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Live reports / 13.09.2013

Chicago Blues Festival

Ce gigantesque rendez-vous annuel, festif et gratuit – cette dernière qualité est à souligner, tant les manifestations comparables sont de plus en plus chères – semble trouver un second souffle (merci les harmonicistes), malgré un début de polémique mesquine anti-mairie, lancée par le quotidien populiste Chicago Sun Times : les vedettes du cru (Buddy Guy en tête) fuiraient leur ville pour de verts pâturages concurrents, dont Blues On The Fox à Aurora (Illinois), à une semaine d’intervalle. Pourtant, le sponsoring est omniprésent (à quand un maillot publicitaire pour les bluesmen ?) et grâce à la représentation officielle des États du Mississippi et de Louisiane, des artistes spécifiques ont pu faire le déplacement (Irma Thomas, Terry “Harmonica” Bean…). Nous y reviendrons. En attendant, le Centre Culturel présente des concerts de midi bien studieux (nous y avons entendu Jimmy Johnson, au chant, à la guitare et au piano, accompagné d’un second guitariste) ; la Daley Plaza, au sein du quartier d’affaires, propose une Nellie “Tiger” Travis et son groupe (avec Carlos Showers à la guitare) en pleine forme ; tandis qu’à l’approche de la date, des clubs programment des concerts “pré-fest”. Les commerçants du North Side de Lincoln Avenue font vibrer leur quartier au son de Toronzo Cannon (vo, g, aux qualités “Alligatoresques”), puis des Chicago All Stars (quand le blues a perdu un excellent batteur, Ray Allison, et compte dorénavant un autre guitariste-chanteur limité). Toutes ces activités “bluesistiques”, ajoutées aux nombreuses autres, dynamisent encore davantage la Windy City où le roulement sourd du métro aérien est son premier solo de batterie.

 

Un événement retient nos places : l’hommage de la communauté blues à leur collègue Eddie C. Campbell dont l’anniversaire, toujours fêté au Legend’s, coïncide cette fois avec sa première sortie depuis son AVC en pleine tournée allemande. Tombola, mise aux enchères silencieuse, donateurs constamment sollicités (il n’a pas d’assurance médicale et son épouse Barbara est non-voyante), il va voir défiler, depuis son fauteuil roulant, la plupart des “suspects habituels” locaux : Billy Branch, Matthew Skoller, Jimmy Burns, Carlos Johnson, Lurrie Bell, Zora Young, Holle Thee Maxwell, Demetria Taylor, Johnny Iguana, Marty Sammon… Il demande à jouer de l’harmonica (pathétique) puis à chanter (OK dans du Jimmy Reed)… Prendre des photos me met mal à l’aise : je m’y refuse tandis que sa fête se poursuit dans l’affection fraternelle. Mais quand vous avez dû arriver très tôt pour vous positionner assis – Jimmy Johnson, seul avec une boîte à rythmes, meuble pour les congressmen/touristes indifférents (pénible) – et que la mise en bouche a été confiée à Tommy McCracken (vo) – un des pires gugusses que j’ai subis dans ma longue “carrière” de spectateur – à minuit, je ne résiste plus, décalage horaire oblige ; le programme était pourtant alléchant : devaient suivre les Brooks, Eddy Clearwater…

 


Jimmy Burns et Billy Branch © André Hobus

 


Jimmy Burns et Holle Thee Maxwell © André Hobus

 

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Carlos Johnson © André Hobus

 


Lurrie Bell et Billy Branch © André Hobus

 

Cette année, le festival s’ouvre en soirée sur la scène grandiose de l’auditorium conçu par Frank Gehry dans le parc du Millenium, une de ces réalisations-phares d’architecture contemporaine qui fait la fierté de la ville. Belles prestations scolaires comportant déjà des mini-stars (présentateurs, bassistes, solistes divers…) sous la direction d’un maestro et de Fernando Jones, qui s’en est fait une spécialité (avec le projet Blues in the school) ; Ray Goren (vo, g) fait déjà figure de vedette. Le trio de Jamiah on Fire & The Red Machine (cf. live reports 2012) la joue clichés heavy alors que les deux frangins de la section rythmique, 9 et 11 ans, sont bons. Enfin, Shemekia Copeland (avec Arthur Neilson à la guitare) livre un excellent concert, compact et nuancé. En invité : le guitariste Quinn Sullivan (15 ans), protégé de Buddy Guy. Mouais…

 


Jalon, Jamiah et Kenyonte Rogers © Brigitte Charvolin

 


Arthur Neilson et Shemekia Copeland © Brigitte Charvolin

 

Retour aux scènes habituelles dans Grant Park ; choix éclectique.

