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Live reports / 01.09.2015

CHICAGO BLUES FESTIVAL

L’avant-veille, des grêlons frappaient Chicago ! Qu’il vente, pleuve ou qu’une lourde chaleur humide étouffe le touriste – mais pas les habitants, qui en ont l’habitude – vos deux représentants Soul Bag se sont exposés courageusement au climat instable de la Windy City, bravant les éléments pour vous offrir le meilleur compte-rendu possible de cette riche édition de son festival annuel, toujours gratuit malgré un déficit budgétaire aggravé.

Vendredi 12

Un brouillard froid et transperçant crispe progressivement les doigts sur le déclencheur photo.

Studebaker John & Maxwell St. Kings. À l’harmonica ou à la slide, John Grimaldi (tons nasillards), Rick Kreher (g) et Steve Cushing (dm) reproduisent l’âpreté 50’s des bluesmen du fameux marché mais le leader semble réciter plutôt qu’animer.

Andy T. & Nick Nixon Band. Eux aussi manquent d’entrain, d’autant plus que Nixon, assis, paraît plus absorbé par son lutrin que par son phrasé. À la guitare, son comparse s’est mis au diapason, ce qui induit davantage de routine.

 


Studebaker John

 


Andy T. & Nick Nixon

 

Eddie Shaw & The Wolf Gang. L’ex-ténor de Howlin’ Wolf poursuit la tradition, poches sous les yeux et souffle court mais heureusement sans pathos. Toujours le fiston à ses côtés avec sa spectaculaire guitare à trois manches.

JJ Thames. CD de Memphis soul perso bien produit ; show touristique bourré de clichés au répertoire dit « infernal ». Dommage.

 


Eddie Shaw

 


Vaan Shaw

 


JJ Thames

 

John Primer. Jamais de surprises, mais qu’est-ce qu’on se sent bien dès les premières notes ! Un plaisir de Chicago blues renouvelé à chaque occasion. Et dire qu’il était monté à Chicago pour trouver un boulot !

Charlie Love. Égal à lui-même (c’est pratiquement un résident du Kingston Mines). Soul blues cuivrée qui déménage.

 


John Primer et Johnny Iguana

 


Charlie Love

 

Nellie “Tiger” Travis. Un des piliers vocaux de la scène locale. Carlos Showers et des cuivres bien venus complètent son style très inspiré de Koko Taylor. Cependant, sur les grandes planches, Zora Young lui est supérieure. Son band a de la gueule ; elle aussi.

Mary Lane. J’aime son honnêteté, sa présence “club” malgré une voix atonale. Le band de Rockin’ Johnny y apporte sa touche rétro.

 


Nellie “Tiger” Travis

 


Walter Scott et Zora Young

 


Mary Lane

 

Geneva Red & The Original Delta Fireballs. C'est-à-dire son mari à la guitare et batterie rythmique façon one-man band. La rousse flamboyante pratique un harmonica down home peu courant et réunit encore une bonne poignée de spectateurs complètement transis avec son interprétation fifities-Sonny Boy II de Road house blues des Doors. Au final dansant vient se joindre l’ancienne section rythmique de Son Seals, dont Snapper Mitchum (b).

Tyrannosaurus Chicken. Duo original (one-man band et violoniste) au look tendance bûcheron-Appalaches dont le répertoire répétitif se situe dans la lignée du Rev. Peyton.

 


Geneva Red et Snapper Mitchum (*)

 


Billy Boy Arnold et Geneva Red
(*)

 


Tyrannosaurus Chicken (*)

 

Clarence Carter. Je n’ai jamais été “dedans” et apparemment lui non plus, enfilant sans âme et à froid (dans tous les sens du terme) les hits passés.

Syl Johnson. Rare occasion de l’entendre soutenu par un orchestre de plus de dix musiciens et des choristes. Super ! Problème : cet ensemble n’a été prévenu que dix jours avant la représentation, le manque de répétitions s’en ressent. Mais quand la machine est au point, la soul revient. L’engourdissement de votre serviteur est maintenant total.

 


Clarence Carter

 


Syl Johnson

 


Syl Johnson

 

Samedi 13

La météo s’est levée mais comme nous sommes dans le Mid West, des orages sont annoncés.

Marquise Knox. Le jeune bluesman connaît son Lightnin’ Hopkins par cœur et peut passer en revue tous les maîtres du genre, pour notre plus grand plaisir.

Jarekus Singleton. L’un des “new kids on the block” de l’écurie Alligator. Style vif, énergique et acéré, proche de Luther Allison, parfois trop rock à mon goût. En symbiose totale avec son groupe.

 


Marquise Knox

 


Jarekus Singleton

 

The House Rockers. Ils ont leur place sur la scène basique de Jackson, Mississippi, dont ils sont issus. Sorte de revue R&B-soul bien sudiste. Vickie Baker leur succède, plus gospelisante. Enfin, Johnny Rawls, achève de transformer le parking originel et ses spectateurs en congrégation juke joint.

 


The House Rockers

 


Vickie Baker

 


Johnny Rawls

 

Lurrie Bell. Cela fait plaisir de le voir passionné sans ses lutrins aide-mémoire. Chicago blues ressenti 100 %. Son frère Steve fait baver son harmonica.

