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Live reports / 20.03.2013

Heritage Blues Orchestra

Est-ce l'effet “nommé aux Grammys” ? Le bouche-à-oreille suite à des apparitions encore rares sur les scènes de l'Hexagone ? Ou tout simplement la rançon d'un premier album excellent ? Toujours est-il qu'il y a foule au New Morning ce jeudi soir. Surprenant autant que réjouissant pour un groupe de blues qui n'a que quelques années d'existence au compteur.

Avant que débarque la troupe de l'Heritage Blues Orchestra, surprise, c'est à un seul homme que revient la tâche de planter le décor. Pas n'importe quel homme puisqu'il s'agît de Matthieu Fromont, alias Boogie Matt Weavil. Ceux qui l'ont déjà vu sur scène, en solo ou avec Bo Weavil, savent bien qu'il ne lui faut pas longtemps pour imposer son blues sans fioritures. Captivant, Matt l'est aussi bien grâce à son chant charpenté que ses juteuses phrases d'harmonica et son touché expert en guitare “down home”. En invoquant les esprits de John Lee Hooker, Lightnin' Hopkins et autres maîtres en climat hypnotique, le soliste signe une entrée en matière idéale pour ce qui va suivre.

Les neuf membres de l'Heritage Blues Orchestra ont beau investir les lieux avec une large palette d'instruments, ce n'est pas pour s'éparpiller ou faire illusion. Au contraire, il s'agit de faire fructifier un projet cohérent qui déjà sur disque (“And Still I Rise”, 2011) présentait une belle ramure. Sur scène en 2013, elle atteint d'autres hauteurs.

 


Bill Sims Jr., Chaney Sims, Junior Mack, Didier Havet, Bruno Whilhelm, Michel Feugère, Jean Gobinet, Vincent Bucher

 

L'intro a cappella de Go down Hannah qu'entonne Bill Sims Jr. nous plonge droit au cœur de l'album. Quand embraye la section de quatre souffleurs, emmenée par le saxophoniste Bruno Wilhelm, on a réellement l'impression que le disque prend forme sous nos yeux. Et puis, plus on s'installe dans le concert, plus on s'aperçoit que l'HBO nous offre davantage que cet album dont il reprend sur scène tous les titres. Non seulement il en récrée l'alchimie singulière, mais il lui confère une ampleur nouvelle : c'est le fait de musiciens chevronnés qui savent mettre leur technique au service de l'ensemble. L'harmoniciste Vincent Bucher en est le parfait exemple. On ne compte plus combien de relances, de ponctuations, de solos de sa part retiennent notre attention.

 


Vincent Bucher

 

Kenny Smith aussi redouble d'inventivité pour faire parler fûts et cymbales. Comme d'habitude, serait-on tenté de dire, mais s'il ne nous a jamais paru blasé dans la multitude de groupes auxquels il a déjà prêté ses services, il semble ce soir au meilleur de son inspiration pour asséner son drumming tranchant caractéristique. Signalons au passage que, oui, le batteur à la fine casquette est bien la preuve que disco (dans sa version originelle, organique, comme le pratiquait Earl Young à Philadelphie il y a quarante ans) et blues peuvent faire bon ménage : la pulsation harassante qu'il insuffle à un “traditionnel” comme Hard times est irrésistible.

 


Kenny Smith

 

On en oublierait presque la première ligne de cette fine équipe si elle aussi ne tirait pas son épingle du jeu, individuellement et collectivement. Bill Sims Jr., sa fille Chaney et leur acolyte Junior Mack se partagent le chant lead et les chœurs, pour le meilleur et pas pour de rire. Complémentaires, soulful, recueillies, puissantes, leurs interventions forcent le respect. Et les deux messieurs font preuve d'autant d'à-propos sur les manches de leurs guitares, également derrière le piano dans le cas de Sims Jr.

 


Bill Sims Jr.

 


Junior Mack

 


Chaney Sims

 

De cette alliance solide fleurit un blues multiple, à la fois profondément enraciné dans le terreau du Sud rural des États-Unis et alerte comme une rencontre entre jazzmen sachant concilier partitions et improvisations. Un projet, un groupe, une union qui donne tout son sens à son nom.

Nicolas Teurnier

Photos © Fouadoulicious