Vendredi 7 juin

Toronzo Cannon (g, vo) : avec un plaisir renouvelé.

Bob Stroger (vo, b) & friends : en bonne compagnie avec les “suspects habituels” (Billy Flynn, Bob Corritore…).

Mississippi Heat : qualité constante et swingante avec Pierre Lacoque (hca), Inetta Visor (vo) et le trop méconnu Michael Dotson (g).

 


Toronzo Cannon © Brigitte Charvolin

 


Pierre Lacoque (Mississippi Heat) © Brigitte Charvolin

 

Smiley Tillmon band : c’est du Chicago dense, et revoilà Billy Flynn and co.

Terry “Harmonica” Bean (vo, g, hca) : Mississippi blues de juke joint. Bien senti.

 


Smiley Tillmon © Brigitte Charvolin

 


Terry “Harmonica” Bean © Brigitte Charvolin

 

Lightnin’ Malcolm (vo, g) : guitariste juteux, je n’en doute pas, mais par trop monotone.

Bill “Howl-N-Madd” Perry (vo, g) : autre représentant du Mississippi profond, tanguant entre soul et blues, avec un harmoniciste rugueux et sa fille claviériste décorative. Mais il a invité le vétéran Cash McCall (vo, g) et là, sa guitare donne du peps au groupe.

John Primer (vo, g) : égal à lui-même, tant à la tête de son groupe de Chicago blues (Omar Coleman, hca) qu’en invité des Tchèques folky (!) Michal Prokop ou de Shawn Holt (vo, g), fils brouillon de Magic Slim.

 


Bill “Howl-N-Madd” Perry © Brigitte Charvolin

 


John Primer © Brigitte Charvolin

 

Geneva Red & The Original Delta Fireball : la Windy City Blues Society réinvite cette harmoniciste-chanteuse douée qui privilégie le “one man band” (son compagnon, Jackie “5 sous” à la guitare et batterie rudimentaire). Sens du blues down home, sound profond, elle assure à fond (le public fera la file pour l’achat des CD), allant jusqu’à mimer Sonny Boy Williamson/Rice Miller soufflant sans les mains. Venu en famille, son ex-bassiste Snapper Mitchum (ex-Koko Taylor et les beaux soirs du club Queen Bea’s) en profite pour l’accompagner en final.

Irma Thomas (vo) : belle soul pop bien orchestrée, avec une touche new orleans. Pas mon genre.

 


Geneva Red © Brigitte Charvolin

 


Irma Thomas © Brigitte Charvolin

 

Bobby Rush (vo, hca) : Ah! son bagout racoleur, sa superbe forme physique et vocale (80 ans !), son répertoire soul-blues de juke joints et ses jeunes danseuses adipeuses. Ajoutez-y des caricatures réussies d’Elvis Presley (lunettes et rouflaquettes comprises) et de Michael Jackson – le public noir s’esclaffe – et vous passez de nouveau une heure jubilatoire.

 


Bobby Rush © Brigitte Charvolin

 


© André Hobus

 

Samedi 8 juin

Peaches Staten (vo) & The Groove Shakers (Mike Wheeler, g) : la pétulante chanteuse soul-blues déménage, surtout dans sa séquence au washboard zydeco.

À noter que le déplacement de la scène dite “Crossroads” dans une autre allée du parc, dos au lac, favorise le confort du public mais se présente en contre-jour total sans le moindre projecteur : c’est presque de l’ombre chinoise.

Sam Lay & friends : l’ex-batteur de Howlin’ Wolf et  de Paul Butterfield s’est reconverti depuis longtemps en chanteur-guitariste de country blues urbanisé. Tiens, revoilà Bob Corritore and co.

