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Live reports / 14.08.2015

Cahors Blues Festival

Une programmation variée avec du blues, du gospel, du zydeco, du rock, des concerts gratuits ou payants, le challenge France Blues, des master classes, des expositions, le festival de Cahors est bien ancré dans le milieu du mois de juillet et promet cette année encore une belle édition.

L’ouverture se fait le 14 juillet avec l’inauguration de l’Allée Johnny Winter, en souvenir du dernier concert donné par le guitariste chanteur, à Cahors, deux jours avant son décès. Puis c’est la finale de Challenge France Blues, pourvoyeuse de prix dans divers festivals nationaux mais aussi aux concours européens et mondiaux. Six formations se succèdent sur la petite scène pour des sets de vingt minutes, à commencer par Lil’ Red and the Roosters. Le groupe met l’accent sur ses compositions et a bien raison car elles permettent à tous ses membres de briller. Respect your sisters au final en boogie enlevé clôt une jolie prestation qui aura rameuté le public sur l’esplanade du village blues malgré la forte chaleur.

Gas Blues Band prend la suite, tenues de scène élégantes, son plus dur, indéniable fond blues original, conduit par le leader Gaspard Ossikian et appuyé sur le répertoire du dernier CD. Le nouveau guitariste Little Peter Cayla est une pépite.

 


Lil’ Red and the Roosters © Christophe Mourot

 


Gas Blues Band © Christophe Mourot

 

Le temps d’installer son important matériel, il a beau être homme-orchestre il en a autant qu’un groupe complet, et They Call Me Rico peut commencer. Downhome blues post moderne, gros son, intermèdes avec un séduisant accent québécois, titre folk pour évoquer les tournées au Canada, l’homme a du métier et le public apprécie.

Gaëlle Buswel va se tailler la part de la lionne, avec un show très rock qui emballe l’assistance, séduite par son charme mêlé de puissance, surtout quand elle prend la guitare sur Selfish game. Que ce soit du blues ou pas, la formation a un sacré impact, garant du succès populaire. À noter la présence de Jimi Montout à la batterie.

 


They Call Me Rico © Christophe Mourot

 


Gaëlle Buswel © Christophe Mourot

 

Retour à plus d’introspection avec Anthony Stelmaszack & Roll Pignault, en duo guitare et harmonica, Anthony prenant seul le chant. Ce monsieur est impressionnant à la guitare et il l’est de plus en plus vocalement. Il prend des risques avec des coups de gorge, des montées dans les aigus et ça passe très bien. Le répertoire est blues, country, boogie, on aime le Hush your mouth à la Jimmy Reed, et la clôture de Fine Little woman façon Elmore James.

Le dernier concurrent est Bad Mules qui va souffler sur les braises allumées par ses prédécesseurs et envoyer généreusement son rhythm and blues en faisant la part belle à ses compositions, qu’on ne distingue plus vraiment des reprises tant les quatre compères et leur formation originale guitare, batterie, claviers et saxophone, ont intégré les codes du genres. Ils mélangent allègrement les références comme dans ce final qui en appelle à Big Joe Turner et Wynonie Harris réunis. Le jury, composé de professionnels du blues et du jazz, se retire alors pour voter.

 


Roll Pignault et Anthony Stelmaszack © Christophe Mourot

 


Bad Mules © Christophe Mourot

 

Résultats des courses :

• Prix All That Jazz : Gaëlle Buswel, pour une tournée dans toutes les villes All That Jazz de 2016.

• Prix Billy Bob's Disney Village : Anthony Stelmaszack Roll Pignault, pour un concert en janvier 2016.

• Prix Sierre Blues Festival en Suisse : Anthony Stelmaszack Roll Pignault, pour un concert à l’édition 2016.

• Prix Festiblues Montréal : Gas Blues Band pour un concert à l’édition 2017.

• Prix Cahors Blues Festival : Gaëlle Buswel pour un concert à l’édition 2016.

• Prix European Blues Challenge : Gas Blues Band représentera la France en 2016.

• Prix International Blues Challenge, catégorie solo/duo : They Call Me Rico, idem.

• Prix International Blues Challenge, catégorie groupe : Bad Mules, idem.

La soirée permettra de retrouver les groupes dans des prestations plus décontractées.

