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Live reports / 03.09.2015

Porretta Soul Festival

Le jeudi pour l’ouverture de cette vingt-huitième édition, Porretta innove… C’est la Fanfare du troisième Régiment de Carabiniers de Lombardie qui prend place sur la scène. Une quarantaine de musiciens qui vont non pas nous faire marcher au pas, mais essayer de faire swinguer ce mastodonte avec un répertoire qui revisite des standards du jazz, et de la soul (Respect, Soul finger…) et s’en va piocher chez James Brown (Papa’s got a brand new bag), chez Michael Jackson (Thriller). Avec de bons arrangements et le concours de civils comme Sax Gordon, ou le légendaire batteur Bernard “Pretty” Purdie, nos carabiniers se transforment en un super brass band qui remporte un beau succès auprès du public.

 


Fanfare du troisième Régiment de Carabiniers de Lombardie (*)

 


Sax Gordon

 

Il y a deux ans, j’écrivais au sujet du groupe Osaka Monaurail que c’était la révélation du festival. Depuis, nos Nippons ont fait du chemin, et si leur show n’est plus une surprise, il est toujours aussi carré et toujours ancré dans la musique de James Brown. Les cuivres, toujours emmenés par l’excellent sax ténor Shimon Mukai, et le chanteur Ryo Nakata assurent le spectacle avec des titres entraînants : Payback, Hot pants, Hot rod… Un show bien mené qui ravit un public aux anges quand Ryo Nakata entonne le Funky chicken de Rufus Thomas. Set très pro, qui gagnerait beaucoup avec un répertoire renouvelé.

Comme c’est souvent le cas le premier jour, c’est l’excellente formation Groove City qui se charge de remettre une tartine de soul pour clore la soirée.

 


Osaka Monaurail

 


Shimon Mukai et Ryo Nakata (Osaka Monaurail) (*)

 


Groove City (*)

 


Groove City (*)

 

Vendredi 24 juillet

Le premier à venir sur scène est Sugaray Rayford. On commence à bien le connaître en France et il en train de s’imposer en Italie où il fait une tournée qui passe par Porretta. Dès le premier titre, son dynamisme emballe tout le monde et son set très équilibré entre titres up tempo et lowdown ira crescendo. Il est fort bien soutenu par son orchestre dont le leader Luca Giordano se montre excellent à la guitare. Très charismatique, Sugaray n’hésitera pas à aller chanter au milieu des festivaliers s’assurant des applaudissements nourris. Un nuage d’émotion pour terminer avec une belle version de What a wonderful world juste accompagné par le piano de Fabrizio Ginobile. De la bel ouvrage !

 


Luca Giordano, Sugaray Rayford, Sax Gordon

 


Sugaray Rayford

 

L’année dernière, l’orchestre d’Anthony Paule et son chanteur Frank Bey avaient fait une excellente impression aux amateurs et au staff du festival. L’avisé Graziano Uliani a donc décidé de confier aux californiens un rôle clé dans cette édition : accompagnement de tous les artistes, préparation des arrangements pour tous (tâche menée à bien par l’excellent tromboniste Mike Rinta). Et c’est une fameuse idée, parce que les membres du Anthony Paule All Star Band jouent ensemble toute l’année. Pendant trois soirées ils vont nous régaler. Après les morceaux d’introduction bien amenés par Sax Gordon (au baryton), le premier artiste à se présenter est Theo Huff. Ce chanteur natif de Chicago est la carte jeune du festival. Déjà présent l’an dernier, il avait su comme cette année séduire par sa voix pour interpréter des standards de la soul parmi lesquels Who’s making love, Cheaper to keeper. Il a vite fait de mettre le public dans sa poche avec un jeu de scène tout en séduction destiné à la gente féminine. Il finira son set par un duo avec son “frère” David Hudson.

 


Theo Huff

 


Theo Huff

 


David Hudson

 

L’artiste suivant, Prince Phillip Mitchell, est un compositeur prolifique, entre autres pour Millie Jackson, Candi Staton, Mel & Tim, un vrai bottin mondain de la soul. Mais son style musical est loin des standards Stax qui ont généralement cours sur le festival ; nous sommes dans une soul plus sophistiquée qui flirte avec le style crooner (beaucoup de beaux arrangements de cuivres), avec un travail vocal qui met en valeur sa voix haut perchée. Un set de qualité mais qui m’a quelque peu laissé sur ma faim.

