Robert Finley + Lowland Brothers, La Maroquinerie, Paris
01.12.2023
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Sunset bondé pour fêter la sortie de “Playground”, le nouvel album de Julien Brunetaud. Sur scène aussi on joue des coudes puisque c'est en septet que se présente le pianiste. À l'image d'un tandem rythmique alerte et polyvalent (Romain Joutard aux baguettes, Oliver Smith aux quatre cordes, avec qui Julien a tourné derrière La Grande Sophie), l'entente complice sera reine tout au long d'un premier set qui explore presque tous les recoins de cette “aire de jeu”. En commençant s'il vous plaît par deux temps forts, deux compos marquantes qui ont de beaux jours devant elles au sein du répertoire de Julien. Via son groove décontracté et ses roulades de piano, I wanna get steady convoque d'emblée l'esprit des Professor Longhair, Dr. John et autres Jon Cleary, ces maîtres de la syncope chantante dont Julien sait si bien s'approprier l'héritage. Fièrement déployée, cette grand-voile néo-orléanaise se bombe sous les souffles experts de Sylvain Fétis (sax ténor) et de Jérôme Etcheberry (trompette) auxquels s'adjoignent les chœurs soulful de Céline Languedoc et Faby Médina (qui chantent notamment avec Dick Annegarn).
Jérôme Etcheberry, Sylvain Fétis, Faby Médina, Céline Languedoc, Oliver Smith, Julien Brunetaud
Romain Joutard, Oliver Smith
Oliver Smith, Julien Brunetaud
Avec son touché diablement percussif et délié, et son chant savamment bien placé, sans jamais forcer, Julien propulse aussi l'excellent I wanna ride, savoureuse tranche de Big Easy funk qui réchauffe les cœurs tout en offrant un espace de jeu idéal pour un solo captivant du chef. Sans compter qu'un petit quart de tour lui suffit pour être en mesure de tirer des salves d'orgue ravageuses. Grisant. Dès lors, l'arrivée soudaine d'un son plus traditionnel via la reprise d'une scie comme Down by the riverside fait retomber quelque peu l'élan. L'interprétation est impeccable, mais l'impression de parenthèse récréative altère une dynamique nouvelle si bien lancée. On préférera la forêt touffue des notes qui fleurissent le long d'un Mardi Gras in New Orleans, l'audace dans l'arrangement de When the Saints (avec une introduction majestueuse qui évoque celle de Dr. John sur l'album “N'awlinz…”), ou encore ce Monty's boogie assené en trio (avec contrebasse) qui laisse parler la foudre brunetaudienne. You belong to me confirme quant à elle la portée de nouvelles compos inspirées, dans un format chanson intelligemment négocié.
Zoé Dadson, Romain Joutard
Invitée sur deux titres, la chanteuse Zoé Dadson fera pencher la balance du côté du jazz, avec à la clé un And it supposed to be love (Abbey Lincoln) tout en délicatesse feutrée, occasion pour Julien de recourir à l'art de la ponctuation radieuse. Ce dialogue envoûtant passe aussi par l'entrelacement de leurs deux voix sur une relecture chatoyante de Happier than a morning sun. Cette ballade de Stevie Wonder va comme un gant à Julien. Ou comment une appropriation inattendue illustre l'étendu d'un talent qui ne manque pas d'aires pour s'exprimer.
Nicolas Teurnier
Photos © J-M Rock'n'Blues