 


Peaches Staten © Brigitte Charvolin

 


Bob Corritore et Sam Lay © André Hobus

 

Castro Coleman (vo, g) : jeune Mississippien dynamique dans la lignée de Vasti Jackson. Quel punch ! Même Bobby Rush l’avait intégré dans son orchestre.

Eddie Shaw (sax, vo) : tribute to Howlin’ Wolf ou une sorte de revue familiale bon enfant sous la tutelle de sa figurine de carton. Eddie “Vaan” Shaw est toujours aussi “poseur  guitareux-rock” avec son triple manche impressionnant ; Dolores Shaw (vo, de la figuration) ; Tail Dragger (vo), en phase avec le groupe de Rockin’Johnny (g). C’est sans prétention. Mais que vient y faire J.C. Smith (vo, g), bluesman de San Jose, Californie ? Et avoir effectué le trajet en bus Greyhound (sic) ?! Une raison d’amitié ; c’est beau !

 


Castro Coleman © Brigitte Charvolin

 


Eddie Shaw © André Hobus

 

Khalif “Wailin’” Walter (vo, g) : c’est effectivement trop de notes.

Otis Clay & The Platinum Band : si sa chanteuse Uvee Hayes joue correctement les ouvertures, lui est impérial de présence et d’émotion, devant un orchestre cuivré dynamique. Il cartonne encore et toujours auprès du (nombreux) public afro-américain.

 


Khalif “Wailin'” Walker © Brigitte Charvolin

 


Otis Clay et Uvee Hayes © Brigitte Charvolin

 

The Memphis Soul Revue, starring The Bar-Kays : une honte pour la soul ! Un déluge incompréhensible de décibels les rendent pratiquement inaudibles… Leurs deux invités historiques à deux titres chacun (!) sont soit pathétique (Sir Mack Rice) soit réduit à de la figuration (Eddie Floyd). Lamentable.

 


Sir Mack Rice © Brigitte Charvolin

 


Eddie Floyd © Brigitte Charvolin

 


The Bar-Kays © Brigitte Charvolin

 

Dimanche 9 juin

Le brunch du Jazz Mart attire son lot de fidèles tant maison (Mississippi Heat, Torenzo Cannon …) que de festivaliers ; c’est Delmark qui régale.

Dave Weld & The Imperial Flames (vo, g). Avec son éternel look de jeune homme bondissant (il a 61 ans tout de même), Dave Weld y croit ferme ; retour du tenor Abb Locke dans le sound slide à la J.B. Hutto/Lil’ Ed.

Vickie Baker (vo) : découverte de cette chanteuse soul sudiste, ex-Jewel records. Trois choristes féminines et un orchestre rôdé : elles balancent bien.

Jarekus Singleton (vo, g) : sous l’aspect beau gosse, un sérieux chanteur-compositeur-guitariste, parfois trop agressif ou dans la mouvance de Luther Allison ; Alligator a un œil sur lui.

 


Vickie Baker et ses choristes © André Hobus

 


Jarekus Singleton © André Hobus

 

Lurrie Bell (vo, g) : Chicago blues juteux (avec Matthew Skoller à l'harmonica), mais il devrait s’écarter des classiques du genre.

Jimmy Johnson (vo, g) : quoi de plus classique à Chicago que cet indestructible (il a 83 ans !) “prédicateur de bar” ? Et il reste bon !

 


Lurrie Bell © Brigitte Charvolin

 


Jimmy Johnson © Brigitte Charvolin

 

Old School, New Millennium : entraînés par Billy Branch (vo, hca) et son groupe (Kenny Smith, Billy Flynn, Johnny Iguana…), les invités intergénérationnels de James Cotton (hca) défilent à la chaîne sur la grande scène de l’auditorium Petrillo pour offrir une finale en apothéose : John Primer, Lil’Ed, Eddy Clearwater, Deitra Farr, Demetria Taylor… Assis et attentif, le maître souffle, cajole, démontre qu’il faut encore compter avec lui. Quelques beaux duos d’harmonica ; que demander de plus comme clôture ?

