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Live reports / 12.10.2015

Linsey Alexander & Gas Blues Band

On doit au réalisateur français Thibaud Degraeuwe l’excellent documentaire de soixante-sept minutes To me that's the blues, sorti cet été et récemment projeté lors d’événements autour du blues. Il se base sur le parcours du guitariste et chanteur Gaspard Ossikian (Gas Blues Band), accompagnateur régulier de bluesmen américains en tournée, mais on y voit également Gérard Herzhaft et des artistes dont Toronzo Cannon, Donald Ray Johnson, Benoît Blue Boy et Lurrie Bell. On peut découvrir la bande-annonce à cette adresse. Nous reviendrons d’ailleurs plus longuement sur ce film très réussi dans notre prochain numéro à paraître le 12 décembre 2015. Mais Thibaut est également à l’origine d’une tournée en cours du bluesman de Chicago Linsey Alexander, un petit événement car celui-ci n’était venu qu’une fois en France avant cela, en 2013 lors du Chicago Blues Festival Tour… Samedi dernier, il se produisait donc à Lyon à la – bien nommée, nous le verrons – MJC Monplaisir, une salle à dimension humaine qui a lui a sans doute rappelé l’ambiance des petits clubs de sa bonne vieille ville de Chicago.


Gaspard Ossikian et Linsey Alexander. © : Chantal Petiphar

Car d’emblée, après un gros shuffle pour chauffer tout le monde (Bad man), le vétéran – il a soixante-treize ans – prend la mesure de l’audience qu’il met dans sa poche avec un sens de la scène consommé. Il lui suffit pour cela d’abandonner son micro et de s’avancer jusqu’au très proche premier rang pour un Have you ever loved a woman torride. La voix est puissante, mais surtout d’une souplesse et d’une sûreté exemplaires pour un homme de son âge, la guitare vibrante distille à l’économie des notes pénétrantes. Originaire de Holly Springs au Mississippi, Alexander joue un blues certes moderne mais il le pimente des épices de sa terre natale. Il est fort bien accompagné par la formation d’un Gaspard Ossikian auquel il laisse quelques chorus incisifs, alors que la section rythmique, impeccable et nuancée, sans jamais en rajouter, semble avoir toujours officié derrière lui : c’est bien la force du Gas Blues Band, assurément l’un des groupes français les plus convaincants au service des bluesmen américains en tournée européenne. Après la belle composition Looks like it’s going to rain (tirée comme Bad man de son remarquable CD « Been There, Done That »), le concert devient carrément débridé. En invitée surprise, la régionale de l’étape Sophie Malbec fait une apparition remarquée avec un gros son bien bluesy qui trouve tout de suite sa place sur Long distance call, alors qu’Alexander, décidément intenable, quitte à nouveau la scène pour s’offrir un bain de foule durant lequel il multiplie les facéties, notamment avec les représentantes féminines du public… Et quand il revient derrière le micro après de longues minutes, et que Long distance call a laissé la place à I’m in the mood, chacun est conquis et on sent que rien de fâcheux n’arrivera.


Linsey Alexander entouré du Gas Blues Band. © : Daniel Léon

Désireux de s’amuser et de poursuivre ce qui s’assimile désormais plus à une « fête entre potes » qu’à un véritable concert, le leader alterne classique (The thrill is gone avec en plus Pierre Capony, l’harmoniciste de Sophie Malbec, venu encore étoffer l’ensemble de quelques phrases instrumentales bien senties) et extrait de son dernier CD « Come Back Baby » (Call my wife), puis sur un nouveau medley (Key to the highway / It hurst me too, il repart dans les travées ! Il ne redevient sage que sur le dernier morceau, un Stand by me sur lequel il démontre qu’il est également crédible dans un registre plus soul. Bien sûr, il est principalement question de standards, mais il est difficile d’en être autrement quand un bluesman américain fait appel à des musiciens qui ne connaissent pas son répertoire personnel. Et avec cette qualité d’interprétation, il serait mesquin de faire la fine bouche… D’autant que Linsey nous a gratifié d’une prestation somme toute peu courante : plutôt que de livrer un spectacle obéissant aux codes habituels en Europe, il s’est comporté comme dans un club aux États-Unis, optant pour faire le show et communiquer au plus près avec les spectateurs. Ce n’est pas rien. Il s’est senti chez lui, s’est beaucoup amusé, a pris du plaisir et a su partager ce plaisir. D’ailleurs, lui a-t-on soufflé la signification du nom du lieu où il s’est produit ce soir-là ? En tout cas, nous tenons à remercier ici la salle lyonnaise, et tout particulièrement Thibaud Degraeuwe et Vincent Hugo, pour cette belle initiative et pour nous avoir ouvert les portes d’une rencontre passionnante avec un artiste qui a encore beaucoup à dire…
Texte : Daniel Léon