 

Le mercredi 15 juillet, nul autre que Leo Bud Welch lance le spectacle avec le concert final de la master class qu’il a animée. Multiplicité des instruments, jeune âge moyen des musiciens, enthousiasme, sourires sur tous les visages, l’ensemble est rafraîchissant alors que la chaleur est encore très forte.

Gros contraste avec Laurence Jones qui leur succède. Espoir du blues anglais, déjà reconnu dans son pays et en Europe par plusieurs distinctions, le jeune homme se produit en power trio, véloce et doué avec sa guitare, encore assez neutre au chant, et surtout pas très proche du blues.

 


Laurence Jones © Christophe Mourot

 

Tout ça va aller mieux sur la grande scène avec Lil’ Ed and the Blues Imperials. Sa simple apparition en petit lutin rouge à fez provoque le sourire, lui-même l’aura tout au long du concert, au cours duquel il va se donner à fond, bien soutenu par le trio composé de l’élégant Michael Garrett à la guitare, Kelly Littleton à la batterie et Michael Scharff à la basse. Don’t you lie to me ouvre le show avant une succession de boogie blues, blues lents, voire soul blues, extraits de ses divers albums, tous garnis de généreuses parties de slide, dont certaines rappellent délicieusement son oncle JB Hutto. Michael Garett prend le chant sur Too late avant de livrer une très belle intro à Drowning on dry land. Lil’ Ed reprend le lead et finit par envoyer un boogie hookerien qui lui sert de prétexte à un bain de foule apprécié du public. Le rappel se fait avec ce qui avait été annoncé par le directeur du festival Robert Mauriez et arrangé par Guillaume Tricard de Boom Boom Productions qui fait tourner les artistes, soit une réunion de Lil’ Ed avec Shakura S’Aida et Shawn Holt. Les thèmes sont classiques, Summertime puis The thrill is gone, mais chacun va y mettre une telle intensité et une telle complicité avec les autres, Lil’ Ed virevoltant au milieu, qu’on aura la preuve qu’il est encore possible de faire plaisir avec des standards rabâchés. Lil’ Ed reviendra encore une fois, sans les invités, pour un titre en forme de dirty dozen, rempli de “motherfuyer” qui se transformera en Jump jive and wail et Hound dog.

 


Lil' Ed © Christophe Mourot

 


Shakura S'Adia et Lil' Ed © Christophe Mourot

 

Comment Ruthie Foster va-t-elle s’en sortir après ça ? La réponse est : très bien. Accompagnée par Larry Fulcher (basse), Samantha Banks (batterie) et Scottie Miller (claviers), Ruthie va nous emmener sans peine dans la nuit avec une musique faite pour ça, blues, folk, worksong, gospel, le plus souvent en ballade, servie par une voix régulièrement stratosphérique. On retrouve avec plaisir les titres de son CD “Promise Of A Brand New Day” qu’elle agrémente de reprises choisies comme In the ghetto des Staple Singers ou Up above my head de Sister Rosetta Tharpe, Scottie Miller donne de belles intros au piano et prend à l’occasion une mandoline bienvenue, Larry Fulcher ne se départit pas d’un sourire sympathique et Samantha Banks est une très impressionnante batteuse. Le final se fait avec They got the blues and the gospel en mode shuffle.

 


Ruthie Foster © Christophe Mourot

 

Le jeudi 16 juillet débute encore avec Leo Bud Welch, cette fois pour un concert en propre et c’est probablement une occasion unique pour beaucoup de pouvoir encore entendre le blues comme il a pu être joué des décennies par un musicien de ce type, capable d’interpréter n’importe quel morceau à sa sauce, vaille que vaille, dans n’importe quelle situation avec l’objectif évident de faire danser aussi longtemps que possible. Fait-il une chaleur écrasante ? Pas de problème pour Leo qui économise ses mouvements mais tape toujours du pied, donnant une leçon de scène à tous les petits jeunes qui confondent émotion avec bruit et contorsion. À la batterie, André Neufert, vu l’année dernière avec la Route du Blues de Kathy Boyé, passe les premières secondes de chaque morceau à prendre les informations que lui donne Leo du coin de l’œil et du bout des doigts, avant de choisir baguettes ou balais, et s’en sort avec une belle adaptabilité, swinguant très joliment. Leo donne quand même le signe qu’il n’est plus tout jeune lorsqu’il marque une pause de quelques minutes mais revient encore plus en forme pour continuer avec son mélange de Chicago Memphis et delta blues – Further up on the road méconnaissable, My babe avec trois solos, deux fois Got my mojo working –, passé à la moulinette sudiste avec un entrain qui méduse le public.

