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Live reports / 05.09.2009

Festival Happy Days


Sherman Robertson © Denis Claraz

Commune de quelque 3 000 habitants de la banlieue nord-ouest de Grenoble, Le Fontanil-Cornillon organise depuis dix ans le festival Happy Days. Pour cette dixième édition, les organisateurs ont concocté un plateau de tout premier ordre, avec notamment Sherman Robertson et Craig Adams en exclusivités européennes ! Étonnant quand on sait que le spectacle est entièrement gratuit…

Au pied de la Chartreuse, le cadre champêtre du parc municipal accueille en ouverture Junior JFK & the Bodyguards, qui délivre un reggae nerveux et réjouissant. Emmené par le chanteur d'origine irlando-galloise (je m'explique maintenant son accent, qui donne l'étrange impression qu'il prononce mal l'anglais !) Junior JFK, de son vrai nom John Francis Kenwright, bien soutenu par une rythmique syncopée à souhait et un bon guitariste, le groupe se caractérise par des influences variées (Beatles, Marvin Gaye), même si l'ombre de Bob Marley plane en permanence…

La jeune chanteuse franco-camerounaise Sandra Nkaké lui succède. Un peu danseuse, parfois conteuse, elle est surtout dotée d'une magnifique voix sensuelle. Elle séduit aussi car elle s'approprie la scène comme seules savent le faire les chanteuses à tendance soul, même si son registre dépasse ce spectre, empreint tantôt de funk, tantôt de jazz, certes toujours en souplesse, mais avec une suggestion rare. Bref, elle tisse sa toile, et on est (é)pris. Irrémédiablement. Une vraie belle découverte.

 
Sandra Nkaké © Denis Claraz

Élevé au Texas et installé à Houston, Sherman Robertson est né en 1948 à Breaux Bridge, au cœur des bayous de Louisiane. À partir de 1982, il fut d'ailleurs le guitariste du maître du zydeco, Clifton Chenier (1925-1987). Dans un genre dont il est peut-être le dernier représentant, sa musique est une parfaite alliance des styles texan et louisianais, surtout à la guitare. Côté Texas, l'influence d'Albert King se ressent dans son jeu tranchant sur des titres percutants (Victim of circumstance, Home of the blues, She's my Texas cutie), mais les racines louisianaises resurgissent quand le tempo ralentit : voir ainsi le medley prenant Dust my broom/Mojo hand, sur lequel son phrasé personnel tout en glissandos évoque la guitare slide ! Vocalement, Robertson se distingue par son timbre original et chargé d'émotion, un peu éraillé et à la limite de la rupture. Cette voix lui permet d'atteindre les sommets sur des morceaux lents comme Am I losing you et surtout One room country shack, sur lequel il se déchire. Ses accompagnateurs (claviers, basse et batterie) font le job sans fantaisie, mais avec son sens consommé de la scène, le leader contrôle tout pour nous servir un set remarquable, justement salué par le public.


Sherman Robertson © Denis Claraz

Comme Robertson, le pianiste et chanteur de gospel Craig Adams est venu spécialement pour l'occasion. Il attaque au piano (The lord is blessing me) dans un style boogie-woogie fougueux hérité de Fats Domino, dont il n'est pas le neveu par hasard… Né à La Nouvelle-Orléans en 1968, Adams (voir l'article qui lui est consacré dans le numéro 190 de Soul Bag) enflamme depuis de nombreuses années les églises locales, exploitant également pour cela sa voix puissante. Et sur scène ouverte, il fait somme toute la même chose… S'accompagnant de quatre choristes, d'une rythmique impeccable (Alvin Ford diabolique aux fûts !) et de l'inusable guitariste français Mauro Serri, il assène avec un égal bonheur les classiques sacrés (God will make a way, You can't hurry God, Down by the riverside, Let the good times roll, When the Saints go marching in), invitant même le public à participer sur scène. Il ne reprend son souffle que pour laisser son choriste Dale Blade (très bien) chanter A change is gonna come, puis la fête reprend (Can' nobody do me like Jesus et forcément Oh happy day). Car il s'agit bien de cela pour Adams : faire la fête, partager, communier.


Craig Adams © Denis Claraz


Choristes de Craig Adams © Denis Claraz


Craig Adams (vo, kbd), Mauro Serri (g), Alvin Ford (dm), choristes et public ! © Denis Claraz

Jean-Jacques Milteau clôt l'événement avec la formation vue à Vienne en juillet dernier (voir le compte rendu correspondant) : Manu Galvin à la guitare, Gilles Michel à la basse et Éric Lafont à la batterie, associés à deux superbes chanteurs soul états-uniens dénichés par Milteau, Michael Robinson et Ron Smyth. Dans cette ambiance si particulière faussement feutrée car pleine de richesse, le spectacle ne diffère guère par rapport à Vienne, mais comme on évolue dans l'excellence… Titres churchy  et soulful sublimés par les vocaux haut perchés de Robinson (Thank you lord, Will the circle be unbroken) et plus sombres de Smyth (Is this the way, une lecture magnifique du You can’t always get what you want des Stones en rappel), Milteau en verve à l'harmonica (Down in Mississippi, le boogie Long time gone), les bons moments se succèdent. Bref, contre vents et marées (il compte quelques détracteurs) et vingt mille lieues sous le marasme mercantile, Jean-Jacques Milteau continue de mener sa barque avec flair et intelligence.


Gilles Michel, Ron Smyth, Michael Robinson, JJ Milteau, Manu Galvin © Denis Claraz


JJ Milteau & Manu Galvin © Denis Claraz


Gilles Michel, Ron Smyth, Michael Robinson, Éric Lafont © Denis Claraz

Au-delà d'une réussite artistique évidente (ceci étant, jamais acquise à l'avance), depuis sept ans et l'autodestruction de la nuit du blues par la faute d'un organisateur aux tendances mégalomaniaques, on n'avait pas vu un plateau d'une telle qualité concernant le blues, la soul et le gospel dans la cuvette grenobloise. Pourtant le potentiel existe et le public est là : même si c'est difficile à évaluer dans le cadre d'un spectacle gratuit, il y avait bien trois mille personnes au plus fort de la soirée… On ne remerciera donc jamais assez pour ce merveilleux cadeau les géniteurs de ce festival, dont d'autres jours heureux semblent assurés malgré le changement de l'équipe d'organisation annoncé à l'issue de cette édition. Car franchement, même le temps d'un soir, Le Fontanil était bien la capitale des musiques afro-américaines. Qui l'eût cru ?
Daniel Léon