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Live reports / 30.05.2016

Blue Sisters : Ina Forsman, Tasha Taylor, Layla Zoe

Dans le contexte économique actuel, on ne peut que rendre hommage à l'opiniâtreté des bénévoles de l'association Jazz à Toute Heure qui, cette année encore, sont parvenus à organiser une quinzaine de concerts dans la Haute Vallée de Chevreuse, échelonnés de mars à début avril. C'est grâce à eux que la tournée Blues Caravan du label Ruf a pu faire escale en région parisienne. Juste retour des choses : le public s'est déplacé en masse et la sympathique salle de La Terrasse (accueil convivial, conditions d'écoute optimales, visibilité impeccable, au plus près des musiciens) affichait complet malgré la météo maussade.

Il faut aussi saluer le sérieux avec lequel Thomas Ruf œuvre au développement de ses artistes. Si l'on peut ne pas adhérer à l'intégralité de sa ligne éditoriale – quoi que celle-ci évolue franchement dans le bon sens ces derniers temps ! –, impossible de remettre en doute son engagement. Il fallait le voir s'affairer en coulisses, impliqué, attentif aux moindres détails ! C'est aussi à lui que l'on doit l'embauche des excellents musiciens sélectionnés pour accompagner les têtes d'affiches. Les temps sont durs et il faut limiter les frais : c'est donc un line-up resserré (guitare-basse-batterie) qui assure l'intégralité du concert. Pas facile dans cette formule de reproduire les arrangements opulents des disques d'Ina Forsman et de Tasha Taylor. On n'y vit pourtant (presque) que du feu, grâce à la virtuosité du guitariste Davide Floreno. Seul instrument harmonique de la soirée, sa Stratocaster utilisée sans effets nous régala de solos bien sentis et de rythmiques créatives (mention spéciale à ses accords travaillés au trémolo). Le swing fut également de mise grâce à l'évidente complicité entre le bassiste Walter Latuperissa, aussi buriné que sa Fender écaillée, et le jeune batteur Marku Reinikainen. C'est donc dans de très bonnes conditions que les chanteuses purent dérouler leurs sets.

 


Ina Forsman, Layla Zoe, Tasha Taylor © DR

 

Le show commence par quelques standards (Chain of fools) interprétés à trois voix puis c'est Ina Forsman qui passe la première. Son look de pin-up 50's façon Lana Del Rey est trompeur. Alors que l'on s'attend à un show où la forme risque de supplanter le fond, elle séduit d'emblée par la profondeur de ses chansons, sa sensibilité à fleur de peau, la fragilité qui émane de son jeu de scène, un peu gauche, ce côté “sur le fil” qui fait le charme des grandes chanteuses… de jazz. Son répertoire est pourtant clairement orienté soul (cf. son sémillant single No room for love), relevé d'une bonne rasade de rock'n'roll millésimé. Elle conclue son set par une reprise en apesanteur de Nina Simone (I want a little sugar in my bowl) qui sied parfaitement à son univers. Une belle découverte, qui donne envie de se plonger dans son premier album, enregistré au Texas avec l'appui d'une équipe de rêve (Mark Kazanoff, Texas Horns, Laura Chavez, Helge Tallqvist…). Rendez-vous dans le prochain Soul Bag pour la chronique !

Changement de registre avec Tasha Taylor, assurément la plus convaincante des trois. Sa maîtrise scénique est impressionnante ; charismatique, charmeuse, pleine d'humour, elle se met le public dans la poche en deux temps trois mouvements, servie par une voix puissante gorgée de soul et de blues. Son répertoire fait la part belle à son superbe dernier album (“Honey For The Biscuit”, lui aussi chroniqué dans notre prochain numéro), ainsi qu'à divers classiques southern soul, dont le classique Who's making love via lequel elle rend hommage à son père Johnnie. Souhaitons qu'elle revienne rapidement chez nous, dans le cadre d'une tournée qui lui sera entièrement dédiée et armée d'un orchestre plus étoffé : elle le mérite !

Placé en troisième position, le set de Canadienne Layla Zoe apparaît plus en retrait. Sympathique et enjouée, elle tombe trop facilement dans le piège de la surpuissance façon Janis Joplin. Ses growls sont forcés et son répertoire passe-partout apparaît bien fade en comparaison des univers rafraîchissants de ses deux collègues. Si elle ne convainc pas en blues, elle s'avère en revanche plus à son aise sur les morceaux rock'n'roll ou country, là où sa nature d'entertainer décomplexée prend tout son sens.

Deux rappels feront revenir les chanteuses pour quelques standards pris à trois voix, sous les acclamations d'un public entièrement acquis à leur cause. Cerise sur le gâteau : Ruf avait organisé à la suite du concert une séance de dédicaces, complétée d'un stand de vente de disques (littéralement pris d'assaut) dans lequel on pouvait acquérir à bas coût les CD du label, toutes époques confondues (Luther Allison, Sue Foley…).

Constater qu'un samedi soir froid et pluvieux, dans cette discrète salle accolée au parc du château de Button, des amateurs font l'effort de se déplacer pour écouter de jeunes artistes et achètent en masse des albums de blues et de soul renforce l'excellent souvenir que l'on gardera de cette soirée réussie.

Ulrick Parfum

 


© DR