 


Leo Bud Welch © Christophe Mourot

 

Candye Kane a demandé à passer une demi-heure plus tard que prévu et quand on la voit apparaître, plus amaigrie que jamais, on se doute que malheureusement la maladie progresse. Mais elle a toujours sa voix, son sourire, son discours positif, et aussi Laura Chavez qui la soutient, humainement au quotidien et bien sûr musicalement. Quelles femmes que ces deux-là ! Jump blues, ballades blues ou jazzy, rock and roll, originaux qui montrent la qualité d’écriture de la vedette, le groupe envoie en musique et en image avec non seulement Candye et Laura mais aussi l’impressionnant bassiste Bobby Arcara. On aime la reprise de Scream in the night qui aurait bien plu à Julia Lee avec son rythme endiablé et son superbe solo de guitare boogie. Pour Whole lotta love, Candye n’oublie pas d’en rappeler la paternité de Willie Dixon et l’interprétation en est d’ailleurs faite comme celle de You need love. Après I’m a superhero, I’m not gonna cry today, le dernier titre sera The toughest girl alive, tout un message.

 


Laura Chavez et Candye Kane © Christophe Mourot

 

Le temps de voir passer Ana Popovic partir se promener en famille et il faut aller au pied de la grande scène.

Russel Jackson à la basse, Allen Kirk à la batterie et Levi Williams à la guitare et au chant sur Killing floor, ouvrent le show pour Shawn Holt. Celui-ci fait son entrée sur un gros shuffle qui se révèle être une reprise de Down in Virginia chantée à trois. C’est parti pour une belle séquence de blues électrique, farcie de ce vibrato que Shawn a appris auprès de son père Magic Slim. Buzz me en rythme accéléré, Going down slow, avec sa longue intro, Crosscut saw, Shawn est plus libéré qu’avec The New Blues Generation, en particulier au chant. On a un peu peur lorsqu’un titre verse trop dans le blues rock avec guitare tonitruante à effets mais le retour au blues classique est rapide, pour se diriger tranquillement vers un final avec Got my mojo working et I can’t hold out en rappel. Jusqu’ici tout va bien.

 


Shawn Holt © Christophe Mourot

 

Parce qu’ensuite les choses vont se gâter avec le groupe d’Ana Popovic (basse, batterie, claviers, deux cuivres) qui balance un instrumental au niveau sonore exagéré, le batteur étant particulièrement démonstratif. Le top model du blues rock les rejoint, posant illico son pied sur les pédales d’effet pour démarrer un concert, initialement dédié à Johnny Winter, mais au cours duquel on n’entendra que des reprises de Robert Palmer, Albert King, The Rolling Stones, chantées d’une voix qui ne perce pas l’écran sonore, et un hommage à Stevie Ray Vaughan dont la première partie sera étonnamment calme. Avant la tempête que va finir de déclencher l’entrée en scène d’Eric Gales. Le son monte encore, si c’est possible, et Gales prend le chant pour des reprises de Jimi Hendrix. C’est trop pour une partie des spectateurs, dont moi qui abandonne, plus que perplexe.

 


Ana Popovic © Christophe Mourot

 

Le vendredi 17 juillet est bien plus juteux. J’arrive pour le concert de Roland Tchakounté et Lorenza sur la petite scène, preuve musicale qu’on peut mélanger les genres, blues, musiques africaines et amérindiennes, sans se perdre dans ce qui serait un world blues sans âme.

 


Lorenza © Brigitte Charvolin

 


Lorenza et Roland Tchakounté © Brigitte Charvolin

 

