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Live reports / 02.06.2015

Jazz sous les Pommiers

12 mai

– « Bonjour, je suis Larry Garner from Louisiana ! »

– « Bonjour, je suis Michael van Merwyk from Germany ! »

C'est sur cette simple introduction que les deux compères ont pris place sur scène, accueillis par le rire bienveillant du public qui aura noté le manque d'exotisme que suscite le pays natal de Van Merwyk, alors qu'on nous promet une plongée en apnée dans un juke-joint imaginaire et délocalisé. Mais il suffit de quelques mesures pour goûter l'intense complicité qui unit les deux hommes. Ils chantent à tour de rôle et assurent les chœurs respectivement, chacun laissant l'espace nécessaire à l’autre pour s'exprimer. C'est Larry Garner qui semble le plus à l'aise avec l'auditoire. Il esquisse quelques blagues en franglais, introduisant d'un bon mot presque chaque titre de ce ping-pong musical.

 


Michael van Merwyk et Larry Garner

 

 

Bien loin de l'exercice démonstratif, sans en faire trop, on voit bien que ces musiciens aguerris maîtrisent leur sujet tout autant que leurs guitares acoustiques aux sonorités boisées. Tout en simplicité et rondeur, l'exercice a en effet tout d'une jam session rondement menée par deux guitaristes siamois. Drôle d'impression aussi quand le géant germanique couche sur ses genoux un petit modèle pour jouer en slide. Une telle précision dans le jeu force le respect, et Garner de l'inviter à poursuivre ses improvisations en faisant tourner et durer les morceaux. Un régal.

 

 

J'ai cru reconnaître une bonne partie du répertoire de leur récent album Dixiefrog “Upclose And Personal” (She's the boss, Road of life), quelques autres titres de Garner au propos plus sérieux (sur les ravages de la drogue, par exemple) ou plus légers comme ce Jook joint woman qui fera bien rire tout le monde. Avec classe et spontanéité, les deux bluesmen finirent par se tirer le chapeau mutuellement et nous laissèrent là, repus de ces splendides moments passés ensemble. À peine une heure de prestation, ça peut paraître court, mais cela semble convenir au public qui, timidement, demandera néanmoins un petit rappel avant la coupure.

 

Changement de décor et de son pour le second round de cette soirée. On allume les amplis Marshall et Fender, on branche les pédales d'effets et on rigole doucement quand un membre du festival annonce que, non, ce ne sera pas Muddy Waters qui jouera ce soir à Coutances, mais bien une belle brochette de disciples plus ou moins proches venus lui rendre hommage sous la bannière Muddy Waters 100 (un projet chapoté par Larry Skoller qui se concrétisera aussi par un album prévu pour cet été). Apparemment, certaines personnes du public n'avaient pas bien lu la brochure du festival, ni d’ailleurs les pages nécrologiques du printemps 1983 !

Le premier membre de ce “all stars tribute” à grimper sur scène, c'est l'harmoniciste Matthew Skoller, qui fera aussi office de MC tout le long de la soirée. Dans un français un peu bancal mais sympathiquement assumé, il introduit un vieux routier de la scène blues, Bob Margolin, qui déboule rigolard avec sa Telecaster patinée. Margolin, qui a joué aux côtés de Muddy Waters de 1973 jusqu'au début des eighties, rentre illico dans le vif du sujet et croise le fer avec les envolées saturées de Skoller pendant une vingtaine de minutes. Un jeu sec et claquant doublé d'une voix profonde qui résonne impeccablement dans ce répertoire électrique. Skoller chante aussi, d'une voix éraillée juste ce qu'il faut. Les deux évoquent évidemment le grand Muddy et accueille Johnny Iguana qui vient prendre place derrière le piano demi-queue. C'est reparti pour une paire de titres à l'énergie explosive. On est bien dans l'esprit du son du Chicago des fifties, qui lorgne parfois le rhythm and blues avec des pièces aux tempos soutenus et une fougue contagieuse. Une impression confirmée lorsque sont appelés sur scène Felton Crews et Andrew “Blaze” Thomas (en remplacement de Kenny Smith) assurant dorénavant une rythmique basse-batterie métronomique.

 


Bob Margolin et Matthew Skoller

 


Johnny Iguana

 

Anecdotes et références à Muddy fusent, les titres s’enchaînent et ces apôtres du Chicago Sound prennent des solos à tour de rôle. La troupe livre une version bien sentie de Mannish boy dans laquelle Bob Margolin fait le show avec son jeu si particulier, picking avec le pouce et shuffle sur toute la longueur du manche. Sur I'm a king bee, le tube de Slim Harpo qui fut régulièrement revisité par Waters, c'est Matthew Skoller qui tire le maximum de son petit instrument avec une vigueur et une dextérité qui laisse l'audience bouche bée.

 


Bob Margolin et Matthew Skoller

 


John Primer

 

À l'approche de l'heure de jeu, Skoller annonce le prochain invité. Tout sourire, voici le flamboyant John Primer. Armé de son Epiphone quart de caisse, élégamment sapé, le voilà qui s'installe au beau milieu de la scène, laissant supposer que le patron est enfin arrivé. La température avait déjà fortement grimpé, mais dès l’attaque du premier morceau avec Primer aux manettes, on a vite compris qu'on n'allait pas se refroidir. Oui, ils nous ont donné bien chaud et on a bien insisté pour un rappel en bonne et due forme. Au final, un set de plus de deux heures que les festivaliers ne sont, à mon avis, pas près d'oublier. Une impression qui s'est confirmée un quart d'heure plus tard au stand merchandising où les artistes du soir dédicacèrent des dizaines d'albums et serrèrent plus de mains qu'un député normand en campagne.

