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Live reports / 10.08.2012

BLUES IN CHEDIGNY

On a beau avoir été prévenu, c’est une vraie et belle surprise de découvrir ce beau village de Touraine qui peut s’enorgueillir d’accueillir un des festivals de blues les plus attachants de l’Hexagone. La quinzième édition a pourtant failli ne pas avoir lieu, suite aux déboires des deux précédentes années où l’on avait peut-être vu trop grand en termes de programmation tout en sous-estimant la météo… On a donc réduit la voilure cette année en revenant aux fondamentaux du blues et, comme les cieux se sont montrés bienveillants, on peut espérer que Blues in Chédigny va repartir sur des bases assainies. C’est une AG de l’association organisatrice, l’ATAC, qui en décidera le 15 septembre prochain. En attendant, revenons sur une 15e édition riche en émotions.
 


C'est encore plus beau la nuit… © J. Périn
 

Vendredi 10 août
 

Installée sur la place du village, adossée à l’église, la scène est inaugurée par les Toulousains d’ Awek.


La rhythmique d'Awek : Joël Ferron (b) et Olivier Trebel (dm)
 

On a beau les avoir vus souvent, on ne se lasse pas d’un groupe dont l’enracinement blues est servi par une maîtrise et un engagement qui forcent l’adhésion. Leur professionnalisme indéniable n’est jamais routinier, que ce soit dans un répertoire largement personnel ou quelques reprises inspirées.


L'autre moitié d'Awek : Stéphane Bertolino (hca) et Bernard Sellam (g)

 

Le nom de Layla Zoe m’était totalement inconnu. Sommairement présentée comme une héritière de Janis Joplin, je m’attendais à une surenchère d’effets vocaux plus ou moins contrôlés. La surprise fut donc agréable de découvrir une jeune femme à la voix bien trempée, mais parfaitement maîtrisée, puisant son inspiration autant le blues (découvert grâce aux disques de papa), la soul (belle version de I’d rather go blind) ou le rock qu’elle a gravé dans la peau. (Elle fit admirer ses tatouages de Dylan, Zappa et Waits, affirmant en posséder un autre de Muddy Waters à un endroit qu’elle ne pouvait montrer…)


Layla Zoe
 

S’exprimant dans un français hésitant mais charmant, la Canadienne connaît déjà toutes les ficelles et n’hésite pas à utiliser ses atouts physiques (chevelure, danse) pour pimenter un show bien servi par un honorable trio allemand.


Layla Zoe
 

Difficile d’imaginer plus grand contraste entre le blues rock d’une jeune Canadienne et les accents bien roots de l’authentique bluesmen mississippien qui lui succède. Visiblement, le public apprécie la diversité et nous aussi ! Pourtant habitué des scènes européennes depuis longtemps, Boo Boo Davis garde une authenticité immédiatement perceptible. Il n’a besoin que de quelques morceaux pour installer son groove ; il chante ses histoires d’une voix grasseyante, sans artifice (même lorsqu’il s’essaie à une soul ballad passionnée et réussie), que l’harmonica ponctue ou enlumine de solos bien goûteux.


Boo Boo Davis
 

Pour le soutenir, il peut compter sur l’accompagnement attentif du batteur et de Jan Mittendorp. Ce dernier lui prodigue à la guitare basse six cordes (et, sur quelques titres, à la slide) un accompagnement digne d’éloges.


Jan Mittendorp
 

Samedi 11 août
 

Le trio de Maurizio Pugno s’est fait une spécialité d’accompagner en Europe des artistes américains. Cette fois, c’est au tour de Mz Dee (DeJuana Rochon Logwood pour l’état-civil), une chanteuse originaire d’Oakland qui accommode fort bien un répertoire mêlant blues et soul (le I’d rather go blind d’Etta James est encore à l’honneur) avec un beau sens de la nuance. A la guitare, Maurizio Pugno n’est pas toujours en phase, mais Alberto Marsico, à l’orgue, assure avec brio.


Mz Dee avec Maurizio Pugno (g)
 

Blues in Chédigny doit beaucoup à Big Joe Turner, le bassiste, qui participa à la première édition, y vécut jusqu’en 2002 et collabora à la programmation jusqu’à sa disparition en 2008. Le festival avait donc décidé d’honorer sa mémoire à l’occasion de ce 15e anniversaire en réactivant sa Memphis Blues Caravan et en invitant des artistes qui avaient marqué les éditions antérieures. C’est tout d’abord Keith Dunn qui se présente, très élégant dans un impeccable costume assorti à sa casquette (ou le contraire). Je ne connais aucun autre harmoniciste capable aujourd’hui de tenir en haleine par la seule magie de sa voix et de ses harmonicas. Avec lui, Sonny Boy Williamson (deuxième du nom) a trouvé un digne successeur !


