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Live reports / 28.04.2014

Curtis Salgado

Venir de l'Oregon, ne pas jouer de guitare, avoir la peau blanche en même temps qu'un pied dans le blues et l'autre dans la soul… Visiblement tout ça ne facilite pas l'exportation vers la France. Ajoutez de sérieux ennuis de santé et vous commencez à comprendre pourquoi Curtis Salgado a 60 ans quand il foule pour la première fois une scène de l'Hexagone. C'était jeudi dernier. Une grande première qui a tenu ses promesses.

Le chanteur-harmoniciste de Portland n'ayant pu faire le voyage avec son groupe dans ses valises, l'affaire n'était pourtant pas jouée d'avance. C'était compter sans le soutien au diapason du guitariste “Monster” Mike Welch – très West Side avec sa main gauche prompte à décocher un vibrato bien saignant – et d'un intrépide combo réuni par Fabrice Bessouat. L'entente entre les baguettes sensibles de ce dernier et la basse inébranlable de Mig Toquereau génère une souplesse nécessaire à la bonne conduite du style polyvalent du leader. Avec seulement un gig à Helsinki l'avant-veille et de maigres heures de répétition dans les jambes, Salgado limite logiquement son répertoire original et ses arrangements soul à la portion congrue, au privilège du blues que ses nouveaux acolytes respirent naturellement.

 


Mike Welch

 


Fabrice Bessouat

 


Mig Toquereau

 

Mais bien souvent les deux univers se rejoignent, en premier lieu dans le chant de Salgado qui en impose dès les premières mesures de Tired of your jive et fait preuve d'une aisance dans sa manière d'incarner les paroles qui en dit long sur son expérience. De la précision avec laquelle il gère son souffle découle une palette d'expression qui vise juste à tous les coups, qu'il en appelle à B.B. King, Bobby Bland, Sonny Boy Williamson II ou à Little Walter, sur des pièces de choix qu'il est peu commun d'entendre (I smell trouble, Mr. Downchild, Come back baby…). Il en va de même lorsqu'il saisit son harmonica, amplifié ou non, dont il use avec un phrasé original, précis et percutant, capable de faire monter la pression en galvanisant ses hommes. Ceux-ci n'ont d'ailleurs pas à se faire prier, et si évidemment tout n'est pas encore rodé, la spontanéité de la relation instaurée sur scène dégage un plaisir de jouer contagieux qui trouve écho dans les applaudissements fournis d'un Méridien bien rempli.

 


Curtis Salgado

 

 


Julien Brunetaud

 

En confiance, une dose d'humour jamais loin, Curtis Salgado sait qu'il peut s'appuyer sur des réponses au quart de tour. Un quart de tour, c'est ce que Julien Brunetaud opère sur son tabouret pour jongler entre orgue et piano. On ne l'a pas encore cité, mais son sens du dialogue joue un rôle de liant essentiel depuis le début du show. La pertinence de ses interventions n'a pas échappé à Salgado qui n'hésite pas à lui commander un cocktail blues servi frais façon Charles Brown, ni à lui confier les rênes d'un boogie endiablé. Entre-temps on est passé aussi par une ballade deep soul (I want everyone to know de Don Bryant), du Chicago blues Chess grand cru (Too young too know et I'm ready de Muddy Waters) et du soul-blues qui groove à la mode de Memphis (les compos Drivin' in the drivin' rain et 20 years of B.B. King), le tout avec une réelle cohérence. Bien partie pour en plus se bonifier au fil des concerts, voilà une formule déjà gagnante qui mérite de conquérir salles et festivals.

Nicolas Teurnier

Photos © J-M Rock'n Blues