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Live reports / 12.04.2011

BLUES AU 13


Keith B. Brown © Julien Zerr
 

Un festival de blues à Paris. On peut se dire que c'est la moindre des choses, mais quand on y songe, rien de tel à signaler depuis un moment. Alors cette année, lorsqu'un théâtre du Sud-Est de la capitale décide de consacrer l'une de ses “escales musicales” à la note bleue une semaine durant, on se réjouit. Quand on constate que l'affiche réunit des artistes de qualité sous le credo “blues métissé”, on applaudit ; sur place, on est conquis. Comme les plus mémorables des blues, Blues au 13 a d'emblée instauré un climat, une chaleur particulière qui reste en mémoire et s'inscrit pour durer. Impressions et images du feeling déployé en quatre soirées.

 

Mercredi 13 avril

La veille, le groupe Gaâda Diwane de Béchar a mis le feu aux planches deux heures durant avec ses grooves algériens survitaminés. Ce mercredi, nous entrons dans le cœur du sujet avec, mine de rien, un événement important pour la scène blues actuelle : le retour de Keith B. Brown. Cela faisait près d'un an et demi que celui qui incarnait Skip James dans Soul Of A Man (Wim Wenders) n'avait pas donné de concert.

Ses deux guitares acoustiques, un micro, un sourire timide et cette phrase : « Comme toujours, je vais commencer par un morceau de Son House. » Keith repart sur les mêmes bases et, à nouveau, scotche son public au fond des sièges. Normal, il vient de s'emparer du Death letter de son héros : l'attaque des six cordes est franche et sa voix emplit l'espace d'une intensité rare. Le Delta blues débarque par la grande porte au Théâtre 13. Réservé et concentré comme à son habitude, on sent le chanteur-guitariste reprendre ses marques au fil de son répertoire. Classiques réappropriés, blues dépouillés dans la lignée, chansons plus légères mais tout aussi envoûtantes (son incontournable All I need) et quelques nouvelles compositions qu'on suppose au programme du prochain album (à venir chez Dixiefrog à la rentrée)… Le blues dans toute sa puissance brute, c'est possible “live” en 2011 et Keith B. Brown est sans doute l'un des artistes les plus à même d'y faire goûter.

Un mot sur la salle du Théâtre 13, car elle participe pleinement à la réussite d'une telle prestation : 250 places assises disposées en un demi-arc de cercle surplombant la scène. Un petit amphithéâtre à la visibilité parfaite et dont l'acoustique et la lumière irréprochables offrent des conditions idéales pour apprécier des performances intimistes.


 

 
Keith B. Brown © Julien Zerr
 

Forcément, après ça, on ne peut que s'étonner de voir arriver la toute jeune Nina Attal accompagnée par Philippe Devin (tous deux à la guitare et au chant), voire s'étrangler gentiment quand celle-ci s'annonce ravie d'avoir découvert l'artiste qui vient de jouer avant elle. La maladresse a beau être fortuite, le monde semble bel et bien à l'envers ce soir. Nous aurons l'explication à la sortie du concert : pour des raisons logistiques, c'est Keith B. Brown lui-même qui a tenu à se produire en première partie. Pas vraiment un cadeau pour Nina Attal et une bonne occasion de reconnaître au jeune duo parisien une confiance en soi remarquable. Il en faut pour entamer un set a cappella sans sourciller. Ça sonne, le ton est donné, du chant en anglais bien exécuté. La guitare acoustique de son acolyte offre une assise confortable à Nina Attal pour s'exprimer et, vocalement comme en solo sur sa Gibson, elle sait donner corps aux chansons qu'elle interprète. Mais la paire s'attaque surtout à des classiques de la soul, dont quelques monuments (Respect yourself des Staple Singers, Living for the city de Stevie Wonder), et on ne peut s'empêcher de trouver l'exercice trop scolaire, sans apport personnel vraiment marquant et sans éviter les travers de maniérismes vocaux téléphonés.

En somme, si la note bleue n'a cessé de résonner ce soir-là, passer de la plus profonde de ces nuances à l'une de ses vertes branches n'est pas franchement l'idéal.

 
Nina Attal et Philippe Devin © Julien Zerr


 Nina Attal © Julien Zerr

 

Jeudi 14 avril

On renoue avec le très haut niveau dès le lendemain, avec une affiche qui nous emmène en deux temps forts en terres africaines.

Distillé en trio, le groove du désert d'Amar Sundy prend une ampleur inédite particulièrement envoûtante. D'autant que le leader qu'on connaît bien à la guitare électrique joue ce soir exclusivement sur acoustique. Un bon moyen de se rendre compte de la finesse de son jeu, incisif à souhait (les réminiscences des deux Albert, King et Collins, demeurent biens palpables) et en même temps fleuri d'arabesques déliées. Un beau dosage de punch et de nuances qu'on retrouve aussi bien dans le chant en arabe d'Amar que dans l'accompagnement. La basse agile d'Henri Dorina alliée à la frappe inspirée du batteur Olivier Monteils (remarquable notamment dans l'utilisation de son tom basse) forment ce genre de rythmique ultra-sensible qui permet aux chansons de prendre une tout autre dimension “live”. Dans de telles conditions, chantées (Sadaka) ou instrumentales (Camel shuffle), les excellentes compositions d'Amar Sundy firent bien des étincelles.