Keith Dunn

 

La Memphis Blues Caravan occupe ensuite le plateau avec des musiciens pas tous associés à l’ancienne formation, mais dont la compétence ne saurait être discutée : Kim Yarbrough à la basse, Johan Dalgaard aux claviers, K-led Bâ’sam à la guitare, Gulliver Allwood au sax alto et Ronald Baker à la trompette qui dirige l’ensemble.


Gulliver Allwood (as) et Ronald Baker (tp)


Johan Dalgaard


Kim Yarbrough
 

Ils accompagnent d’abord Earl Green, qui se fit connaître avec Otis Grand avant de faire carrière solo. Le cheveu blanc mais toujours svelte d’allure, il privilégie des morceaux jump qui conviennent bien à la formule orchestrale. Dommage qu’il hésite à se mettre plus en avant, il y gagnerait en complicité avec le public.


Earl Green
 

C’est Dave Riley qui lui succède dans un registre beaucoup plus volontaire. Limité à la guitare, il sait cependant la faire sonner et joue la carte "chitlin’ circuit" avec des standards (As the years go passing, Breaking up somebody’s home…), mais il est un trop brouillon et approximatif pour convaincre vraiment. Le meilleur moment sera celui où il fut seulement soutenu par la guitare hyper-expressive de K-led Bâ’sam .


Dave Riley

Avec Ernie Johnson, on change de registre. L’orchestre trouve immédiatement la bonne carburation pour jouer ses arrangements (il a pris la précaution d’apporter ses partitions) au service d’une superbe soul sudiste qui doit autant à Bobby Bland qu’à Otis Redding. C’est dire le niveau ! Charismatique, se dépensant sans compter, il offre un vrai show qui se conclut sur son tube, It’s party time, puis, en rappel, une version intense de I’ve got dreams to remember.


Ernie Johnson avec K-led Bâ'sam

Un rappel fait revenir tous les participants de le soirée pour un Let the good times roll festif auquel se joint Sunpie Barnes qui impose sa différence en clamant Laisse le bon temps rouler.


Mz Dee, Earl Green, Keith Dunn, Sunpie Barnes et Ernie Johnson laissent le bon temps rouler !
 

Dimanche 12 août
 

Constitués d’un Anglais (Ben Tyzack, guitariste et harmoniciste), d’une Américaine (Constance Redgrave, basse) et d’un Irlandais (Maurice McElroy, batteur), les Spikedrivers s’investissent avec fraîcheur et enthousiasme dans un blues électro-acoustique de bon aloi (Got to move, John Henry…), parfois mâtiné de folk ou d’accents plus rock. Si le guitariste est le chanteur le plus en vue, les deux autres viennent de temps en temps lui ravir la vedette. Il en ressort une impression de complémentarité et de bonne entente qui forcent la sympathie.


Constace Redgrave et Ben Tyzack des Spikedrivers
 

Crossroads jouent à domicile et en rajoutent un peu dans les présentations. Jacques Beauchamp s’illustre au chant, à la steel guitar et à l’harmonica, mais on apprécie surtout les interventions de Jörg Petersmann, à la guitare et au violon. Dylan et Calvin Russell sont aussi fêtés que les héros du blues.


Crossroads : Jac Beauchamp et jörg Petersmann

 

Restrictions budgétaires obligent, Bruce Sunpie Barnes n’était venu accompagné que de son fidèle batteur, l’excellent Leroy Etienne, et son non moins fidèle et excellent bassiste, Mike Harris.


Mike Harris et Bruce "Sunpie" Barnes
 

Ce qui faisait craindre un show moins coloré et varié qu’à l’accoutumée. Du coup, Sunpie a remisé ses morceaux créoles et vaudous pour se concentrer, avec l’accordéon piano, sur le zydeco le plus dansant  (Zydeco et pas salé, Jolie blonde…), alternant valses, two-step et blues down-home. Même si l’absence du rubboard se fit parfois sentir, nous eûmes le privilège d’assister à une prestation zydeco de la plus belle eau, où Sunpie donna le meilleur de lui-même avec un talent et une implication de tous les instants. Les danseurs nombreux ne s’y trompèrent pas.


Sunpie Barnes
 

Il concluait en beauté un festival qui gagne à être connu, tant pour sa programmation que pour son cadre exceptionnel et pour l’atmosphère de convivialité qui y règne grâce à la mobilisation de tout un village (180 bénévoles pour 500 habitants). Un châtelain voisin avait bien raison de mobiliser sur son compte Twitter : « If you are in the Loire area in France on the 10th, 11th and 12th of August you must go to the wonderful outdoor blues festival in Chedigny, a very pretty village near Tours. » Signé Mick Jagger  !

Textes Jacques Périn – Photos Miss Béa