 

Un peu plus tard, sous l'élégant chapiteau du Magic Mirror dressé pour l'occasion devant la cathédrale, on est parti écouter le son de Cotton Belly's, une jeune formation qui entremêle folk, blues et rock. Une énergie communicative, des musiciens sincères et bien enclins à s'amuser. Des titres évoquant autant la musique de John Fogerty que les premiers albums de Ben Harper. Quelques trucs plus intimistes aussi, d'autres plus alambiqués, à la frontière d'une ambiance rock progressif que j'ai eu un peu de mal à suivre. L'atout certain de cette formation, c'est Yann Malek, charismatique chanteur, très à l'aise aussi avec son harmonica et son bottleneck. Un bon choix en tout cas pour clore cette soirée placée sous les auspices du blues dans ses différentes formes.

 


Cotton Belly's

 

13 mai

C'est pour écouter la chanteuse Lizz Wright qu'un public nombreux se massait devant les portes de la salle Marcel Hélie en cette veille de jour férié. Une fois les 1 400 places occupées, et les recommandations d'usage à Coutances concernant le droit à l'image des musiciens, l'audience était fin prête à accueillir la native de Géorgie, pour l'une des rares dates de sa tournée européenne.

Timing parfait : à 20 h 15, comme indiqué sur le programme, elle et ses musiciens investissent la plus grande scène du festival. Avec Fellowship, Wright propose une introduction musicale veloutée qui lui sert aussi à présenter ceux qui l'accompagnent : Kenny Banks au piano et au clavier, Martin Kolarides à la guitare électrique, Nicolas D'Amato à la basse électrique et acoustique, Brannen Temple derrière la batterie. Les choses débutent vraiment quand ce beau monde entame Old man de Neil Young qui prend ici une tournure aux accents folk-soul bien inspirés, assez éloignée de la version studio (sur l'album de 2005 “Dreaming Wide Awake”). Le timbre chaud de Wright envoûte déjà le public. Suivront des titres aux attaques funky, avec leur lot de cocottes de guitares, de solides rythmiques et d'orgue groovy, comme (I've just got to use my) Imagination ou encore cette longue interprétation de Walk with me, Lord qui s'aventurent dans des directions inattendues (gospel, jazz, funk…).

 


Lizz Wright

 

Et puis, bien sûr, quelques moments plus sages, comme cette superbe ballade sudiste Hit the ground qui nous fait frissonner, et d'autres dans une veine pop soul feutrée où la voix de Wright s’entremêle avec le djembé qu'elle taquine comme dans Speak your heart. Une percussion qu'elle emploie aussi sur son tubesque My heart. Lizz annonce ensuite deux morceaux qui figureront sur son prochain album (“Freedom & Surrender”, à paraître début septembre) : If you lead me et une reprise de Roberta Flack, The first time ever I saw your face. Deux ballades exécutées dans la foulée, habillées d'une jolie couleur sixties (surtout If you lead me).

 


Martin Kolarides et Brannen Temple

 

Encore une ritournelle pop soul un peu facile et voilà que la Géorgienne nous annonce qu'il est temps qu'on reparte chez elle, histoire de bien comprendre les fondamentaux fertiles de sa terre natale. Bingo ! Une superbe version de Coming home, un titre qui suinte le gospel à grand renfort d'orgue, de basse ronflante et d'épices sudistes finement saupoudrées par le guitariste. La belle se lâche et c'est pour ces moments-là qu'on se dit qu'on a bien fait de venir. Ce long morceau indique aussi le temps de repartir chez elle, c'est-à-dire backstage. Les musiciens feront tourner le titre encore quelques minutes pour arriver pile poile à l'heure et quart de concert. Timing parfait, comme je disais. On aura tout de même droit à deux titres en rappel. Petite récréation pour le groupe qui semble prendre quelques libertés pendant que Lizz Wright, habitée, salue et remercie le public en envoyant quelques baisers. Des baisers qui, à la réflexion, devaient m’être destinés puisque j'étais au premier rang.

 


Brannen Temple, Martin Kolarides, Lizz Wright, Nicolas D'Amato, Kevin Banks

 

Comme la veille, c'est au Magic Mirror que se poursuivait la soirée. Ce mercredi, tard dans la nuit, on pouvait aller déguster le formidable menu d'une formation genevoise polymorphe : L'Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp ! Un line-up original (voix, guitare, ngoni, contrebasse, batterie, marimba, trombone, violon, cloches) pour une musique libre de toutes conventions. Une architecture en forme de petites pop songs passées à la moulinette du jazz, des vibrations afro-world cuisinées aux petits oignons par cette joyeuse tribu helvète. Un irrésistible groove baignant dans un fait-tout ou tout semble possible, bien loin des groupes aux concepts prétentieux.

 


Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp

 

Ces jazz messengers mondialistes visent juste avec la fougue des punks qu'ils ont probablement été. La salle gesticule et le chapiteau ne demande qu'à s’envoler. L'ultime décollage aura lieu pendant le rappel, le groupe offrant à qui n'était pas déjà sur les rotules une tonitruante version du standard panafricain Les jaloux saboteurs, un tube qui, depuis sa sortie au début des eighties, est porté au firmament par l'internationale des ambianceurs de Brazzaville, Abidjan, N’Djamena et dorénavant Genève !

Texte et photos : Jules Do Mar