Bluescamp 2023 et 141e Blues Station
28.11.2023
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On l'avait quitté en pilier du “nola fonk” de Jon Cleary en octobre dernier (report ici), le revoici à la pointe de son propre quartet. Entre-temps, Jamison Ross a vu son premier album (“Jamison”, Concord Jazz) nominé aux Grammy awards, une excellente nouvelle car il fait partie des belles découvertes de l'année 2015.
Les caresses de ses balais se mêlent aux inflexions soul de sa voix et le Duc des Lombards plonge d'emblée au cœur de la personnalité du jeune homme. On a beau avoir du mal à reconnaître cette Epiphany interprétée différemment de la version studio, les présentations sont faites de manière idéale. C'est cette aisance, cette fluidité confondante, cette interaction naturelle entre ses deux instruments qui fait que Jamison Ross captive. Sans jamais forcer. Comme lorsqu'il enchaîne avec l'autre composition de l'album, Emotions. Un peu de Stevie Wonder dans les mélismes aériens, un peu de Donny Hathaway dans la profondeur de timbre… et beaucoup de Jamison, qui met aussi son savoir-faire encyclopédique de la batterie au service des chansons. Ici en soulignant la pulsation à coup de mailloche ou de fagot, là en saupoudrant swing et groove d'un fin alliage grosse caisse-charleston, plus tard en tricotant sur l'arceau de sa caisse claire… Une vraie panoplie de ces « suggestions soulful » dont il nous parlait en interview (à retrouver dans notre prochain numéro) et de quoi se faire plaisir le long du Set us free d'Eddie Harris – seul instrumental du set et occasion pour Jamison de faire chanter le thème à tout le Duc – ou livrer une sublime version de These things you are to me de son ex-employeuse Carmen Lundy.
Barry Stephenson, Jamison Ross
Chris Pattishall, Jamison Ross, Barry Stephenson, Rick Lollar
Le trio qui l'entoure participe pleinement à la réussite de cette conversation ouverte qui semble couler de source ; l'avantage des “vieux” complices côtoyés depuis les bancs de l'université. Ainsi la contrebasse de Barry Stephenson (lui aussi Néo-Orléanais d'adoption) épouse les contours rythmiques sculptés par Jamison. Ainsi le doigté habile et léger du pianiste Chris Pattishall offre un contrepoint attentif à la progression harmonique et au déroulement mélodique des pièces revisitées. Et puis de la droite s'élève la guitare saillante de Rick Lollar dont l'atout principal réside dans ce dialogue constant entre souplesse jazz et ancrage blues. C'est lui qui lancera ce Bye bye blues réinventé en deux parties. Diablement ralentie, cette antiquité de 1930 tient en haleine et prend son envol vers un sommet d'intensité. Pression maintenue lorsque Jamison embraye sur un Deep down in Florida (Muddy Waters) survolté d'où jaillit son sens aigu de la syncope made in New Orleans. Ce toucher de grosse-caisse !
Rick Lollar, Jamison Ross
Point de My one and only love en rappel, mais en lieu et place une autre caresse vocale via un Don't go to strangers (Etta Jones) qui témoigne à nouveau d'une grande faculté de faire sienne des chansons de première classe. Jamison Ross devrait être de retour en Europe et peut-être en France dès cet été.
Nicolas Teurnier
Photos © Frédéric Ragot