 


Prince Phillip Mitchell

 


Prince Phillip Mitchell

 

Maintenant au tour de Frank Bey. L’an dernier il avait triomphé en mettant à l’honneur un style soul blues fait de quelques reprises (Bobby Bland, Ray Charles) et surtout de compositions écrites par Anthony Paule et Christine Vitale. Cette année, il repart dans ce registre avec principalement des titres issus de leurs trois CD (le nouveau, “Not Goin’ Away”, est excellent). Tous les titres sont chantés superbement et enjolivés de solos de guitare par un Anthony Paule toujours inspiré sans une note de trop. En fin de set, la reprise de Imagine chantée avec émotion par Frank, avec un solo de ténor de Nancy Wright prolongé par une belle intervention d’Anthony Paule, apporte ce supplément d’âme qu’on vient chercher à Porretta.

 


Anthony Paule et Frank Bey

 

Le dernier à monter sur scène est Wee Willie Walker. Nous connaissons ce très bon chanteur grâce aux CD qu’il a enregistrés avec le groupe The Butanes. D'emblée en parfaite osmose avec l’orchestre, il tape lui aussi dans le créneau soul blues, il a la voix faite pour. On pourrait lui reprocher son manque de charisme mais il arrive à enthousiasmer le public ; avec en point d’orgue une belle version de A change is gonna come.

 


Wee Willie Walker

 

Samedi 25 juillet

Traditionnellement, le samedi est “la soirée”, mais celle-ci durera plus de six heures, de quoi décourager ceux dont le noctambulisme n’est pas très développé. Sugar Hill Band est une formation qui arrive de Canary Island et comme beaucoup d’autres elle se consacre à la reprise des grands classiques de la soul. Ils jouent bien mais ça manque de feeling, et si le chanteur ne laisse pas un souvenir impérissable, l’une des choristes, Monica Campodarve, a une belle voix et se sort très bien de ce titre “casse gueule” qu’est River deep mountain high.  Un set beaucoup trop long !

Certains d’entre vous se souviennent peut-être il y a très longtemps d’un 45-tours Stax de Derek Martin avec le titre Soul power ; c’est le même bonhomme qui est ce soir sur la scène de Porretta. Il n’a rien perdu de ses qualités vocales et en plus c’est un entertainer. En deux minutes il fait lever tout le monde et s’embarque dans des onomatopées… avant d’embrayer sur une version pleine peps à défaut d’originalité de Hit the road Jack qui est le point fort de sa prestation. Set court mais réconfortant d’un chanteur à la vie erratique dont on n’entendait plus parler.

 


Derek Martin et Anthony Paule

 


Anthony Paule et Derek Martin

 


Mike Rose, Nancy Wright, Sax Gordon, Derek Martin, Anthony Paule

 

Le festival de Porretta aime rendre hommage aux musiciens de légende qui ont écrit les plus belles page de la soul. Cette année, le premier choisi est Joe Arnold, le saxophoniste des Mar-Keys. Il était de la tournée en Europe d’Otis Redding en 1967, une carrière de sideman où les hits ne se comptent plus. Ce soir, il joue trois morceaux très toniques dont le numéro magique de Wilson Pickett 634 5789, et ce qui reste le grand hit des Mar-Keys, Last night. Il reçoit ensuite un trophée pour sa contribution au développement et au succès de la soul music.

 


Joe Arnold

 


Rick Hutton, Anthony Paule, Joe Arnold, Graziano Uliani

 

Cette année Chick Rodgers est la femme qui s’affiche partout à Porretta (posters, billets, badges…) et elle se présente en reine du festival devant une assistance conquise d’avance. Charmante, enjouée après une entame rythmée, elle enchaîne sur Don’t play that song et toute une série de tubes d’Aretha Frankin. C’est bien fait, on ne s’ennuie pas, mais il serait plus intéressant de l’entendre enfin dans un répertoire personnel. En rappel, elle fera un titre de B.B. King !

 


Chick Rodgers

 

Avant un break Anthony Paule présente tout l’orchestre, il y a : Tony Lufrano (orgue et piano), Paul Olguin (basse), Paul Rivelli (batterie), Nancy Wright (sax ténor), Mike Rose (trompette), Mike Rinta (trombone), Gordon Beadle (sax baryton), Loralee Christinsen, Sue McCracklin, Maureen Smith (chœurs).

 


Nancy Wright, Mike Rose, Mike Rinta, Sax Gordon

 


Paul Olguin

 


Paul Revelli

 

Deuxième légende invitée cette année Bernard “Pretty” Purdie. Ce formidable musicien qui a exercé ses talents avec des gens comme James Brown, Ray Charles, Aretha Franklin, King Curtis et tant d'autres va nous offrir une véritable leçon de batterie sur Cold sweat, Rock steady et un Porretta soul stew avec un beau solo de Nancy Wright au ténor que n’aurait pas renié King Curtis. Bernard Purdie fait partie de ces drummers qui battent avec élégance. Avec un orchestre toujours très attentif aux faits et gestes de ses leaders, on nage dans le bonheur et on trouve ça trop court. Il recevra lui aussi un trophée.