Paul Oscher trio. Autant il est inexistant comme performer, autant son feeling est intense, pondéré et renvoie à sa période Muddy Waters. Sa section rythmique est superbe !

 


Lurrie Bell et Steve Bell

 


Paul Oscher
(*)

 

The Cash Box Kings. Grâce à Oscar Wilson, chanteur très Southside, Joe Nosek peut se développer comme leader-harmoniciste et propulse davantage son groupe dans leur style Chicago blues. Comme toujours, Joel Paterson (g) est impeccable en Louis Myers réincarné.

Adam Gussow & Alan Gross. C’est le retour du chanteur-harmoniciste rythmicien de feu Satan & Adam. Spécialité reconnue : le country blues tout en finesse.

 


Oscar Wilson et Joe Nosek (Cash Box Kings)

 


Joel Paterson et Joe Nosek (*)

 


Adam Gussow
(*)

 

The 3 Bob’s (Margolin, Corritore, Stroger). Comme les trois mousquetaires, ils sont 4, avec le batteur KennyBeedy EyesSmith. Mais pas de plan B : c’est du Chicago blues de top niveau !

Jim Liban & Joel Paterson. Même plaisir goûteux que l’an passé. Belle renaissance swingante de ce chanteur-harmoniciste de Milwaukee dans un répertoire perso digne des Aces.

 


Bob Corritore et Bob Stroger (*)

 


Bob Stroger et Bob Margolin (*)

 

Toronzo Cannon. Coaché depuis plus d’un an par Bruce “Alligator” Iglauer, le chanteur-guitariste de Chicago se dépouille progressivement des fioritures, genre finale à la Hendrix, pour se concentrer sur l’essentiel : du blues moderne au service de titres vivants. Triomphe !

Shemekia Copeland. Remplaçante de dernière minute de Taj Mahal, malade, elle propose encore son répertoire éprouvé (Arthur Neilson, guitare mordante), son nouveau CD Alligator n’étant pas encore rodé. Puissance et tonalités rock.

 


Toronzo Cannon

 


Shemekia Copeland

 

Buddy Guy. Ne m’ostracisez pas : je ne l’ai pas vu ! Les festivaliers sont prévenus que les méchants orages menacent ; d’ailleurs son set sera retardé. Prudents, le producteur Dick Shurman et nous quittons le parc avant tout déluge final pour espérer trouver une place confortable au Reggie’s. En principe, je devrais me rattraper en octobre lors de la Legendary R&B Cruise où il est programmé, à moins que je n’embarque sur le Titanic II. Après ce faux épisode biblique, retour au festival.

 


Buddy Guy

 

Dimanche 14

Bob Margolin & The Vizz Tones All Stars. Margolin, c’est une Telecaster incisive, une slide mélodieuse et une voix sûre, toutes inspirées par son patron Muddy et des décades de concerts en leader ou “simple” accompagnateur ; j’apprécie. Et ces All-Stars ? Là, le label fait dans l’obscur : Colin John (lap steel mesurée) et Long Tall Deb (look fifties de ménagère modèle). Arrivent de sérieux rouleurs de mécaniques : Rob Stone (vo, hca), 100 % Chicago blues, et, surtout, Denis Gruenling (vo, hca), virtuose excitant, soliloquant tout en phrasés et sounds inspirés des maîtres. Tant de maîtrise goûteuse se salue !

John Németh (vo, hca). Sentiments mitigés en CD, acceptation totale live où son soul blues memphisien à l’harmonica grassouillet passe bien mieux, vocaux compris.

 


John Németh (*)

 

Dexter Allen. Remplaçant de dernière minute de Patrice Moncell, malade, le chanteur-guitariste de Crystal Springs, Mississippi, est un habitué du festival, ne serait-ce que comme accompagnateur de Bobby Rush. Adroit mélange compact de soul blues funky (sa jeune batteuse est étonnante), il apporte aussi une sorte de mélancolie gospelisante. Il nous reviendra en Hollande et Belgique pour une courte tournée automnale en compagnie de l’extraverti Mr. Sipp (octobre 7-11).

Billy Branch (vo, hca) & The Sons of the Blues. Encore ?! Ouiii ! Cuivres et chœurs l’accompagnent ponctuellement. C’est donc un plaisir renouvelé grâce à son “emballage” orchestral. Special guest : Eddie Clearwater (vo, g) que seconde Ronnie Baker Brooks (g). Belle complémentarité.

 


Dexter Allen

 


Billy Branch et Eddie Clearwater

 

Hommage à Willie Dixon. Que c’est long ! D’autant plus que sa descendance féminine (les Keshia, Tomiko et autre Bobbie…) croit savoir chanter. Branch assure, convie Sugar Blue (hca) mais rien n’y fait : c’est diurétique. Cash McCall (g, vo) sort honorablement de sa retraite mais c’est John Watkins (g), autrefois fringant espoir, qui a mal vieilli : pour qui ne l’a pas connu auparavant, il se fond dans les accompagnateurs, presque méconnaissable.