 
Amar Sundy © Julien Zerr
 


Olivier Monteils © Julien Zerr
 


Henri Dorina © Julien Zerr
 

Un trio en suit un autre. Mais pour Roland Tchakounté, il s'agit de sa formation habituelle. Le guitariste Mick Ravassat et le percussionniste Mathias Bernheim sont fidèles au poste et la musique de Tchakounté est aussi la leur. J'avais le souvenir d'eux déjà bien soudés, mais ce soir leur symbiose me paraît atteindre un autre niveau. Mathias Bernheim fait corps avec son set de percussions original (un djembé pour caisse claire, une crash qu'il joue au pied grâce à un maillet de grosse caisse…) et redouble d'invention pour souligner les parties de guitares de ses deux acolytes. Mick Ravassat, en caméléon virtuose, multiplie les approches dans son jeu électrique au gré des blues originaux du leader qui, lui, sobre à la guitare acoustique, nous emporte au tréfonds de son âme par son chant sombre et fort. De grands moments d'émotions renforcés par un évident plaisir de jouer ensemble. Ce soir, il y a une quatrième personne sur scène, elle s'appelle complicité. Tout cela s'applaudit bien fort, et debout.

Une soirée qui rappelle aussi à quel point le chant peut, au-delà des paroles (en bamiléké, langue camerounaise, chez Tchakounté), séduire par sa seule musicalité.
 


Roland Tchakounté © Julien Zerr
 


Mick Ravassat © Julien Zerr

 

Vendredi 15 avril

Seul avec sa guitare, Marc-André Léger sait d'emblée capter l'attention. Et aussi la retenir, grâce à judicieux dosage entre sa virtuosité sur le manche, son chant assuré et une bonne louche d'humour potache qui vient détendre l'atmosphère parfois tendue quand on revisite avec ardeur des vieux blues du Delta. Et pouvoir passer de Robert Johnson ou Fred McDowell à ses propres compositions sans encombre est un gage de maturité artistique indéniable. A la manière d'un Keith B. Brown, ses embardées personnelles (notamment son Rambling highwayside) font respirer son set en le raccrochant plus concrètement au présent. Ce qui marque avant tout, c'est la maîtrise des nuances dont fait preuve le Canadien fait preuve, comme lorsqu'il saisit Dobro et bottleneck, ou qu'il s'octroie une virée flamenco tout en puissance contenue.


Marc-André Léger © Stella-K
 

Annoncé lui aussi en solo, Eric McFadden est finalement accompagné du percussionniste Fabrice Trovato. Exclusivement au cajon, ce dernier instaure avec tact un climat qui répond au caractère hypnotique des chansons du leader. Mais, à mon sens, si l'osmose n'a pas mis longtemps à s'instaurer, la formule intimiste a cette fois-ci révélé ses limites sur la longueur. C'est peut-être que le mélange blues, folk, rock du chanteur-guitariste me touche moins, mais j'ai surtout eu l'impression que là où son jeu de guitare puissant, délié et savamment perfusé d'influences hispaniques parvient à faire monter la tension, sa voix gutturale peu nuancée peine à faire réellement décoller l'émotion.


Fabrice Trovato et Eric McFadden © Stella-K
 


Eric McFadden © Stella-K

 

Samedi 16 avril

Changement d'ambiance avec Malted Milk. Le quintet nantais déboule avec son blues-soul-funk et si on se dit plus d'une fois qu'une section de cuivres aurait eu fière allure à leurs côtés, force est de constater que la sono pousse déjà trop. Compte tenu de la petite taille de la salle et de l'attaque franche des musiciens, le volume déployé n'était vraiment pas nécessaire. Car derrière Arnaud Fradin, les claviers de Nicolas Mary, les fûts de Gilles Delagrange et la guitare de Yann Cuyeu ne perdent pas de temps pour faire monter la sauce. Sans oublier Igor Pichon, ex-chanteur guitariste de Spoonful, qui ici à la basse constitue le véritable ciment du groupe. Doigté habile, assise remarquable et même une touche de space bass mesurée : le groove de cette dernière mouture de Malted Milk lui doit beaucoup. Devant (un peu trop ?), Arnaud Fradin n'est pas en reste. A la guitare, sa synthèse Albert King-Albert Collins-Johnny “Guitar” Watson – de la blue note bien tranchante donc – fait mouche dans un répertoire taillé pour la scène : Dresses too short, Breakin' up somebody's home, Hey pockey-way ou leur nouvelle compo algreenesque Sweet baby. Quant à reprendre I want to ta-ta you de “Guitar” Watson, cela mérite une palme en soit, malgré une légère déception concernant le solo, plutôt brouillon et bavard là où Watson faisait culminer ce blues lent magnifique en quelques notes. Question chant, j'avoue avoir été déçu par la prestation du leader (un soir sans ?) dont le manque de coffre, le falsetto limité et l'accent anglais parfois difficile m'ont paru trop éloignés de la voix bluffante qu'on entend sur l'excellent album “Sweet Soul Blues” (Dixiefrog).

Quoi qu'il en soit, le groove a bel et bien investi le Théâtre 13 et c'est une salle debout et dansante qui salue cette formation incontournable de la scène blues & soul française.

 

Au final, Blues au 13 ? Un beau panel de moments forts qui rappellent que la musique bleue recèle d'autant plus de merveilles quand elle prend vie dans un lieu propice à l'intimité.

Et aussi une salle qui en pleines vacances de Pâques affiche complet ou presque chaque soir. Alors on dit bravo et à bientôt en 2012, pour le deuxième acte.

Nicolas Teurnier