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Live reports / 16.09.2013

Porretta Soul Festival

Le concert inaugural du jeudi est traditionnellement réservé aux orchestres de soul italiens, mais une ouverture s’opère sur les orchestres européens… La formation Groove City, vieille habituée du festival, accompagne fort brillamment le duo d’Austin (Texas) Bruce James & Bella Black et obtient un beau succès. De même pour les Suédois du Brooklin Soul Stew. Si les répertoires n’ont rien d’originaux, ils sont interprétés avec talent. Une excellente entrée en matière. Et ceux qui ratent la soirée du jeudi peuvent revoir tous les orchestres au Rufus Thomas Café Stage dans la journée pendant le festival.

 

Vendredi 19 juillet

Pour cette 26e édition, il revient à l’organiste Paul Brown de diriger l’orchestre qui allait, comme de coutume à Porretta, accompagner tous les artistes invités (sauf le groupe Osaka Monaurail et Charles Walker). Organiste démonstratif, Paul Brown est un musicien demandé sur la scène soul puisqu’on le retrouve entre autres avec Ann Peebles et Bobby Rush, et il était déjà à Porretta en 1999 avec l’orchestre de Michael Toles et James Mitchell. Après une version bien vitaminée de Soul finger et une reprise de Memphis train par la chanteuse Jackie Wilson (ça ne s’invente pas !), Sax Gordon va faire une belle démonstration de sax hurleur qui va bien chauffer l’atmosphère.

 


Paul Brown

 


Jackie Wilson, Toni Green, LO Carter, Sabrina Kabua

 

La première star à faire son apparition est Toni Green. Elle est déjà venue en 2007 et en 2011. En 2013, rien de changé : très professionnelle, elle sait jouer la carte émotionnelle en versant quelques larmes et se met rapidement le public dans la poche. Cela dit, c’est une bonne chanteuse  plaisante à entendre qui soigne son propre répertoire comme de bonnes reprises de Higher and higher et Shout qui clôturaient son set. On pourra juste lui reprocher un changement de tenue de scène un peu longuet… Mais comme d’habitude elle fait un triomphe, ce qui met en joie son fan club italien “Il socolo duro” (le noyau dur).

 


Toni Green

 

Après les paillettes, place à la sobriété du Pastor Mitty Collier. Ceux qui s’attendaient à entendre quelques titres soul qui ont fait la renommée de la dame chez Chess dans les années 1960 en sont pour leurs frais. Exit I am your part time love, I had a talk with my man ou Sharing you, Mitty Collier tout comme Joe Simon rejette tout son répertoire profane. À la place nous avons eu droit à des gospels entrecoupés de discours prosélytes qui n’ont pas fait l’unanimité… Elle est bien aidée dans son sacerdoce par le révérend Calvin Bridges qui œuvre au clavier et qui chante lui aussi. Alors cet office devient assez ennuyeux, même avec des titres comme I had  a talk with God last night, For once in my life. Et en final, la version d’Amazing grace n’était pas vraiment folichonne. C’est malheureusement la déception du festival.

 


Calvin Bridges

 


Mitty Collier

 

La dernière star annoncée de la soirée est Latimore. Très rare sur notre continent, c’est une chance de l’avoir au Porretta Soul Festival. L’homme en impose dès qu'il s’installe derrière son piano et il faut quelques minutes pour entrer dans son univers et goûter cette soul légèrement sophistiquée teintée de jazz. De son riche répertoire il nous offre quelques pépites comme Freedom, Something about cha, Take me to the mountain top ; ainsi que des reprise de Ray Charles : Hit the road Jack que je trouve réussie, et Unchain my heart qui l’est un peu moins. Mais le plus remarquable, c’est sa voix. Malgré ses 73 ans, elle est d'une ampleur et d'une sensualité étonnantes (n’est-ce pas mesdames ?) et fait merveille dans ce morceau d’anthologie qu’est Let’s straighten it out. Chanson toute en retenue et pleine d’émotion qui va mettre le public K.O. Latimore est bissé, les gradins hurlent… Indiscutablement l’artiste de cette édition.

