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Hommages / 15.12.2021

Joe Simon (1943-2021)

S’il s’était éloigné des musiques séculières depuis près de quarante ans, la voix unique de Joe Simon n’était pas oubliée des amateurs, et son œuvre continuait à nourrir, à travers de nombreux samples, la musique populaire afro-américaine d’aujourd’hui. Bien qu’il n’ait jamais réellement réussi le “crossover” vers le grand public, il a traversé, de la fin des années 1950 au début des années 1980, l’ensemble des itérations de la soul, connaissant même certains de ses plus grands succès au cœur des années disco, alors que nombre de ses contemporains voyaient alors leur carrière décliner soudainement.

Né à Simmesport en Louisiane, Joe Simon chante pendant son enfance à l’église, et suit sa famille dans la région de San Francisco à la fin des années 1950. Décidé à devenir chanteur, il rejoint alors qu’il n’a qu’une quinzaine d’années les Golden West Singers, un groupe gospel bien installé sur la scène locale, avec lequel il tourne pendant une année avant de se décider à franchir le pas vers la musique séculière en rejoignant les Echo Tones, un groupe R&B de Richmond auquel appartient le fils d’un des membres des Golden West Singers. Rebaptisé les Golden Tones, en référence à la riche voix de Simon, le groupe fait ses débuts en studio – celui de Bob Geddins – à l’été 1959, pour le label local Hush. Deux singles sont publiés et connaissent un petit succès local, mais des tensions internes aboutissent à la rupture du groupe.

C’est donc en tant qu’artiste solo que Simon publie ses disques suivants, à nouveau sur Hush, puis pour Irral et Gee bee. Paru initialement sur ce dernier label et ensuite repris par Vee-Jay, My adorable one offre à Simon son premier succès, avec la huitième place du classement R&B, mais Vee-Jay est en difficulté et il n’a le temps que d’y publier un second single avant que le label ferme ses portes. 

Par chance, il a été repéré par le très influent DJ John Richburg, qui officie depuis Nashville sur les ondes de WLAC. Dans un mélange des genres très courant à l’époque, Richbourg devient alors le manager de Simon et prend en charge la production de ses disques, qu’il fait paraître sur Sound Stage 7, un label annexe de la maison de disques plutôt orientée country Monument dont il assure alors la direction artistique. Le partenariat est une réussite immédiate, avec le succès de Teenager’s prayer qui ouvre une série de chefs-d’œuvre de la soul sudiste – Nine pound steel, Standing in the safety zone, (The) Chokin’ kind, mais aussi des titres moins connus comme Woman without love, Silver spoons and coffee cups ou Straight down to heaven – dont certains deviennent aussi des succès commerciaux consistants. (The) Chokin’ kind, emprunté à Harlan Howard, atteint la 13e place du Hot 100 de Billboard et offre à Simon le Grammy de la meilleure performance vocale masculine R&B – ses concurrents sont Ray Charles, B.B. King, Lou Rawls et Jerry Butler. 

Toujours en lien avec Richbourg, Simon signe ensuite avec Polydor, qui publie le sublime Your time to cry. Ses disques suivants paraissent sur Spring, une marque annexe de Polydor, qui le fait travailler avec Kenny Gamble et Leon Huff. Le partenariat est à nouveau une réussite, et Simon enchaîne les chefs-d’œuvre – Drowning in the Sea of Love, Power of Love… – tout en occupant régulièrement les sommets des classements R&B. À côté de ces tubes incontournables, quelques faces produites à Nashville ou à Muscle Shoals par John Richbourg continuent à creuser le sillon country soul, avec des perles comme I’m in the mood for you ou l’album “Simon Country”.

© DR
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Une incursion dans le domaine de la blaxploitation, avec le thème du film Cleopatra Jones en 1973, est une nouvelle réussite. Paru en 1975, Get down, get down (Get on the floor), qui substitue l’efficacité à la subtilité, est le plus gros tube de sa carrière, avec la 8e place du Hot 100. S’il ne retrouve plus ensuite ce niveau de réussite, il continue à enregistrer régulièrement jusqu’au début des années 1980, et décroche quelques succès comme Love vibration. Son dernier tube, Are we breaking up, sort en 1981 sur Posse – une annexe de Spring –, sous la houlette du producteur country Porter Wagoner. Un dernier “Mr. Right”, paraît en 1985, mais Simon a d’ores et déjà décidé de tourner le dos à la soul.

Après un ultime single produit par John Richbourg en 1987, Alone at last (une composition de Tony Joe White), il décide de se tourner intégralement vers la religion, et l’album “Loving Time”, annoncé sur l’étiquette du single, ne voit jamais le jour. Il annonce publiquement qu’il renonce à la soul en 1988. Après avoir produit en 1983 un album de la chanteuse gospel Jackie Verdell, c’est dans ce registre qu’il publie un disque à la fin de la décennie, “Simon Preaches Prayer”. S’il publie un autre album, “This Story Must Be Told”, dix ans plus tard, il délaisse alors largement la musique au profit de son rôle de pasteur.

Bien qu’il ait accepté de chanter au festival de Porretta en 2008 – dans un registre strictement religieux – et qu’il ait publié ponctuellement quelques titres, comme Lord they said I wasn’t gonna be nothin en 2016, c’est essentiellement à ses paroissiens que Joe Simon a réservé sa voix sur les trente dernières années, se consacrant en particulier à son Joe Simon Community Outreach à destination de la jeunesse, qui se déploie dans tout le pays. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR

Porretta Soul Festival 2008. © Alain Jacquet
Porretta Soul Festival 2008. © Alain Jacquet
Frédéric AdrianJoe Simon