Big Joe Louis & Friends, The Blues Kitchen, London-Shoreditch, 2024
31.10.2024
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1er septembre 2023, Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie.
Sur une douzaine de jours, le programme, qui mêle valeurs sûres et découvertes, est copieux, et il n’est pas tout à fait possible de tout suivre. Parmi les impasses de cette année figurent en particulier De la Soul, Laurent Bardainne, Mulatu Astatke, Ezra Collective, le Delvon Lamarr Organ Trio, Lakecia Benjamin, le projet CrossBorder Blues (avec Jean-Jacques Milteau, Vincent Segal et Harrison Kennedy), Bill Laurance & Michael League et GoGo Penguin, et c’est avec deux habitués du festival, Meshell Ndegeocello et José James, que les choses commencent pour nous dans le cadre très agréable – y compris pour la qualité du son – de la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie. Tous deux ont un nouveau projet, a priori jamais joué en France, à présenter.
C’est à José James qu’il appartient d’ouvrir la soirée. Après des hommages à Billie Holliday et à a Bill Withers, il s’est attaqué pour son dernier disque au répertoire d’Erykah Badu, et c’est ce programme qu’il propose ce soir. Le bol tibétain dont il joue brièvement en introduction est un indice. Là où son travail sur les chansons de Bill Withers avait déçu, pour cause de trop grande proximité avec les originaux, il a choisi ici une autre approche, abordant les compositions de Badu sous l’angle de leur aspect spirituel, dans un registre clairement jazz – il le précisera d’ailleurs explicitement à un moment, en soulignant que ce qui était joué sur scène était basé sur l’improvisation.
Sans surprise, James est parfaitement à l’aise avec le répertoire qu’il a choisi, utilisant ses talents et son goût pour les acrobaties vocales – toujours maîtrisées – pour apporter sa propre patte sur des classiques de Badu comme On & on, Didn’t cha know ou le moins courant Green eyes. S’il se positionne dans un registre de jazz spirittuel, sous influence Coltrane-Pharoah Sanders pour ces titres, ses racines hip-hop ressurgissent pour The healer, autre occasion de démontrer que sa maîtrise des gimmicks vocaux ne se fait pas au détriment de l’intensité de l’interprétation – même quand il se retrouve debout sur une chaise au milieu d’un public aux anges.
Il est parfaitement assisté dans sa mission par un quartet particulièrement brillant avec le batteur Jharis Yokley, le phénoménal Ashley Henry aux claviers, la dernière découverte de James au saxophone et au chant, Ebban Dorsey, une musicienne de 19 ans présente sur le disque et dont il annonce qu’elle est le futur du jazz, et le bassiste Josh Hari, arrivé en catastrophe le matin même après que le titulaire prévu s’est cassé le poignet et que son remplaçant a découvert à l’aéroport que son passeport n’était plus valable…
Le rôle ingrat de première partie ne permet pas à James d’interpréter l’ensemble du répertoire du disque, et il est alors déjà temps de conclure, avec l’enchaînement Bag lady/Window seat. Il est bien sûr rappelé et en profite pour revenir à un de ses propres classiques, Trouble, issu de “No Beginning No End” et toujours aussi efficace, qui vient rappeler que l’heure allouée est passée bien trop vite.
L’euphorie retombe vite avec l’arrivée, après une courte pause, de Meshell Ndegeocello et de ses accompagnateurs, soit le batteur Abraham Rounds, le clavier Jebin Bruni, le guitariste Chris Bruce, le bassiste Kyle Miles et le chanteur Justin Hicks, tous des familiers de son univers (à part Miles, tous jouent sur l’album “Ventriloquism” de 2018). La chanteuse et musicienne n’a jamais particulièrement été réputée pour son côté jovial, mais elle semble ce soir particulièrement sombre. Bien qu’elle ne joue que ponctuellement des claviers et occasionnellement de la basse, elle passe tout le concert assise et semble par moment avoir besoin du soutien vocal que lui apporte Hicks, assis à ses côtés.
De façon étonnante, le nouveau disque, très réussi, n’est exploré que ponctuellement (Georgia Ave, et son invitation à « rêver mieux », Clear water…) au profit des reprises qui composaient “Ventriloquism” comme le Waterfalls de TLC ou le Nite and day d’Al B. Sure. Pour une raison mystérieuse, elle cède le chant à son batteur le temps d’une version sympathique mais incongrue du I want you écrit par T-Boy Ross et Leon Ware pour Marvin Gaye. Longtemps réticente à “rejouer” ses classiques, elle se replonge dans sa propre discographie pour en exhumer quelques pièces pas toujours évidentes, comme ce Solomon extrait de “The World Has Made Me the Man of My Dreams”, mais aussi des tubes comme Grace et même I’m diggin’ you (Like an old soul record), souvent oublié des setlists et accueilli par des cris de joie du public.
Malgré tout, l’atmosphère est assez crépusculaire et le résultat plutôt monotone, au point de menacer de sombrer dans l’ennui et de me convaincre de quitter les lieux au bout d’une heure de concert… Le rendez-vous suivant, avec Lee Fields en tête d’affiche, devrait être moins déprimant, même si la première partie assurée par José James a suffi à justifier le déplacement !
Texte : Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot