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Live reports / 11.11.2015

BAY CAR BLUES FESTIVAL

Le Bay-Car Blues Festival est bien installé dans le paysage bluesistique français et il y a longtemps que je me promettais d'y aller. Cette année, mes disponibilités et les promesses de l'affiche ont fini de me décider à faire le voyage jusqu'au bord de la mer du Nord, du côté de Dunkerque.
La salle du Palais du Littoral réussit à faire oublier ses vastes proportions en adoptant un dispositif de cabaret, avec petites tables rondes et chandelles, stands de disques, de T-shirts et même la belle réplique d'une cabane sudiste imaginée par Jake Calypso.

 

Comme annoncé, c'est à 19 heures 30 précises que les Flyin' Saucers Gumbo Special investissent la grande scène. L'expérience acquise en plus de quinze ans d'existence n'explique pas tout, il y a surtout l'addition de talents individuels au sein d'un collectif soudé par une appétence pour tout ce qui a macéré dans le chaudron de La Nouvelle-Orléans, du blues au funk, du R&B au zydeco, avec même parfois un discret parfum tex-mex.

Flyin' Saucers Gumbo Special : Fabio Izquierdo et sa "squeeze box".
 

Les parties vocales sont équitablement réparties entre Fabio Izquierdo, aussi goûteux à l'accordéon diatonique qu'à harmonica, Fabrice Joussot, guitariste au son charnu, et Cédric Le Goff, chanteur soulful et sorcier des claviers.

Flyin' Saucers Gumbo Special : Cédric Le Goff
 

Avec Jean-Charles Duchein à la basse et Stéphane Stanger aux drums, la rythmique sait doser ses efforts. Les Soucoupes volantes puisent dans leur dernier opus, le très recommandable "Swamp It Up", sans négliger les inoxydables du répertoire, genre Fiyo on the bayou, pour mitonner leur gumbo dont on reprend avec plaisir une louche lors du rappel !

Flyin' Saucers Gumbo Special : Cédric, Fabio et Fabice Joussot
 

Le reste de la soirée sera entièrement consacré à la Sean Carney's Friends Blues Revue. Un plateau innovant soutenu par une autre rythmique impeccable, celle de Pascal Delmas à la batterie et Fred Jouglas à la basse (soit les 2/3 de la French Blues Explosion). Sean Carney prend le temps d'imposer sa "ligne claire", au jeu épuré, délié, aux solos savamment élaborés, dans lesquels chaque note compte.

Sean Carney, Oscar Coleman et Jonn del Toro Richardson
 

Quand il appelle ensuite Jonn del Toro Richardson, la différence… saute aux yeux. À l'image de son physique, le style du Texan est plus épais, plus volubile aussi. Une complémentarité plus qu'une concurrence et qui n'entame en rien leur complicité. Lorsqu' Omar Coleman se joint au groupe, on monte encore d'un cran. L'harmoniciste (qui figurait sur un album antérieur de Carney) révèle une nature de leader. Charismatique, meilleur chanteur que ses compagnons, il insuffle du funk dans son Chicago blues, évoquant parfois Junior Wells ou Johnnie Taylor. Il confirme avec éclat la bonne impression de son récent album sur Delmark.

Oscar Coleman
 

Après une pause, Sean Carney se met au service de Shaun Booker, une chanteuse encore méconnue, venue cet été en Europe et qui exerce habituellement à Memphis. Elle n'a pas recours aux effets faciles de certaines de ses consœurs pour capter l'attention, s'en remettant avant tout à ses talents de chanteuse. Comme me le fait pertinemment remarquer mon coéquipier Alain Jacquet, elle ne cherche à imiter ni Aretha ni Koko. Elle se concentre sur un répertoire non galvaudé, sans doute personnel (excellent David & Goliath), et ça lui réussit plutôt bien. Elle complétait harmonieusement ce plateau inédit, réuni en exclusivité pour le Bay-Car.

Shaun Booker

Sean Carney's Friends Blues Revue : Pascal Delmas, Sean, Oscar, Shaun, Jonn et Fred Jouglas
 

Dave Herrero est chargé d'ouvrir les débats le lendemain, samedi. Et il ne tergiverse pas : gros son texan, bien charpenté mais sans beaucoup de finesse. C'est touffu, pour ne pas dire étouffant. La chape se soulève rarement, juste le temps d'un hommage à B.B. King avec How blue can you get, ou d'un boogie hookerien enlevé. Pour le reste, ça pilonne dur avec la batterie de Johnny Benoit et la basse de Pierre Pellegrin. La présence d'Hector Watt au côté de Herrero n'apporte pas la variété attendue.

Dave Herrero & the Texas Cannonballs: Hector Watt, Pierre Pellegrin, Dave Herrero
 

En prélude à Jarekus Singleton, c'est Sax Gordon Beadle qui bénéficie de son groupe, un trio débordant d'énergie (Sam Brady à l'orgue, Ben Sterling à la basse, Maya Kyles aux drums), totalement investi dans une musique d'aujourd'hui, tonique et décomplexée. Qui va bien à Gordon Beadle qui arpente la scène à grands pas et lance ses riffs de ténor comme des bordées de canon, évoquant tour à tour Big Jay McNeely, King Curtis ou Junior Walker.

Sax Gordon Beadle
 

Mais il s'efface lorsque paraît Jarekus Singleton. Révélé l'an dernier par un album Alligator, c'est sa deuxième tournée ici. D'emblée, on est frappé par son aisance, son engagement. Sans ostentation, il se projette dans sa musique, échange avec ses compagnons, improvise sans jamais se perdre. Impossible de résister à un feeling aussi tangible ou de ne pas admirer l'interaction entre le chant et la guitare.

Jakerus Singleton
 

Décidemment, Alligator n'a rien perdu de son flair en signant Jarekus Singleton et Selwyn Birchwood, deux artistes représentant non seulement une relève, mais aussi une régénération du blues.

The Jakerus Singleton Band : Ben Sterling (b), Maya Kyles (dm), Jakerus, Sam Brady (org)
 

Avec Nikki Hill, rock and roll is back. Le vrai, celui de l'âge d'or. Sous un physique juvénile et un sourire irrésistible se cache pourtant une tigresse à la voix acidulée, entre Wanda Jackson et Wynona Carr. Et son mari de guitariste n'arrange rien : avec ses airs de lutteur de foire, il balance des riffs ra(va)geurs qui ne font que faire monter la pression !

Nikki Hill
 

Bref, on craque, on frappe du pied, on tape des mains et on reprend en chœur Sweet little rock & roller (Chuck Berry), Trouble (Elvis), Keep a knockin' (Little Richard). Moins évidentes et tout aussi réussies sont les reprises de I know (Barbara George), Number 9 train (Tarheel Slim) ou, en rappel, le Twistin' the night away de Sam Cooke.

Matt et Nikki Hill
 

C'était l'épilogue d'un festival bien pensé, bien organisé, qui aurait mérité une audience encore plus large. Bravo à Miguel Marcigny et Dominique Floch pour leur programmation innovante et merci au président Patrice Vermeersch pour fédérer une telle équipe.

 

Texte Jacques Périn – Photos Alain Jacquet