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Live reports / 01.10.2020

Jazz Symphony, Basilique de Saint-Denis

23 septembre 2020.

Événement culturel de prestige, essentiellement consacré à la musique classique, le festival de Saint-Denis, qui se tient en général dans le cadre solennel de la Basilique, avait prévu dans sa programmation initiale une très intrigante “Jazz Symphony ”, interprétée par l’Orchestre National d’Ile-de-France sous la direction de Troy Miller, un batteur, producteur et arrangeur britannique qui a notamment travaillé avec Amy Winehouse, Laura Mvula, Gregory Porter, Mahalia et Jamie Cullum, avec pour solistes invités la trompettiste Lucienne Renaudin Vary, habituée des projets entre jazz et classique et, surtout, la chanteuse Laura Mvula, principale attraction du projet pour Soul Bag.

Initialement prévue en juin et évidemment annulée, la représentation a miraculeusement fait partie des trois spectacles reprogrammés en septembre – et, belle initiative, ouverts gratuitement au public local –, et même la défection de dernière minute de Laura Mvula n’a pas empêché la Basilique d’être copieusement remplie, en tenant compte des règles de sécurité applicable. C’est à Shaun Escoffery, un vétéran de la scène britannique depuis la fin des années 1990, qu’a été confiée la lourde tâche de la remplacer. Habitué du milieu de la comédie musicale, Escoffery a publié plusieurs albums, notamment sur le label spécialisé Dôme, et son dernier disque, paru il a quelques mois sur Decca, a été produit par Troy Miller. 

La déception, hélas, a été à la hauteur des espoirs. S’il y eut, peut-être, symphonie – je ne suis pas en mesure d’avoir un avis sur la question –, il n’y avait sûrement pas trace de jazz dans la musique qui a été jouée ce soir-là ! Au programme, en effet, une douzaine de standards parmi les plus éculés, dus pour l’essentiel à la plume de George Gershwin – le programme officiel se dispense de créditer les auteurs des textes –, de I got rhythm à I loves you Porgy, en passant par Mack the knife et They can’t take that away for me, données dans des versions grandiloquentes : impossible de reconnaître dans les violonades tonitruantes entendues ici la patte de Miller et la subtilité de son approche au service de la musique de Laura Mvula sur les disques de celle-ci. 

À la trompette, Renaudin Vary combine technique irréprochable et discours musical d’une totale vacuité et se contente de détailler la mélodie dans un registre qui évoque, au mieux, le redoutable George Jouvin “et sa trompette d’or”. Un duo avec Troy Miller, passé à la batterie, sur Mack the knife, se caractérise par sa superficialité et son goût de l’esbroufe. Quant à Shaun Escoffery, il fait de son mieux avec la médiocrité du répertoire et du contexte musical qui lui sont confiés, mais ses interprétations relèvent plus de Broadway que de l’Apollo, seul le début de They can’t take that away from me, accompagné seulement du piano de Miller, suscitant une certaine émotion. Clos, en rappel, par une version pompière de Summertime, c’est un sentiment d’ennui profond qui se dégage de l’ensemble, mais aussi, pour l’amateur de musiques afro-américaines, une certaine colère. 

En cette période difficile pour la musique live, il ne m’est pas agréable d’écrire une chronique aussi uniment négative. Il est néanmoins consternant de constater que, aujourd’hui encore, une institution culturelle très officielle peut considérer qu’il suffit de balancer une douzaine de compositions de Gershwin pour s’autoriser à affubler n’importe quel projet du terme “jazz”, quand bien même son contenu effectif n’a absolument rien à voir. Ce type de comportement est une preuve de plus du mépris dans lequel une partie du milieu culturel tient l’histoire et la réalité des musiques afro-américaines. Comme le rappelait Duke Ellington, « It don’t mean a thing (If it ain’t got that swing) »… 

Texte : Frédéric Adrian
Photo © Christophe Fillieule/FSD

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