre : Jakez & the Jacks.
– Deuxième prix : Fred Cruveiller Blues Band.
– Troisième prix : Olivier Gotti.
– Prix Bain de Blues : Fred Cruveiller Blues Band.
– Prix Montfort Blues : Jakez & the Jacks.
– Prix All That Jazz : Olivier Gotti.
– Prix Hurricane Musique : Fred Cruveiller Blues Band.
– Prix SoBlues : Fred Cruveiller Blues Band.
– Prix Mojo : Tony Martin Trio.
– Prix Soul Bag : Jakez & the Jacks.
– Prix France Blues : Foolish King.
– Prix Collectif des Radios Blues : Jakez & the Jacks.

Après la remise des prix, Kévin Doublé et Éric C. apaisent le public avec leur superbe blues acoustique, accompagnés par Franck Thomelet aux percussions. La complémentarité de leurs voix, la qualité de leurs compositions et de leurs reprises, leur talent musical nous font redescendre doucement sur terre. Mais c’est pour mieux redécoller avec le dernier concert de la scène blues, celui du vainqueur du tremplin 2015, Alexis Evans. Avec Damien Daigneau (kbd), Alexandre Galinié (s), Maxime Lescure (tp) et les fidèles Olivier Pérez (b) et Eric Boréave (dm), Alexis a un orchestre unique en France, mélange de jeunesse et d’expérience, dont l’enthousiasme et la joie de jouer font plaisir à voir. I’ve been around, It’s allright with me et d’autres titres parcourent les deux disques d’Alexis, entourés de reprises de classiques, We’re gonna make it, You can make it if you try, qui ne font pas peur vocalement au leader dont la maturité dans le domaine est étonnante. Musicalement, claviers et cuivres prennent une grande part des solos, alors qu’on aimerait qu’Alexis se lâche un peu plus à la guitare. Le rappel est très chaud avec Funky Broadway.

 


Kevin Doublé, Franck Thomelet, Éric C. © Nico Sturma

 


Alexis Evans © Nico Sturma

 

C’est alors le moment de flottement où on peine à réaliser que c’est fini pour cette année. Il reste la scène nautique avec Omar Sosa et Jacques Schwarz-Bart pour ne pas avoir à rentrer trop vite.

Sachez que la scène de Sucé-sur-Erdre a accueilli N’Deye and The Three Generations, l’Ibérique Blues Connection, Neal Black & Larry Garner, Loretta & the Bad Kings, celle de France Bleu Loire Océan a fait jouer Alexis Evans et N’Deye and the Three Generations ainsi que Neal Balck & Larry Garner en showcase, que les Cotton Belly’s ont joué à la Chapelle-sur-Erdre et les Lazy Bones à Carquefou. Il y avait du blues partout et tout le temps et ce sera encore comme ça en 2017.

Christophe Mourot