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Live reports / 21.07.2016

Hugh Coltman

La musique reprend ses droits sur la Côte d’Azur. Cet été, le terrorisme aura eu raison du Nice Jazz Festival : programmé du samedi 16 au mercredi 20 juillet, il devait se tenir à deux pas de la promenade des Anglais qui a été ensanglantée au soir du 14 juillet et a donc été annulé dans son intégralité. Jazz à Juan, de son côté, a participé au deuil en annulant ses concerts de vendredi, samedi, dimanche et lundi derniers. On attendait notamment Buddy Guy et Gregory Porter. Mercredi 20, la soirée de reprise (un concert de Didier Lockwood a tout de même eu lieu ici le jeudi 14) s’ouvre sur une minute de silence. Les trois mille spectateurs présents se lèvent, debout devant leurs places numérotées : malgré l’horreur perpétrée de l’autre côté de la baie, la pinède Gould reste l’une des plus magnifiques enceintes de jazz au monde. La terreur n’aura rien changé à cette beauté à couper le souffle.

Place à la musique, donc. Le chanteur britannique Hugh Coltman a « un cœur énorme », nous a prévenu sur scène Jean-René Palacio, directeur artistique du festival. Il a aussi un cœur bien accroché : il y a 48 heures, il était à Istanbul, théâtre d’un coup d’État avorté qui a fait plusieurs centaines de morts. Heureusement, Coltman est bien entouré. Autour de lui, il y a un quartette de jeunes gens bien (Thomas Naim à la guitare, Gael Rakotondrabe au piano, Christophe Mink à la contrebasse et Raphael Chassin à la batterie) ; derrière Coltman, il y a la mer, magnifique ; et devant lui, il y a nous, avides de renouer avec ce qui nous lie.

Ce que propose Hugh Coltman n’est pas (du tout) un simple hommage à Nat King Cole (1919-1965). À juste titre, d’ailleurs, son album sorti l’an passé (cf. chronique dans Soul Bag numéro 220), son disque de reprises du célèbre pianiste et crooner américain ne s’appelle pas « Tribute To », mais « Shadows ». Comme une exploration des zones d’ombres d’un musicien maintes fois brutalisé par le racisme de son époque mais dont l’œuvre, majeure, ne laisse transpirer aucune colère. « Certains vont juger que c’est de la lâcheté. Pour moi, c’est plutôt une force », dit Coltman qui, sur scène, réussit l’exceptionnelle performance de mêler l’extrême élégance des chansons de Cole et une déchirure qui, bien que présente à l’origine, était restée jusque-là inaudible. Ce qu’on pourrait peut-être appeler le blues chez Nat King Cole.

Hugh Coltman s’habille en dandy d’un autre temps, mais se plie et grimace sous le poids des notes bleues. Quand il pousse sa voix dans la transe, je pense à Jeff Buckley ; quand il reprend Mona Lisa ou Smile (de Charlie Chaplin), j’écoute pour la première fois les paroles ; quand il annonce un titre peu connu de Johnny Guitar Watson (Lovin’ you), je crie « oh yeah » d’impatience ; quand il reprend Smokestack lightnin' du Wolf et le dédie à Buddy Guy (qui apparaît sur les affiches du festival en cours), on hurle ensemble au loup. Sur scène, Coltman-la-classe fait un pas de côté pour écouter ses partenaires ; Coltman-le-fou-de-son plonge la tête la première dans les entrailles du piano à queue et chante au plus près des cordes et du jeu de son pianiste ; Coltman-le-francophone souligne en riant que, quand il s’adresse à nous, la plupart ne le regardent pas, lui, mais son image diffusée sur les écrans géants. Coltman-le-battant-reconnaissant avait prévenu d’entrée : « Il y aura un 57e festival Jazz à Juan. Puisque vous êtes là ce soir ». Bravo à vous aussi, Mr. Coltman. Mais pour cet été, ce n’est pas (déjà) fini, oh non. Ceux qui vous succèdent sur scène s’appellent notamment Marcus Miller (ce jeudi), Robin McKelle (samedi) et American Gospel Junior en clôture dimanche. En attendant l’année prochaine, promis.
Texte : Julien Crué
Photos Hugh Coltman : OTC Antibes Juan Les Pins / Gilles Lefrancq