Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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Le Méridien Étoile réunissait du 7 au 10 décembre un magnifique plateau estampillé “Chicago Blues 2016”. En fait de Chicago, on naviguait plutôt dans les eaux du Mississippi car aux côtés de la chanteuse texane Diunna Greenleaf, les musiciens avaient les pieds bien ancrés dans le terreau sudiste, à commencer par Eddie Cotton Jr (chant, guitare), dont Soul Bag a vanté à juste titre les mérites des deux derniers albums (“Here I Come”, 2014 ; “One At A Time”, 2015, cf. SB n° 215 et 221) et Grady Champion (chant, harmo, un peu de guitare), artiste Malaco (“Bootleg Whisky”, 2014 ; “One Of A Kind”, cf. SB n° 217 et 225) et patron du label DeChamp Records (Eddie Cotton Jr, J.J. Thames). En soutien : Darryl Cooper aux claviers (échantillonnage Fender Rhodes, essentiellement), Myron Benett à la basse (sa main droite atrophiée – il n'a que deux doigts, l’auriculaire pour les walking bass et le pouce pour slapper – ne l'empêche pas de développer des lignes bourrées de swing) et le jeune Kendero Webster à la batterie, dont la nervosité alla heureusement decrescendo au fur et à mesure du show.
Les deux sets auxquels nous avons assistés reposaient sur une architecture identique : deux titres par artiste, de longues plages improvisées et beaucoup d'interaction/camaraderie entre les musiciens. C'est Diunna Greenleaf qui ouvre le bal avec un Back door man pris en mode funky et interprété d'un point de vue féminin. Dotée d'une voix puissante à la Koko Taylor (influence revendiquée) et d'un charisme à déplacer des montagnes, elle conquiert sans difficulté un public qui s'était déplacé en masse ce soir-là (le club affichait complet). Las, le titre s'englue dans des ad-libs trop longs… On finit donc par s’ennuyer, même si Diunna parvient à garder le contact avec les spectateurs, ce qui n’est jamais chose aisée avec une audience francophone… Même constat pour la belle ballade Be for me (tirée de son dernier album en date, “Trying To Hold On”, sorti en 2011, cf. SB n° 205) : le texte est original – elle raconte comment son père s'y est pris pour déclarer sa mère en mariage ! – mais les dix minutes qu'elle y consacre en paraissent le double.
Diunna Greenleaf © J-M Rock'n'Blues
Myron Benett © J-M Rock'n'Blues
Kendero Webster © Brigitte Charvolin
Grady Champion reprend le micro pour un Back door man très différent du premier (pas de changement d'accords, tempo très lent). S’il semblait un peu maladroit en tant que sideman, le fait de passer en tête d'affiche le métamorphose : sourire carnassier, œillades appuyées à la gent féminine, harmo bien baveux, allusions libidineuses (« Désolé, j'aime bien faire durer, je suis de la campagne moi et c'est comme ça qu'on fait là-bas. »), la réussite est totale. Il enchaîne avec une tournerie soul uptempo qui lui donne l'occasion de faire lever et danser toute la salle. J'ai rarement vu une telle ambiance dans le cadre habituellement policé du Méridien !
Darryl Cooper, Grady Champion © Brigitte Charvolin
Grady Champion © J-M Rock'n'Blues
C'est à ce moment qu'Eddie Cotton Jr s'empare du micro, tout sourire, et assène une version exceptionnelle du You're gonna need me d'Albert King : très grand chanteur (pensez à un croisement entre Al Green, Syl Johnson et Robert Cray), c'est aussi un guitariste intense, en témoignent ses sept grilles de chorus en son clair qui finiront par faire hurler la salle et ses musiciens. Il s'en excuserait presque d'ailleurs (« Sorry I might play too loud, but this is what the blues is all about, it makes me want to express myself. »). Il finit de mettre tout le monde d'accord avec un Don't you lie to me bien brûlant et c'est sous les applaudissements du public qu'il quitte la scène, non sans avoir félicité les spectateurs d'avoir « transformé le jazz-club en juke joint ». Grosse impression.
Eddie Cotton Jr © J-M Rock'n'Blues
Grady Champion, Diunna Greenleaf, Eddie Cotton Jr © J-M Rock'n'Blues
Le deuxième set reproduit le même scénario : deux morceaux trop longs de Diunna Greenleaf (dommage, car les chansons sont bonnes : la douce-amère Sunny day friends, durant laquelle elle évoque avec émotion les liens qui l'uniss(ai)ent à Pinetop Perkins, Hubert Sumlin, Bob Margolin ou Carey Bell, et l'émouvante Takin’ chances, dédiée à Smokin' Joe Kubeck et à sa femme).
Diunna Greenleaf, Eddie Cotton Jr © Brigitte Charvolin
Diunna Greenleaf, Eddie Cotton Jr © J-M Rock'n'Blues
Grady Champion enchaîne et fait grimper la température de dix degrés (et hop, la salle se remet debout, cette fois au son de la sautillante Make that monkey jumpin' aux effluves quasi zydeco). Eddie Cotton redécroche la timbale via I'll play the blues for you (sans monologue mais avec d’incroyables tensions-détentes) et surtout Matchbox blues interprété façon boogie et qui se clôture dans un déluge de riffs façon Lookin' good de Magic Sam. Comme quoi, Chicago n’est jamais loin… Quelle présence, quelle énergie ! Dommage qu'il n'ait pas été puiser dans le répertoire de ses derniers CD – c'est un bon songwriter – et se soit contenté de reprises d'Albert KIng, mais au final, peu importe le matériel quand le blues est joué avec un tel niveau d'intensité. Qu'il nous revienne en tête d'affiche pour un concert qui lui soit intégralement consacré, car on veut en entendre plus !
Ulrick Parfum
Photos prises le 7/12 par J-M Rock'n'Blues et le 10/12 par Brigitte Charvolin
Plus de photos du 7/12 ici
Grady Champion © J-M Rock'n'Blues
Diunna Greenleaf © J-M Rock'n'Blues