 


Latimore

 

Samedi 20 juillet

La soirée commence par un OVNI venu du Japon : Osaka Monaurail, formation de huit  musiciens fortement inspiré par le monde jamesbrownien. Tous vêtus d'un costume à revers de col, de manches, et épaulettes “pied de poule” du meilleur effet, cet orchestre s’identifie aux JB’s avec les chorégraphies des cuivres emmenés par l’excellent sax ténor Shimon Mukai, et à James Brown lui-même par la manière de chanter et de danser du leader Ryo Nakata. Quant au répertoire, c’est principalement du funk pur et dur puisé surtout chez leur modèle (chouettes versions de Payback et Hot pants), tempéré par du Stevie Wonder (Signed, sealed, delivered) et du Ray Charles (Hot Rod). Pour clore le show, ils joueront judicieusement la carte Stax avec une désopilante version du Funky chicken  de Rufus Thomas. Là encore, pas une fausse note, tout est parfait, chaque chaussure est parfaitement cirée, personne n'aura d’amende ! La révélation de cette édition. J’ai entendu aussi des “c’est de la copie, il n’y a rien d’original”. Peut-être, mais je préfère des copies réussies à des bricolages qui se veulent originaux et qui au final sont ringards.

 


Osaka Monaurail

 

 

Après les introductions de l’orchestre de Paul Brown, arrive David Hudson. S’il avait obtenu un beau succès l’an dernier ce n’est pas un hasard, c’est un vrai chanteur de soul comme on aimerait en entendre plus souvent. Sa voix est puissante, mais elle peut être caressante suivant l’intensité des chansons. J’ai apprécié son Who’s making love (Johnnie Taylor) et For the good time. Visiblement c’est un type à la sensibilité à fleur de peau, et il y avait quelque chose d’émouvant qui dépassait le spectacle quand au milieu d’une chanson il a demandé sa copine en mariage… Elle a répondu oui… Déclanchant un torrent de larmes de bonheur. La musique de l’âme, c’est aussi ça.

Après tant d’émotion, un petit break avec l’organiste-chanteur Charlie Wood qui nous gratifie de deux morceaux de son album “Lush Life”. Charlie Wood est un très bon compositeur, un bon interprète mais comme il n’a aucun charisme son intermède passe malheureusement quasi inaperçu.

 


David Hudson

 


Charlie Wood

 

La soirée se poursuit avec une jeune chanteuse originaire du Mississippi, Falisa Janayè. Charmante, très active sur scène (même parfois un peu trop), elle fait partie de la nouvelle génération des chanteuses soul. Sa jolie voix lui permet de chanter dans pas mal de styles, mais ce soir ce sont ses interprétations de Mr. Big Stuff et de Natural woman qui emportent l’adhésion de tous. On devrait la revoir à Porretta dans peu de temps.

La surprise du jour vient du MC Rick Hutton qui fait remarquer que la musique afro-américaine avait perdu avec Bobby Bland une de ses plus grandes voix. Alors il y va de son hommage en interprétant de manière fort convenable Turn on your love light. À part lui, aucun des artistes présents sur le festival ne fera allusion à cet immense artiste.

 


Falisa Janayè

 


Rick Hutton

 

Quand la vedette de la soirée prend possession de la scène, on entre dans le vif du sujet avec son titre d’introduction habituel I ain’t studdin’ you qui permet de faire la connaissance de ses deux danseuses, Keena et Mizz Lowe. Mais qu’on ne s’y trompe pas, avec ses œillades et son air facétieux de gamin qui vient de faire une bonne blague, Bobby Rush a tout travaillé, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Fort bien accompagné par l’orchestre de Paul Brown (avec qui il a travaillé par le passé), il offre une belle version de She’s 19 years old avant de changer de registre et de passer à du blues plus classique. C’est dit, nous n’aurons pas droit à l’exhibition des “petites” culottes ni à nos gauloiseries favorites… Mais nous aurons tout de même une petite parodie d’Elvis, avec lunettes et rouflaquettes postiches. Bobby Rush à la guitare, c’est tout à fait correct et côté chant il assure, alors savourons ce long Polk salad Annie qui sera prolongé d'autres blues du meilleur cru avec de belles interventions d’harmonica. Il termine son show par une version débridée de Shake, rattle and roll et pour le rappel un The blues is alright. C’était du Bobby Rush light, mais du grand Bobby Rush quand même.

