Jammin’ Juan 2023
08.12.2023
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La Charité-sur-Loire accueille une nouvelle fois le blues sur les bords de son fleuve en invitant quelques musiciens, principalement européens, dont certains sont arrivés dès le 20 août. Nous manquerons Patrick & Steve Verbeke présentant « Willie et Louise », leur animation à l'attention des enfants, ainsi que Docteur Banza, les Steady Rollin’ Men, Tangle Eye et le duo espagnol Suitcase Brothers dont on nous dira beaucoup de bien… Avec un temps plutôt frisquet et humide, le festival débute pour nous le vendredi après-midi dans le superbe cloître qui a l'avantage de procurer un abri bien pratique entre les averses. Thomas Ford propose un Delta Blues personnel. Indéniablement, il connaît bien le répertoire pré-war et le maîtrise à la slide et à l'harmonica.
Lazy Buddies
Il est suivi des Lazy Buddies, groupe rétro fifties jusque dans les habits et le micro vintage de la chanteuse. Eux aussi connaissent leurs standards mais voyagent vers le style de la côte ouest, avec ambiance de guitare jazz à la T-Bone Walker ou Pee Wee Crayton. Ils font une belle prestation sur la scène du cloître mais seront obligés d'annuler, à cause de la pluie, un autre concert prévu place de la mairie.
Sirop d'la rue
Au sec au coin de la même rue, nous voyons, plus chanceux, Sirop d'la rue, sympathique formation locale acoustique proposant quelques compositions originales en français. Dans les rues de la vieille ville, beaucoup de boutiques ont décoré leurs devantures en rapport avec le jazz et le blues : guitares, trompettes, photos, livres, disques…
Véronique Sauriat
Vendredi soir, direction la halle aux grains, belle petite salle chaude, idéale pour écouter du blues. Véronique Sauriat vient avec sa nouvelle formule de Mama's Biscuits, et le guitariste Jérémie Tepper qui remplace maintenant, avec talent, Stan Noubard-Pacha. Ce dernier n'est pas loin car il anime avec Vincent Bucher des master classes, respectivement, de guitare et d'harmonica. Lors des entractes, Stan se livre à des jams sympathiques sur les guitares-bidons de Philippe Renault, un autre habitué des festivals. Véronique offre un flash-back efficace et respectueux des grandes dames du R&B : LaVern Baker, Etta James, Ruth Brown… Professionnelle, parfois habitée, elle revisite leurs répertoires, avec élégance et reconnaissance, faisant renaître ces grandes dames avec des ballades ou des titres plus dansants.
Elmore D
Quand Elmore D arrive sur scène et se met en place avec ses rangées de guitares (12 et 6-cordes acoustiques, National à résonateur, électriques…), les spectateurs qui n'ont jamais vu le personnage se demandent sûrement quelle musique va proposer le bluesman liégeois de retour en France. À part Gilles, son fils à la guitare électrique, c'est une formation inédite qui est proposée : Patrick Indestege (contrebasse, basse), Tom Lehnert (batterie), Tom Nizet (percussions), Richard Plaut (harmonica). Comme à son habitude presque pédagogique, faisant œuvre de mémoire, Elmore propose un voyage dans l'histoire du blues, mais revisité par ses interprétations particulières et les arrangements simples et précis de son orchestre. Toujours étonné de voir une salle remplie pour lui alors que « à la fin de sa vie Blind Willie McTell faisait la manche dans les drive-in pour 5 personnes ». Avec les relectures de Blind Willie, Elmore James, Kokomo Arnold, de gospels ressassés (Down by the riverside), ou de son compatriote Ferre Grignard, il enthousiasme un public conquis dès les premières mesures : plus de deux heures de musique, standing ovation, trois rappels et un invité de marque, Stan, heureux de jammer avec une banane jusqu'aux oreilles. Trop rares, les concerts de Daniel Droixhe alias Elmore D sont des expériences revitalisantes laissant un souvenir indélébile : c'est une voix pleine de sincérité et de feeling, des guitares au brutal et énergique picking métallique, des glissandos tendus, une musique brinquebalante et percussive, mi-acoustique mi-électrique, qui nous emmène loin des démonstrations de virtuosité stériles et nous plonge dans les sources originelles et essentielles du blues. Citons simplement les mots du compte-rendu du journal local nivernais : « On a rarement vu ça», « Exceptionnel »...
Le lendemain après-midi il est difficile d'écouter Rab'Blues qui se réfugie, toujours à cause du temps, dans la salle capitulaire du cloître avec réverbération naturelle non réglable ! Au milieu de l'exposition des photos des éditions précédentes et des guitares-bidons de Philippe Renault, il improvise un showcase acoustique et une rapide jam avec Thomas Ford à l'harmonica… La restitution des ateliers blues (master classes) est heureusement épargnée par la pluie. Quelques standards blues bien choisis permettent aux stagiaires amateurs de s'exprimer lors de leur chorus avec une étonnante et réjouissante cohésion. Il est vrai qu'il fallait des maestros comme Stan Noubard-Pacha et Vincent Bucher pour orchestrer cette armada impressionnante de guitares, d'harmonicas, de saxophones, des deux sympathiques chanteuses, tous accompagnés par la batterie et la basse du Charité Blues All Star. Cette ambiance sympathique et communicative sera gâchée par les averses en fin de prestation de Vincent et Stan. Nico Wayne Toussaint, l'invité de marque, n’y pourra rien.
French Blues Explosion
Le samedi soir, toujours à la halle aux grains, la French Blues Explosion, la nouvelle formule « bleu-blanc-rouge » de Mr. Tchang, propose un blues rock énergique. Avec ses déambulations au milieu des spectateurs, le guitariste-chanteur, bien connu dans le blues français du sud-ouest, est un entertainer qui sait haranguer le public et le faire adhérer… et il en redemandera.
Otis Grand
Nous n'avions pas vu Otis Grand depuis longtemps, programmé en clôture. Les festivaliers lui réservent un chaud accueil enthousiaste avec un plaisir non feint. Otis n'est pas un chanteur : à part un titre, son guitariste fait les vocaux. Mais c'est surtout sur les nombreux instrumentaux, tricotant sur ses guitares, que le Britannique est à son zénith : il étincelle avec son Epiphone ou sa superbe Stratocaster Gold, brillamment accompagné par piano, basse, batterie. Les cuivres (trompette et saxophone) font quelques interventions remarquées, mais peut-être trop rares. Après une classique promenade dans la salle et de grands moments, avec le feeling et les notes de sa guitare à l'unisson, Otis termine, seul sous les projecteurs, avec un boogie frénétique.
Vincent Bucher
Il y aura, en outre, quelques danseuses assurant le show sur scène et des invités talentueux : Vincent Bucher ironiquement introduit par Otis comme l'« Alain Delon du blues français » et Stan Noubard-Pacha, son alter ego français à la guitare. Pas d'onéreuses têtes d'affiches racoleuses, des animations, des expositions, des projections de films, un riche cadre culturel et architectural, un gastronomie savoureuse (Sancerre n'est pas loin !), le festival de La Charité-sur-Loire se distingue par son désir sincère de promouvoir le blues, invitant des artistes chaleureux, essentiellement européens, qui n'oublient pas de rester proches du public et des bénévoles. À la fin de la douzième édition (la douzième mesure du blues ?), beaucoup seront prêts, dès l'année prochaine, à reprendre un nouveau chorus avec Blues en Loire.
Textes et photos : Christian Esther