Jammin’ Juan 2023
08.12.2023
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Belle initiative que celle de cette longue soirée organisée par Nueva Onda, tourneur majeur dans le domaine des musiques afro-américaines et désormais maison de disques, pour présenter une bonne partie des artistes à son catalogue. Pour l’occasion, le Trianon est rempli à son maximum par un public mêlant les amateurs et de nombreux acteurs, professionnels ou non, du secteur. Bien que la soirée soit présentée comme une revue, chacun des artistes se produit avec ses propres musiciens. Cette solution entraîne quelques délais entre les différents sets, malgré l’efficacité des équipes techniques, mais permet à tous d’interpréter leur propre répertoire et non des reprises bateau.
En ouverture, pas évidente devant un public encore en train de s’installer, le jeune chanteur Alex Massmedia interprète deux de ses morceaux, dans un registre entre folk et Afrique que Sebastian Danchin, présentateur (hélas intermittent) de la soirée, compare à celui de Richie Havens. Rien de bien excitant, cependant, malgré les efforts de communication du chanteur.
Souvent vu par chez nous en format trio dans lequel il assure les percussions, Big Daddy Wilson se présente ce soir en guitariste au sein d’un quartet électrique. Malgré quelques déboires, notamment lié à l’oubli d’un bottleneck, il délivre deux titres personnels bien choisis et réussit à instaurer un beau climat malgré la brièveté de sa prestation.
Alex Massmedia
Big Daddy Wilson
Pas besoin d’introduction pour Eric Bibb, acclamé dès qu’il met le pied sur scène en compagnie de Ruthie Foster et Harrison Kennedy, ses partenaires de la tournée “We have a dream” (dont on regrette très fortement qu’elle ne soit pas passée à Paris pour un vrai concert !). C’est Kennedy qui ouvre par un gospel renversant – sans doute le plus beau moment de toute la soirée – suivi dans un registre similaire par Ruthie Foster. Eric Bibb leur succède avec trois morceaux pour lesquels il est assisté par ses deux camarades, ainsi que par le quatrième mousquetaire du trio, le merveilleux guitariste (déjà vu avec Bibb) Michael Jerome Browne, dont chaque intervention est une leçon de pertinence et de concision.
Harrison Kenndy
Ruthie Foster
Eric Bibb
C’est ensuite au tour de Malted Milk, en version cuivrée, de s’installer sur scène pour accueillir, après une courte introduction instrumentale, la chanteuse Toni Green avec qui le groupe a partagé son dernier disque. Second couteau vétéran de la scène soul de Memphis (elle enregistre dès 1970 avec le groupe Imported Moods pour Hi Records), Green ne manque ni de charisme ni de métier (même si la présenter, comme le fait Arnaud Fradin, comme la « Queen of Soul » est très excessif !), et Malted Milk a conquis une réelle légitimité au sein de la scène soul. Plutôt réussie sur disque, la greffe entre les deux, issue d’une idée de producteur plus que d’une démarche spontanée, ne convainc pas réellement sur scène malgré quelques bonnes idées de répertoire, comme la reprise du I can do bad all by myself de Mary J. Blige. Le copieux programme de concerts qui attend la combinaison permettra peut-être de développer une complicité plus naturelle.
Toni Green
Arnaud Fradin
Après l’entracte, c’est au tour de Mathis Haug de reprendre dans un registre très rock qui laisse perplexe. Peut-être souhaite-t-il devenir la réponse française aux Black Keys…
Le contraste ne pourrait pas être plus fort avec l’artiste qui lui succède. Moins visible qu’il y a quelques années, Larry Garner n’en poursuit pas moins son chemin, avec son style inimitable qui tient tout autant de l’art du conteur que de celui du bluesman. Le format de la soirée ne lui est pas tellement favorable, d’autant qu’il se produit seul et assis, mais impossible de résister à sa verve et à son blues typiquement louisianais. Le très rigolo She’s the boss est un des tubes de la soirée.
Mathis Haug
Larry Garner
Mathis Haug est ensuite de retour, dans un registre bien plus maîtrisé, pour accompagner en compagnie du violoncelliste Eric Longsworth et du batteur Stephan Notari, Pura Fé. Celle-ci semble avoir renoncé à jouer de la guitare pour se concentrer sur le chant. Elle interprète deux titres hypnotiques, marqués par les solos magnifiques de Longsworth, dont l’inspiration dépasse largement aussi bien les musiques indiennes que le blues. La brièveté de sa prestation ne lui permet pas hélas d’installer un climat tout à fait propice à l’écoute de sa musique.
Pas de difficulté de ce genre pour Nikki Hill, très attendue et dont le look spectaculaire – quelle coiffure ! – ne passe pas inaperçu. Ses deux titres à la limite du rockabilly passent bien trop vite et elle aurait largement mérité un rappel ! Elle semble d’ailleurs plutôt frustrée de devoir partir aussi vite. On espère avoir l’occasion de réentendre très vite sa voix percutante et son groupe totalement dans l’esprit.
Eric Longsworth et Pura Fé
Nikki Hill
Le final a été confié au projet “New Generation” qui regroupe autour d’une section rythmique expérimentée emmenée par le bassiste Russel Jackson la progéniture de trois illustres musiciens : Magic Slim, Lonnie Brooks et Johnnie Taylor. Potentiellement sympathique sur le papier (même si le côté “nouvelle génération” peut sembler relatif quand on apprend que le fils de Magic Slim a déjà 47 ans*…), le résultat sur scène est proprement calamiteux. Passons rapidement sur le routinier Let the good times roll d’ouverture chanté par Russell Jackson, totalement dépourvu d’intérêt. Shawn Holt, qui lui succède, est le fils de Magic Slim et la preuve vivante que le talent n’est pas héréditaire. Chanteur poussif et guitariste limité, il ânonne une version scolaire de Going down slow à laquelle ne manque aucun cliché. Tasha Taylor a fait la preuve aux côtés de son père Johnnie de ses indéniables talents vocaux. Hélas, elle est visiblement plus à l’aise dans la soul que dans le registre blues auquel elle est apparemment confinée ici, et la guitare dont on l’a affublée semble plus l’embarrasser qu’autre chose. Wayne Baker Brooks, fils de Lonnie, relève heureusement un peu le niveau : à défaut d’être un chanteur réellement distinctif, il est un guitariste solide et les années à accompagner son illustre paternel lui ont appris quelques trucs sur la façon d’occuper la scène, quitte à recourir à quelques grosses ficelles.
Shawn Holt
Tasha Taylor
Wayne Baker Brooks
Dommage que ce soit ainsi que se conclut une soirée par ailleurs fort réussie, dont on espère qu’elle pourrait devenir, à la façon de la soirée annuelle de TSF pour le jazz, une tradition régulière. Le succès populaire et médiatique de la soirée, qui s’est déroulée du début à la fin devant une salle comble et enthousiaste, confirme qu’il existe un public blues à Paris (peu gâté ces dernières années), et qu’il y aurait de la place pour un grand festival dans le registre…
Frédéric Adrian
Photos © J.M. Rock'n'Blues
* Son tourneur nous a depuis signalé, fort justement, que Shawn Holt a 37 ans et non 47.