 


Bobby Rush

 

 

 

Dimanche 21 juillet

Pas d’activité avant midi, heure de la traditionnelle conférence de presse, qui cette année après une heure de questions/réponses se terminera par un petit gospel chanté a cappella par chaque artiste présent. Bobby Rush ne chantera pas mais jouera à l’harmonica When the Saints… Après, campo pour tout le monde. Les artistes déambulent en centre ville, se prêtant de bonne grâce aux signatures d’autographes et posant avec le sourire pour les photos souvenirs des festivaliers. C’est aussi ça la Porretta's touch !

Il revenait à Charles Walker & The Dynamites d’ouvrir la dernière soirée. Visiblement pas au mieux de sa forme, ce pourtant excellent chanteur nous a servi un set plat, assurant le minimum syndical. Avec le répertoire qui est le sien était-il indispensable d’aller chercher une vieille scie comme Summertime pour en faire une interprétation peu mémorable ? Par contre, les Dynamites emmenés par le guitariste Bill Elder ont vraiment assuré un accompagnement de haute tenue.

 


Charles Walker & The Dynamites

 

 

Leur succède la Sax Gordon’s International Soul Caravan. Autour de Sax Gordon, l’excellent organiste Raphael Wressnig et les deux frères Prato (Igor à la guitare et Yuri à la batterie). Si j’ai apprécié les prestations de Sax Gordon et de Raphael Wressning rompus à jouer tous les styles de rhythm n’blues, les frères Prato ne m’ont pas convaincu. Ces derniers originaires du Brésil nous ont été présentés comme la nouvelle génération de musiciens soul. À les écouter je les trouve beaucoup plus rock que soul, avec une étrange l’impression d’assister à un set de deux binômes qui ne jouent pas la même musique. À oublier.

 


Sax Gordon

 


Raphael Wressnig

 

Retour d'Osaka Monaurail, avec un répertoire à peu près identique à celui de la veille dont émerge une superbe version de Shaft qui n’aurait pas déplu à Skip Pitts et Michael Toles (les guitaristes de la version originale d'Isaac Hayes). Encore une fois, ils scotchent tout le monde par la perfection de leur prestation.

 


Osaka Monaurail

 

Dernière partie de soirée avec le retour de l’orchestre de Paul Bown pour accompagner les mini sets des principaux artistes du festival. En général, ce sont des copiés-collés des shows des soirées précédentes en plus ramassés. Tirent leur épingle du jeu, David Hudson qui confirme son excellent show du samedi ; Latimore dont une nouvelle version de Let’s straighten it out enrichie par les contrechants de l’harmonica d'un Bobby Rush caché au milieu des cuivres et par la voix de David Hudson transporte de joie un public nombreux. Enfin, Bobby Rush qui en remet une couche pour que l’on reparte rassasié de bonne musique.

 


Falisa Janayè et David Hudson

 


Mitty Collier, Latimore, Toni Green

 


Bobby Rush s'incruste chez les cuivres © Alain Jacquet

 


Mitty Collier et Bobby Rush

 

Retour de Charlie Wood qui entonne l’un des hymnes du Porretta Soul Festival dont il est un des auteurs, Rufus Thomas is back in town, relayé tant bien que mal par les autres chanteurs qui ne connaissent pas trop le texte… Ça se passe mieux quand l’orchestre attaque Sweet soul music, mais ça dérape avec Mitty Collier et Calvin Bridges (de plus en plus agité du ciboire) qui veulent absolument chanter la gloire de Dieu plutôt que celle d’Otis et de James. Enfin, tout rentre dans l’ordre avec un gospel reprit par tous et chaudement applaudit. Baissé de rideau sur cette vingt-sixième édition qui aura été inégale, mais non sans offrir de superbes moments avec Latimore, Bobby Rush, David Hudson et Osaka Monaurail.

 


Toni Green

 

 


Paul Brown et Latimore

 

Alain Jacquet

Photos © Brigitte Charvolin