 


Eddy Clearwater, Billy Branch, James Cotton, Deitra Farr, Matthew Skoller © Brigitte Charvolin

 


Billy Branch, Matthew Skoller et James Cotton © André Hobus

 


James Cotton © Brigitte Charvolin

 

Au club rock Reggie’s, nous choisissons l’inédit dans les trois soirées post-festival : mauvaise pioche. Si Rockin’ Johnny est bon et soutient un chanteur bien dans la ligne Chicago (Shakey Jake = Jacob Ellis), en revanche, c’est la cata intégrale avec son invité californien, Lee Gates (vo, g), diminué par des infarctus. Le match de hockey est plus passionnant. Force est… qu’elle nous abandonne. Dommage : nous raterons les frères Hayes (Charles et Pee Wee).

Le label Sirens (Steven Dolins), dédié aux pianistes, organise le lancement du nouveau CD de Barrelhouse Chuck dans une brasserie du North Side : l’occasion de se retrouver autour d’un piano droit passablement déglingué : Elwin Helfer, Johnny Iguana et Al Miller (hca) passent en copains tandis que l’accompagnement basique est assuré, malgré le bruit des consommateurs et la faiblesse de la sono maison, par Billy Flynn et Bob Corritore. Steven Dolins sourit ; nous aussi.

Retenez ce mot d’esprit de Bob Koester (Delmark) interviewé par Barry Dolins, lors d’une des soirées consacrées aux 60 ans du label, ici à la Old Town School. Au programme : Willie Buck et Linsey Alexander, avec leurs groupes respectifs. Tous deux bien propres, devant un public studieux, style universitaire.

B.D. : Pensez-vous que le blues durera encore longtemps ?

B.K. : Oh oui, quand je vois mes stocks d’invendus !

Toute l’ironie de la situation artistique et économique du genre y est magistralement synthétisée. Grâce à une météo particulièrement favorable, le public est présent aux festivals de Chicago et d’Aurora, alors qu’il n’y a plus aucun disquaire officiel sur les sites (Best Buy ne sponsorise plus et bientôt ne vendra plus de CD) : les artistes doivent soit les vendre individuellement ou partager le stand d’une gazette de jazz. L’avenir du blues ? « Oh, il finira comme le dixieland » (Bruce Iglauer / Alligator). Le pessimisme de son propos se vérifie. Vendredi soir, club Fitzgerald’s, bien connu des amateurs d’americana, Duke Robillard à l’affiche. Nous arrivons pour le deuxième set (23 h) : 12 personnes ! Et pourtant, il n’y avait pas de match des Blackhawks. Ce qui n’empêchera pas le guitariste-chanteur d’assurer une heure de swing blues de qualité.

Samedi soir, à 20 h 30, un parking d’un quartier branché du Northside : une fête de la bière avec Marcia Ball. Une fois les dégustations terminées (“sold out”), les trentenaires – public potentiel pour le blues – s’en retournent chez eux ou dans d’autres bistrots. La chanteuse-pianiste (Mike Schermer à la guitare) – avec ses qualités louisianaises habituelles – jouera devant, grosso modo, 60 personnes et la vente des CD se fera à la lumière d’une lampe torche, sur une table abandonnée… Que restera-t-il de nos amours ?

 


Marcia Ball © André Hobus

 

Un “musical”, peut-être ? Le Black Ensemble Theater de Chicago remet en scène, dans une production sobre à décor unique – un club – et projections symboliques, son spectacle de 2003 consacré à Howlin’ Wolf. Avec de vrais musiciens, des comédiens-chanteurs et un leader crédible, Rick Stone, qui a bien étudié son modèle en pleine gloire. Les deux sets sont certes hollywoodiens mais bien enlevés et bourrés de classiques – il y interprète aussi du Bobby Bland, B.B. King et Hound dog –, en réponse à des vignettes spécifiques, même si le critique du Tribune déplorait le manque de « substance » (sic) : Connaissez-vous un musical rock'n'roll qui en possède ? Prochaine production : Percy Mayfield.

André Hobus

 


Rick Stone lors d'un show TV © Brigitte Charvolin

 


Rick Stone et les filles d'Howlin' Wolf © Brigitte Charvolin