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Live reports / 25.11.2021

Bay-Car Blues Festival 2021

Grande-Synthe (59), 5 et 6 novembre 2021.

Rien n’a changé, ni la queue qui se forme devant le Palais du littoral bien avant l’ouverture des portes ni la grande salle aménagée façon club chicos. Et la soirée est toujours partagée entre trois sets généreux. Seule la Goudale a été remplacée par la Ch’ti…

C’est le Chicago blues le plus authentique qui est d’abord à l’honneur grâce à John Primer. Pas de posture ostentatoire ni d’effet de manche, il est parfaitement légitime lorsqu’il reprend avec panache le répertoire de Muddy Waters (Mannish boy, I can’t be satisfied), mais son bottleneck peut aussi l’amener du côté d’Elmore James, auquel il a consacré un album. C’est également un bon chanteur, sensible aux ballades soul (Rainy night in Georgia). John Primer est venu avec son groupe habituel, le Real Deal Blues Band, constitué de Dave Forte à la basse, Lenny Media à la batterie et Steve Bell à l’harmonica, celui qui a profité des leçons de son père, Carey Bell, et a d’ailleurs hérité de son micro ! Une filiation musicale évidente qui nous vaut quelques grands moments, même s’il n’a pas toujours la créativité de son géniteur.

L’album de Crystal Thomas pour Dialtone avait été bien accueilli à sa sortie en 2020 et appelait un prolongement scénique. C’est le batteur Pascal Delmas qui s’y est attelé. Après deux jours d’intenses répétitions, Crystal était fin prête pour affronter le public du Bay-Car. Il faut dire qu’avec le groupe réuni, les risques étaient limités. Quelle bonne idée d’avoir adjoint à la paire rythmique Pascal Delmas-Antoine Escalier, qui fait ses preuves au cours de maintes tournées, deux solistes aussi exceptionnels que Victor Puertas et Luca Giordano ! Le premier, surtout connu comme harmoniciste, s’est révélé organiste-pianiste de premier plan et la guitare de Giordano fit preuve d’une attention et d’une réactivité de tous les moments.

Ainsi accompagnée, Crystal Thomas a pu revisiter son répertoire (The blues ain’t nothing but pain, Ghost of myself, They call me Crystal, Can’t you see what you’re doing to me…) et révéler un immense talent de chanteuse, entre blues et soul, sans jamais en rajouter. Le rappel nous valut une version ultra personnalisée de Mojo working avec le seul soutien de Luca Giordano et Victor Puertas revenu à l’harmonica. Nul doute que la dizaine de dates programmées auront encore augmenté la cohésion d’une formation qu’on aimerait revoir.

John Primer, Steve Bell
Crystal Thomas
Luca Giordano
Antoine Escalier
Pascal Delmas

Après avoir été sevré pendant presque deux ans de musiciens venus des États-Unis, le Bay-Car a réussi un joli coup en signant Rick Estrin. Considéré – à raison – comme un des meilleurs harmonicistes du circuit, un compositeur sans pareil et un authentique showman, l’ex-compagnon de Little Charlie est arrivé avec les Nightcats de son dernier album Alligator : l’organiste Lorenzo Farrell, le batteur bondissant (par-dessus ses fûts) Derrick “D’Mar” Martin et le guitariste Kid Andersen, grand manitou du studio Greaseland.

Le look étudié (costume-cravate fifties, houppette, fine moustache) et la voix caverneuse du leader produisent leur effet, mais Rick Estrin est un formidable musicien, héritier des Sonny Boy et Little Walter, swinguant et créatif. Il connait aussi la valeur de ses compagnons et ne se prive pas de les mettre en scène, à commencer par D’Mar (découvert à Porretta avec Anthony Paule) dont le solo acrobatique fait toujours mouche, mais aussi le formidable Kid Andersen, ce colosse viking qui prend plaisir à se repeigner entre chaque morceau, et dont la guitare est d’une autorité et d’une inventivité constantes. Un grand moment de blues débridé et totalement maîtrisé !

Risck Estrin
Chris Andersen, Rick Estrin
Lorenzo Farrell

Les musiciens européens étaient à l’honneur le lendemain. Le Belge Tiny Legs Tim (De Graeve) semble être passé facilement de la formule one-man-band de ses débuts à l’Elsewhere Bound, un nonette incluant un percussionniste et trois souffleurs (dont une remarquable trompettiste, Marie-Anne Standaert). De quoi aborder un répertoire varié et haut en couleur, teinté de jazz ou de funk. Mais c’est le blues qui constitue le carburant principal de ce fringant guitariste, excellent à la slide, et chanteur crédible. Le jeune leader profite aussi de l’expérience de Steven Troch, harmoniciste chevronné au palmarès glorieux.

Ceux qui n’avaient jamais vu le show d’Alexis Evans ont paru déroutés (à entendre les commentaires) par ce groupe de jeunes gens, propres sur eux, en pimpant costume orange, alors que le leader optait pour le bleu pétrole ! Peut-être un clin d’œil aux formations des ’50s-’60s, mais que le répertoire ne validait pas, principalement axé sur une soul groovy plus contemporaine. Quoi qu’il en soit, l’orchestre (avec orgue, sax et trompette) révèle des musiciens de haut niveau, tant collectivement (arrangements bien pensés et efficaces) qu’individuellement (avec parfois une tendance à la démonstration). Alexis Evans leur laisse beaucoup d’espace (notamment à Romain Magord, aux claviers) mais sait imposer sa guitare aussi convaincante en rythmique qu’en solo, alors que son vocal a parfois du mal à émerger du background. Le final sur un thème du Junior Walker a mis tout le monde d’accord. 

Alexis Evans
Éric Boréave
Romain Magord
Tiny Legs Tim
Tiny Legs Tim, Steven Troch
Marie-Anne Standaert

Kirk Fletcher est l’Américain de la soirée, même s’il a posé ses valises en Helvétie depuis quelques années. On le retrouve avec la même formation qu’aux Rendez-vous de l’Erdre cet été, celle avec laquelle il semble en totale communion : Fabrice Bessouat à la batterie, Kriss Jefferson à la basse et Cédric Le Goff aux claviers. D’entrée, il affirme I’ve got a right to sing the blues, et c’est vrai que celui qu’on a longtemps considéré comme un as de la guitare peut aussi chanter de façon convaincante, dans un registre à la Albert King. Cela lui permet de devenir le frontman, leader à part entière.

Il demeure bien sûr un immense guitariste, à qui tout semble facile, pousser à la danse ou faire monter la tension. À l’orgue, Cédric Le Goff (des Flyin’ Saucers) est aussi un spécialiste de la tension-détente que Fletcher ne sollicite pas en vain, il répond toujours avec pertinence et sans se répéter. La bienveillance qui émane du leader n’est pas feinte, la preuve lorsqu’il convie Alexis Evans, Grégoire Oboldouieff et Robin Magord (basse et clavier) à son rappel où tous se retrouvent pour une jam où le blues se pare de ses plus belles couleurs. 

Kirk Fletcher
Cédric Le Goff
Kriss Jefferson
Fabrice Bessouat

Cette 20e édition du Bay-Car aura dépassé les espérances : le public a répondu présent (jauge maximale atteinte) et le niveau artistique a été d’une qualité constante avec son lot de surprises et des pics d’émotion inattendus. La faute au président Patrice Vermeersch, et aux programmateurs Marc Bouillon et Pascal Delmas.

Texte : Jacques Périn
Photos © JM Rock’n’Blues
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