 


Dixon Family

 


Cash McCall et Sugar Blue

 


John Watkins

 

Hommage aussi à Eddie C. Campbell, transporté en chaise roulante jusqu’au micro. Sa femme joue les Mama Reed en lui soufflant des paroles. Pathétique.

Tribute to Muddy Waters. Rick Kreher (g) est aux commandes et les invités des vedettes confirmées : Paul Oscher (vo, slide, hca), d’abord en solo, John Primer, Bob Stroger, Kenny Smith, Barrelhouse Chuck (p), Big Bill Morganfield (vo, g) reprennent avec panache les hits de papa, mais c’est Mud (vo) la vedette, le plus ressemblant physiquement, qui en est la consécration ; il en fait trop dans les mimiques vocales et la gestuelle. Un harmoniciste rare nous rappelle les grandes heures du père : Jerry Portnoy, qui après quelques cafouillages d’intro avec sa section rythmique (E.G. McDaniel à la basse) – il est visiblement furax – reprend en swing les envolées de Little Walter-Junior Wells-James Cotton… C’est toute la culture “Marché de Maxwell Street” (son père y était tailleur) qui resurgit, vivante. Belle clôture du festival, commencé comme il se doit, sur la scène permanente, par l’hymne national repris en cœur par le public. C’est l’heure des adieux et de la promesse de se revoir l’an prochain… entre “suspects habituels”.

 


Bob Margolin

 


Barrelhouse Chuck

 


John Primer et Jerry Portnoy

 


Jerry Portnoy, John Primer, Mud Morganfield

 


Mud Morganfield, Paul Oscher, Big Bill Morganfield

 

Si les clubs connus ne semblent pas avoir rehaussés leur programmation à l’occasion du festival, il est gai d’entendre les mêmes “mercenaires” dans des tavernes.

Clubs

Omar Coleman (vo, hca) est un des nouveaux “résidents” du Rosa’s. Section rythmique de cracks et Pete Galanis (g) sait quand ne pas jouer. Chicago blues perso à la Junior Wells. Recommandé. Le vétéran Willie Buck (vo) passe, bien sûr.

Double programmation habituelle au Kingston Mines. Mon choix se porte sur Mike Wheeler (vo, g), avec Peaches Staten (vo, washboard) – belle connivence – et Carl Weathersby (vo, g), ce soir-là plus Albert King que jamais, bien “dedans”.

Le Smoke Daddy’s ? Ah, obligé, hein, Monsieur, pour revoir les piliers de la scène chicagoane traditionnelle. Vendredi, spécial Billy Flynn (g) et ses invités du soir : Ardella Williams (vo), fille de Jazz Gillum, se contorsionne façon fiftiess entre mini podium et tables bondées ; les harmonicistes de rigueur (Corritore, Martin Lang) en jettent… Tiens, revoilà Willie Buck (vo), omniprésent.

 


Billy Flynn (à gauche) et Ardella Williams (devant) (*)

 

Reggie’s. Autre étape imposée : le samedi soir (le vendredi étant consacré à des chanteuses parfois agaçantes). Le Rockin’ Johnny Band y officie par habitude, cette fois dans une chaleur transpirante, la clim étant en panne. Nous aurons d’abord un set complet de Bob Margolin en trio Maxwell Street. Et là, c’est du vécu ! Les inévitables Tail Dragger et Willie Buck sont ici chez eux – un répertoire archi connu, tout de même, mais l’accompagnement “old school” est un régal. En vedette, Mud Morganfield en remet dans l’imitation. Pour qui n’a pas connu papa Muddy, il en est sa réincarnation. Elle est crédible.

 


Mud Morganfield et Bob Corritore (*)

 

Wabash Tap. La taverne (entrée gratuite) est bourrée et bruyante pour ce deuxième Harmonica Blow Out organisé par une association du Mid West. Les “noms” (Nico Wayne Toussaint, Rockin' Johnny, Adam Gussow…) ne s’y produiront que très tardivement et les amateurs qui se succèdent, y compris chez les accompagnateurs, sont de piètre qualité. La pluie drue nous incite à reprendre le métro.

Enfin, le brunch dominical (café, doughnuts, fruits, tartes…) du Jazz Mart rassemble autour de Bob Koester les bluesmen de chez Delmark, qui se succèdent à même le sol dans un coin du magasin avec Dave Specter, Rockin’ Johnny, Willie Buck, Tail Dragger, Linsey Alexander, Omar Coleman, Mississippi Heat, Toronzo Cannon… Jeff Stone (hca) se joint à la ronde des artistes maison. Quelle forme !

 


Tail Dragger, Martin Lang, Rockin' Johnny, Terrence Williams, Ricky Nelson, Michael Dotson (*)

 


Martin Lang, Tail Dragger, Terrence Williams (*)

 


Linsey Alexander, Ricky Nelson (*)

 


Omar Coleman, Ricky Nelson (*)

 


Omar Coleman, Terrence Willams, Ricky Nelson, Dave Specter (*)

 

André Hobus
Photos © Brigitte Charvolin (sauf mention (*) © André Hobus)