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Live reports / 09.07.2015

Ginger Baker Jazz Confusion

De manière surprenante, c’est un New Morning à moitié vide qui accueillait deux grandes légendes de la musique ce 30 juin. La première, c’est Ginger Baker, l’exubérant batteur révélé par le groupe Cream avec Eric Clapton et Jack Bruce qui a ensuite fait partie de l’aventure Blind Faith (Clapton toujours avec Steve Winwood) avant de bifurquer vers le funk torride et l’Afrique en compagnie de Fela Kuti. La seconde, c’est le saxophoniste Pee Wee Ellis, vieux complice de Fred Wesley et Maceo Parker au sein des glorieux JBs chez James Brown. Le point commun des deux hommes ? Ils viennent du jazz et sont toujours restés jazzmen dans l’âme. C’est ce jazz qui les a réunis en 2014 dans un magnifique album, bizarrement passé presque inaperçu : “Why?”, signé Baker sur le label Motéma. C’est à cet album que le concert était consacré, et les deux grands hommes étaient accompagnés par les mêmes musiciens : le (contre-)bassiste Alec Danworth et l’extraordinaire percussionniste ghanéen Abass Dodoo. Et ce concert fut l’un des meilleurs auquel j’aie assisté depuis longtemps : les absents ont eu grand, grand tort !

 


Ginger Baker et Pee Wee Ellis

 

Les choses commencèrent pourtant de manière bien tendue. Les musiciens entrèrent sur scène en tirant une gueule de dix pieds de long et en jetant des regards presque mauvais au public présent. Au terme du premier morceau, impeccable, Baker se fendit même d’une de ces crises de colère dont il a le secret, toute en violence à peine contenue : le Monsieur avait envie de pisser et la loge du New Morning est dépourvue de toilettes pour les artistes ! Traversant la salle à grand-peine pour rejoindre les toilettes, maudissant les organisateurs (« Première fois que je vois ça en 59 ans de carrière ! ») et intimant l’ordre à ses musiciens de cesser de jouer pour meubler, le vieux teigneux à l’humeur chatouilleuse et à l’humour amer fut fidèle à sa réputation, c’est le moins que l’on puisse dire !

Passé cette entrée en matière pourtant, le concert fut de toute beauté, des sourires de contentement faisant même leur apparition sur les visages des musiciens pendant qu’ils transpiraient en donnant le meilleur d’eux-mêmes. Tous furent excellents et Baker, malgré le poids des ans et de la maladie (d’une voix d’outre-tombe au souffle rauque, il nous apprit qu’il venait de sortir d’une pneumonie) reste absolument phénoménal. Quel toucher, quelle finesse, quelle frappe ! Toujours ce qu’il faut là où il faut. Avec Abass Dodoo collé à ses côtés, l’entente instinctive, viscérale, est tellement parfaite qu’à plusieurs moments dans les solos, les deux hommes paraissent en totale symbiose, comme s’ils ne formaient qu’un seul et même organisme (par exemple sur Ginger spice).

 


Alec Danworth et Abass Dodoo

 


Ginger Baker

 

Difficile de sortir des moments forts alors que toutes les interprétations furent superlatives, mais citons peut-être Aïn Temouchant aux effluves algériennes ou encore 12+ more blues avec un imparable Pee Wee Ellis. Ellis, que je n’avais jusqu’à présent vu que dans un contexte funk, mais qui dévoila ce soir-là (comme sur le disque, d’ailleurs) l’étendue d’une majesté quasi-coltranienne. Au-delà même de sa présence scénique de bouddha, son saxophone rendit palpable toute la spiritualité du jazz sans artifice, ce feu sacré bouillonnant qui fait s’envoler les âmes. L’apothéose fut ainsi atteinte avec le morceau-titre de l’album, Why? et ses longues citations plaintives de Wade in the water, gospel immémorial. Final aussi logique que grandiose.

Éric D.
Photos © Fouadoulicious

 


Pee Wee Ellis

 


Ginger vous salue bien