L’âme, ce n’est pas ce qui manque non plus à Dwayne Dopsie & The Zydeco Hellraisers. Brandon David à la guitare et au chant, Timothy McFatter au saxophone, Dion Pierre à la basse et Greg Gordon à la batterie lancent le show avec Pride and joy avant d’être rejoints par Vincent Doucet au Washboard pour un instrumental musclé qui annonce la vedette. Tout en muscles, débordant d’énergie, apparemment irrité par des problèmes de son, Dwayne Dopsie va se donner à fond. Boogie, ballades, two steps, les canons du zydeco sont passés en revue, il n’y manque qu’une valse. Tout est bon pour danser ou partir en procession joyeuse quand Dwayne descend dans la foule sur Jambalaya. Remonté sur scène, il doit réparer la sangle de son accordéon avec les moyens du bord pendant que le groupe continue à jouer sans sourciller, en particulier Vincent Doucet auteurs de solos de frottoir de compétition, agrémentés d’un regard par en dessous vers le public on ne peut plus malicieux. Une deuxième descente dans la foule se fera avec Dwayne et Vincent, bientôt rejoints par Timothy McFatter, dont on retiendra la petite fille timide qui osera à peine serrer la main de Dwayne le costaud. Avec le zydeco, c’est la fête garantie et c’est sûrement là qu’il faut aller chercher l’authenticité musicale de nos jours.

 


Dwayne Dopsie © Brigitte Charvolin

 


Timothy McFatter © Brigitte Charvolin

 


Vincent Doucet © Brigitte Charvolin

 

Et certainement aussi dans le gospel comme vont le démontrer les Campbell Brothers. Les trois frères, Chuck, pedal steel, Darick, lap steel et chant, Phil, guitare et chant, avec Carlton, fils de Phil à la batterie, Daric Bennett à la basse et Denise Brown au chant, ont tout ce qu’il faut pour être des superstars de la scène internationale. Tous débordent d’une énergie, extériorisée ou non, dont on ne devine pas les limites, Chuck et Phil ont aussi des voix de prêcheur, celle de Chuck faussement douce, celle de Phil prête à faire tomber le toit de la scène. Denise Brown allie un sourire avenant à une grande force intérieure, Carlton et Daric sont aussi discrets qu’indispensables et efficaces. Tous les regards sont assurés, ces gens-là savent où ils sont, ce qu’ils sont, où ils vont nous emmener. Et ça va être très loin. Amazing grace commence par une intro au-delà de la stratosphère, Phil produisant un son d’orgue à la guitare, et se transforme en soul blues menaçant. Chuck et Darick prennent chacun leur solo avant de passer à trois avec Phil, de laisser la place à Denise pour un chœur répétitif et de se lâcher plein pot dans le final. « Blues and gospel came together » professe Phil, et Denise y va d’un Don’t let the devil ride bluesy à souhait. Si Ana Popovic et Eric Gales étaient présents en coulisse, ils piétineraient leurs guitares en voyant Phil lâcher les chevaux sur la sienne avec mille fois plus de classe. Chuck et Darick enfoncent le clou avec des solos à effets. Est-ce un hasard si ça swingue ? Darick chante ensuite A change is gonna come lorsque Shakura S’Aida parait, toute d’argent vêtue. Elle prend le relais vocal, le reste du groupe la couvant d’un regard bienveillant. Le public ne s’y trompe pas, qui y va d’une première ovation. I’m a geechee woman confesse Shakura, le groupe la soutient jusqu’à son départ puis entame un final de folie avec I just want to thank you d’abord chanté par Denise Brown et Shakura S’Aida qui fait son retour, avant que Chuck, d’une voix qu’il n’a pas besoin de forcer, ne nous mette les coussinets en feu à force de taper dans les mains. Nous sommes tous des “born again”.

 


Darick, Phil, Denise Brown et Chuck Campbell © Brigitte Charvolin

 


Phil Campbell © Brigitte Charvolin

 


Shakura S'Aida et Chuck Campbell © Brigitte Charvolin

 

Le groupe King King réussira à passer après ça, avec son dynamique leader Alan Nimmo, vêtu de son désormais célèbre kilt et soutenu par Lindsay Coulson (basse), Wayne Proctor (batterie) et Bob Fridzema (claviers). Ils démontrent qu’il est possible de faire du blues rock, plus rock que blues, sans tomber dans les travers du genre. Le groupe dégage une belle énergie mais s’enlise un peu lorsqu’il passe en rythme lent. Faster, Pussycat, Kilt ! Kilt !

 


Alan Nimmo © Brigitte Charvolin

 

L’édition 2015 du Cahors Blues Festival s’arrêtera là en ce qui me concerne, n’ayant pu assister à la journée du samedi avec The Two, Aurélien Morro and the Checkers, Charles Pasi et Bertignac.

Christophe Mourot