 


Bernard “Pretty” Purdie et Graziano Uliani

 

La soirée a pris du retard, mais le MC Rick Hutton, comme il en a pris l’habitude, vient en pousser une, cette fois-ci Land of 1000 dances. Sympathique mais pas indispensable. Celle qui prend la suite aime Porretta, et Porretta aime Sugar Pie De Santo. À 80 ans passés, elle déborde toujours d’énergie et si on excepte quelques chevrotements dans la voix son set tient la route. Elle a mis la pédale douce sur la partie grivoise pour privilégier le côté ludique avec le public et les musiciens. Quant au contenu, des tempos soutenus, pas de titre bluesy. Elle finit par une longue version de In the basement repris en chœur par tous. Un bon moment.

 


Sugar Pie De Santo

 


Sugar Pie De Santo

 

Frank Bey est déjà passé la veille et il revient pour un set plus ramassé mais très intense. Encore une fois on remarque la joie de jouer que cet orchestre dégage et c’est avec Bey qu’il est le meilleur. Enfin, David Hudson fait son apparition. Il a une voix pour chanter de la soul sudiste et il n’est pas étonnant que ses héros soient Al Green ou encore Otis Redding qu’il reprend en terminant son set par une longue version de Try a little tenderness. Il aurait mérité d’avoir un peu plus de temps de scène pour s’exprimer pleinement.

 


Anthony Paule et Frank Bey

 


David Hudson

 

Dimanche 26 juillet

Le groupe Amnesia International ouvre cette dernière soirée, c’est un quartet qui pour l’occasion est renforcé par Gordon Beadle au sax ténor. Le répertoire est fait de soul et de rock pas trop agressif. Pas désagréable à écouter à petite dose.

Ensuite, la tradition veut que tous les artistes à l'affiche viennent chanter deux ou trois chansons maximum. Tous réussiront à ne pas monopoliser la scène et présenteront des mini sets de qualité. Prince Phillip Mitchell avait des problèmes de voix et n’a fait qu’un titre. Le final avec tous fut un long medley où l'on a pu reconnaître I'd rather drink muddy water, Everyday I have the blues, Stoop down baby, Stormy Monday, Rock me baby… du classique mais du lourd. Une belle conclusion pour une édition somme toute d’un niveau honorable.

 


Paul Olguin, Willie Walker, Chick Rodgers, Prince Phillip Mitchell, Theo Huff

 


Bernard Purdy, Prince Phillip Mitchell, David Huson, Rick Hutton

 

 

Vous pouvez voir ou revoir tous les concerts de cette édition (et ceux de 2014) en intégralité sur Lepida TV (psf.lepida.tv).

Alain Jacquet
Photos © Brigitte Charvolin (sauf mention (*) © Alain Jacquet)

 

Encore : les coups de cœur de Julien Crué

On vient à Porretta pour la soul de Memphis mais, et c'est tant mieux, le festival parvient aussi à élargir son champ d'écoute au-delà de l'héritage de Rufus Thomas et d'Otis Redding . Exemple, cette année, lors d'une soirée du vendredi (24 juillet) particulièrement dense et variée.

Le Texan Sugaray Rayford est une force de la nature et un showman qui se donne à 100 %. Il sait qu'un long slow blues interprété depuis le public et sans micro est d'une efficacité redoutable. Dès lors, pourquoi s'en priver quand on possède un tel abattage et que les spectateurs ne demandent qu'à festoyer ? Roboratif et réjouissant.

 


Sugaray Rayford

 

Plus rare dans nos contrées, le répertoire du jeune Theo Huff m'a personnellement comblé. En digne enfant de Chicago, il joue très bien les tubes de grands anciens tels que Tyrone Davis et Johnnie Taylor. Turn back the hands of time par exemple pour le premier, Last two dollars du second : j'avoue que cela change des succès rabâchés de la période la plus connue de Stax. Les entendre en vrai rend fier et heureux d'appartenir à la communauté des amoureux de la sweet soul music.

 


Theo Huff

 

Même sentiment, mais décuplé lors du set de Prince Phillip Mitchell. Vénéré en Grande-Bretagne, le génial songwriter était pour la première fois l'invité d'une scène d'Europe continentale. Enfin ! L'entendre présenter Starting all over again, succès de Mel & Tim en 1972, comme si le morceau avait été composé le matin même est un délice. Réaliser en direct qu'il a écrit Home is where the heart is pour Bobby Womack justifie pleinement le voyage par-delà les Alpes. Répertoire choisi, voix bien conservée, allure élégante sur scène : le prince de l’écriture soul nous a enchanté tout au long d'un set trop court.

Julien Crué

 


Prince Phillip Mitchell