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Live reports / 06.07.2016

Buddy Guy

Bonne nouvelle : Buddy Guy va bien. Cela se voit, ça s'entend et il n'y a qu'à regarder son programme de concerts ces semaines-ci (l'Olympia à Paris ce jeudi, Rotterdam vendredi, Jazz à Vienne puis à Juan-les-Pins la semaine prochaine, etc.) pour être assuré de son envie de jouer.

Svelte, vif, pétillant et acéré, le guitariste et chanteur de Chicago semble heureux sur la grande scène de Montreux. Tenue de scène sans surprise : chemise noire à pois blancs, pantalon blanc léger et chaussures de sport chic. Guitare Fender sans paillettes. Groupe solide et à l'écoute (mention spéciale pour les claviers de Marty Sammon). Buddy Guy fait du Buddy Guy et, en immense champion de la tension-détente, donne des versions à frissons de Five long years, I just wanna make love to you et, plus surprenant, Blues in the night (Harold Arlen & Johnny Mercer, 1941). Cet homme a entamé sa carrière dans les années cinquante à Chicago, mais il est né en Louisiane et se plaît à le rappeler via un titre de Muddy Waters (joué à la manière de Jimi Hendrix, précise-t-il tout de même). Il dit des gros mots (shit, shucks, etc.), mais se réjouit que depuis que le hip-hop est passé par là, c'est désormais autorisé (rires). Le temps l'a rattrapé, mais il est toujours dans le coup. Il grimace et sa bouche tordue projetée sur les deux écrans géants amuse le public. Il joue un peu de sa guitare à l'envers, pince quelques cordes avec la langue, descend au milieu du public ; Buddy Guy est cabot, on le sait, mais un peu, seulement, ce soir ; d'ailleurs, ce n'est pas à un homme qui fêtera ses 80 ans le 30 juillet que l'on reprochera d'amuser la galerie avec quelque grosse ficelle. D'autant qu'il me semble plus sérieux, voire impliqué qu'à l'accoutumée. Sérieux dans son hommage vibrant à Claude Nobs (1936-2013), le fondateur du festival de jazz de Montreux : « Il faudrait rebaptiser ce festival le “Claude Nobs Blues (sic) Festival”, qu'en pensez-vous ? » Impliqué quand il parle de la violence dans le monde : « Ah, s'il n'y avait plus de gens en colère ! Cela viendra un jour, mais je ne verrai certainement pas ce jour-là. » (en substance). Engagé quand il s'adresse à un jeune garçon installé, bouche bée, au premier rang entre ses parents : « Tu as quel âge ? 7 ans ? Tu as une guitare ? Tu veux venir jouer de ma guitare ? » Invitation sans suite immédiate, mais certainement pas en l'air : comme annoncé, Quinn Sullivan, guitariste américain de 17 ans, monte sur scène vêtu d'un perfecto, d'un jean et d'un T-shirt des Rolling Stones. Buddy Guy a repéré l'adolescent quand le garçon était encore enfant. Depuis, il l'invite régulièrement à ses côtés, pour quelques solos hendixiens dispensables, mais l'intention est là : transmettre, donner aujourd'hui comme il a reçu autrefois, quand ces autres jeunes gens, Britanniques ceux-là (Clapton, Beck et les Stones), ont dit au monde rock qu'il fallait s'intéresser aux bluesmen noirs-américains.

 

 

Voici donc Buddy Guy, encore une fois à Montreux, « l'un des meilleurs festivals au monde », dit-il gentiment (et à juste titre – quelle acoustique dans l'auditorium, quelle organisation de rêve !). Mais il est aussi un peu en colère, par exemple quand il raconte qu'aux États-Unis, les radios ne passent plus de blues. Et qu'il doit bien constater qu'ici, en Europe, c'est pareil : « Combien d'entre vous connaissent le titre de mon dernier album ? » Une main se lève (parmi les 4 000 spectateurs présents ce soir). « Mais vous, vous saviez que je venais, alors vous vous êtes renseigné avant ! » (rires). Peu importe. Il joue Born to play guitar (très bien) et invite son producteur à le rejoindre à son tour du scène. C'est Tom Hambridge, d'ordinaire batteur mais qui, là, se contente de quelques backing vocals. Pour la seule fois du concert, Buddy Guy change de guitare et entame Skin deep, belle ballade rétrospective et apaisante enregistrée en 2008 en compagnie de Derek Trucks. « I love you », nous lance Buddy. « We love you buddy, we love you guy », a-t-on envie de lui répondre, mauvais jeux de mots compris. Sauf que ce concert d'exception lance admirablement la tournée estivale d'un homme qui fait plaisir à voir et à entendre. Et s'il était The last man standing, le dernier bluesman “historique” toujours bel et bien debout.

Julien Crué
Photos © Lionel Flusin