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Live reports / 31.05.2022

Larkin Poe, Trianon, Paris

9 mai 2022.

Je n’avais pas prêté grande attention à la musique de Larkin Poe avant que Soul Bag consacre sa une au duo de Nashville – dans notre numéro 239, à l’été 2020 – et l’écoute de quelques-uns de leur disque m’avait laissé une impression mitigée : oui quand elles jouent rock et blues voire blues rock, non quand elles cèdent à la tentation pop. Leur première apparition parisienne – maintes fois reportée – en trois ans, dans un Trianon (trois fois plus grand que la Maroquinerie de leur dernière visite) plein à craquer, était une bonne opportunité de se rendre compte de ce que donnait en vrai le groupe.

Comme sur le reste de la tournée européenne, c’est au chanteur irlandais Ryan McMullan, qui prépare actuellement la sortie de son premier album, qu’il appartient de chauffer la scène avant l’arrivée des stars du jour. Sa pop insipide façon Ed Sheeran s’avère plutôt soporifique, mais McMullan a visiblement l’habitude de la scène et parvient à accrocher le public à coup de petites blagues autodépréciatives. 

C’est au son du Cherry bomb des Runaways que Larkin Poe débarque sur scène. Si le dernier album des frangines les présentait accompagnées des cordes du Nu Deco Ensemble, elles sont ce soir en format quartet, accompagnées par les fidèles Kevin McGowan à la batterie et Tarka Layman à la basse, aux chœurs et aux claviers occasionnels. Le look est sobre, tout en noir, comme le décor, à base de projecteurs géants, comme pour mieux se concentrer sur la musique. Et cela commence fort avec la chanson titre de leur album de 2020, She’s a self made man, et sa proclamation d’indépendance féministe, portée par la voix puissante de Rebecca Lovell et, surtout, la guitare slide échevelée de sa sœur Megan.

D’entrée de jeu, le duo confirme la réalité de sa puissance de feu et de son implication musicale, confirmée par les titres qui suivent comme Keep diggin’, extrait du même disque, et le plus ancien Trouble in mind. Loin des poses de certains dans le même registre, le duo ne prétend pas jouer du blues – Rebecca Lovell parlera à un moment de « musique racinienne influencée par le blues », à un autre de « southern rock and roll » –, mais rend hommage d’une belle façon à ses influences, et en particulier à Son House avec un Preachin’ blues et un John the revelator bien emmenés, dans des versions évidemment marquées par le rock sudiste des années 1970 et notamment par le son des Allman Brothers, sans cependant que cela serve de prétexte aux débordements instrumentaux trop fréquents dans le genre.

Rebecca Lovell
Megan Lovell

Le show est évidemment très maîtrisé, parfois presque trop, avec la complicité très chorégraphiée des deux musiciennes, mais le tout est très efficace, et le public est aux anges, par exemple quand Rebecca prétend avoir repéré au balcon un fan avec un t-shirt des Allman Brothers avant de lancer une reprise de leur Blue sky… qui apparaît chaque soir dans leur setlist ! Qu’importe les grosses ficelles du showbiz, le résultat fonctionne bien, et la place majeure accordée à la slide de Megan Lovell donne à l’ensemble un parfum original et spontané. Quelques titres plus calibrés pop – la ballade Might as well be me, l’autobiographique Mad as a hatter, la nouveauté Bad spell, extraite d’un nouvel album à venir en novembre prochain – viennent un peu affaiblir l’impact de la performance, mais le duo se rattrape vite et finit sur le percutant Wanted woman – AC/DC de l’album “Peach”.

Il ne faut pas longtemps au public pour convaincre les deux frangines de revenir, accompagnées pour l’occasion d’une demi-surprise – la chanteuse avait annoncé quelque temps plus tôt sa présence dans la salle – en la personne du mari de Rebecca Lovell, le guitariste et chanteur Tyler Bryant, pour une version toute en langueur sudiste du Come on in my kitchen de Robert Johnson, précédé par un nouvel hommage au blues par la chanteuse, qui cite notamment les noms de Muddy Waters, Rosetta Tharpe et, plus inattendu, Elizabeth Cotten. Rien de bien révolutionnaire dans cette soirée, mais la confirmation du potentiel d’un duo attachant qui, programmé cet été dans plusieurs festivals rock, devrait encore conquérir de nouveaux fans dans les prochains mois. 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © J-M Rock’n’Blues
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