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Hommages / 27.08.2021

Patrick Verbeke (1949-2021)

Depuis trop d’années, de graves problèmes de santé avaient éloigné Patrick Verbeke des salles de concert et des festivals, mais même s’il s’était fait plus rare, sa notoriété restait intacte et tous les amateurs connaissaient sa place et son importance dans l’émergence d’une scène blues française. 

À l’affiche de Blues en Loire, il avait dû se décommander au dernier moment, suivant l’avis de son médecin. C’est alors qu’il devait se produire sur la scène de La Charité-sur-Loire qu’il s’est éteint le 22 août. Patrick Verbeke a été un compagnon de route de Soul Bag, nous avons suivi sa carrière, chroniquant les albums qui l’ont jalonnée, nous avons aussi écrit sur lui et lui a écrit pour nous, tenant durant deux ans la rubrique De quoi j’vais m’plaindre

Son nom apparait dans la revue au début de 1979 (SB 71), quand Pierre Poidevin dresse un portrait, synthétique mais fort complet. On y apprend notamment que Verbeke est né le 13 avril 1949 à Caen, qu’il devient vite fan de rock ‘n’ roll avec une prédilection pour Gene Vincent, qu’il s’initie à la guitare à 15 ans et fait partie de différents groupes blues rock, les Tombstones, branchés Stones & Co, ou l’Indescriptible Chaos Rampant (sic) où il côtoie le pianiste Guillaume Petite. C’est ensuite l’expérience d’une autre communauté musicale emblématique, Alan Jack Civilization où il fait la connaissance d’un harmoniciste féru lui aussi de blues, Benoit Blue Boy ! Ils jouent un temps en duo genre Sonny Terry-Brownie McGhee. Patrick a raconté cette époque à Stéphane Koechlin : « Nous jouions dans des bars infâmes. Nous étions proches du cliché blues, du mec seul, sa guitare dans le dos. » (SB 131) Mais leurs routes se séparent quand Benoit part en Amérique. Verbeke poursuit son chemin, prêtant sa guitare à une scène rock effervescente. On l’entend avec Tribu, puis il s’associe au bassiste Jacky Chalard au sein de Magnum (qui fera quelques dates avec Hallyday) puis de Bistroc. Ils jouent souvent avec Vince Taylor et les tournées du label Big Beat, rock ‘n’ roll à fond !

Patrick Verbeke ne néglige pas totalement ses études pour autant et il obtient en 1975 sa licence d’anglais, de quoi l’aider à mieux comprendre ces blues dont il découvre de nouveaux aspects grâce à Benoit : « Je rapportais des disques de blues à Patrick. Je lui ai apporté le premier album de Roy Buchanan. Je lui racontais tout ce que je voyais. » (SB 131). Lorsqu’en 1981 parait le premier album de Patrick, “Blues In My Soul”, on y découvre un artiste qui a opté pour le blues, tout en revendiquant l’influence du rock et de la chanson. L’escalier de ma môme, zébré de traits de slide, connaît un certain succès qui incite Underdog à produire encore deux albums dans la même veine : “Tais-toi et Rame” qui contient J’marche doucement de l’ami Benoit (1982) et “Bec Vert” (1984).

L’album « Blues & Ladies » de 1992 sur Miss You marque sa carrière : on y entend pour la première fois Claude Langlois à la pedal steel guitar et Pascal “Bako” Mikaelian à l’harmonica, qui seront pendant des années ses fidèles compagnons de scène. Et surtout, l’album contient un titre qui va marquer bien au-delà du cénacle blues. De quoi j’vais m’plaindre, avec ses paroles marrantes et son atmosphère laid back, est programmé sur toutes les radios et notamment sur Europe 1. La radio qui avait compris le potentiel du blues proposa à Patrick d’animer sa propre émission, bien sûr intitulée De quoi j’vais m’plaindre. Première du genre sur une radio généraliste, l’émission innovait aussi dans la forme. Patrick s’y investissait totalement, ne se contentant pas de passer des disques ou d’interviewer des musiciens, il s’accompagnait de sa guitare pour illustrer ses propos, interroger ses hôtes, eux-mêmes invités à joindre la musique à la parole. 

À lire les commentaires postés sur Facebook après son décès, on mesure l’impact qu’a pu avoir l’émission sur de nombreux auditeurs, venus durablement au blues grâce à elle. Lorsque Soul Bag a proposé à Patrick une rubrique en prolongement à l’émission, il a immédiatement accepté et expliqué son projet : « Ce que je vous propose dans ces lignes, c’est de vous faire pénétrer dans les coulisses de l’émission, de vous donner mes impressions, vous livrer des anecdotes sur les invités que j’ai reçus durant le trimestre. » Ce qu’il a fait très consciencieusement de 1996 à la fin de l’émission en 1998. 

Pédagogue dans l’âme, Verbeke pensa à sensibiliser le jeune public au blues, à travers l’histoire de ses créateurs. Avec son conte “bluesical” Willie et Louise, il sut porter la bonne parole dans des centaines d’écoles. On imagine le plaisir qu’il trouva dans cette expérience, lui, l’homme de rencontres, d’échanges, ce passeur généreux toujours prêt à offrir de son temps pour la bonne cause. Parmi les témoignages postés sur les réseaux, j’ai relevé celui, particulièrement éloquent, de Frédéric Adrian : « À l’époque, je faisais un stage dans une maison de retraite d’Ile-de-France et j’en profitais pour animer un atelier pour les résidents autour de l’écoute musicale et en particulier du jazz. J’ai croisé par hasard Patrick Verbeke à l’occasion d’un mini-concert et j’ai trouvé le courage de lui demander s’il pourrait venir faire une intervention (bénévole) dans ce cadre-là… Il est venu à l’occasion de la dernière séance à la fin de mon stage, a joué une petite demi-heure pour cinq ou six mamies, répondu aux questions pendant au moins aussi longtemps. Je ne le connaissais pas du tout et ne lui avais jamais parlé avant, il a accepté sans hésiter. La vie n’a pas toujours été juste avec lui, mais c’était un grand monsieur et la preuve vivante que les bluesmen peuvent aussi être Français. »

Patrick Verbeke a aussi connu des périodes sombres. Il n’était pas l’homme des demi-mesures, mais il a toujours su remonter la pente, à force de volonté. Même diminué physiquement, il ne s’avouait pas vaincu. Jouant assis ces derniers temps, il retrouvait au fil des morceaux un peu de sa dextérité pour soutenir le feeling énorme de sa voix corrodée. Son dernier album, “La P’tite Ceinture” (Frémeaux & Associés, 2010), était signé Verbeke & Fils, un touchant passage de relais entre le père et le fils, Steve, vers qui vont nos pensées.

Texte : Jacques Périn
Photo d’ouverture © Patricia de Gorostarzu

© Patricia de Gorostarzu
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