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Interviews / 26.04.2022

Batterie de compétences, épisode 3 : Fabrice Bessouat

Ils sont batteurs de talent, tourneurs, programmateurs, investis dans la production d’albums… Après Pascal Delmas et Denis Agenet, entretien avec Fabrice Bessouat.

Pas nécessairement évident de se dire qu’avec ta formation musicale initiale, tu deviendrais l’un des batteurs les plus réputés en France dans le champ des musiques afro-américaines.

Absolument ! Passé par l’école de musique d’Orthez puis le conservatoire de Pau, j’y ai appris pendant près de dix ans la percussion classique. Il m’a fallu attendre d’être adolescent pour débuter la batterie en autodidacte. Roll Pignault, un harmoniciste de ma région, m’a permis de faire mes premiers pas dans le blues. À vrai dire, je ne connaissais absolument rien à cette musique. Ma première expérience scénique dans le domaine a d’ailleurs été assez catastrophique [rires] ! De fil en aiguille, Nico Wayne Toussaint m’a proposé d’intégrer son groupe. Cela a été le début d’une sacrée aventure marquée par une nouvelle approche musicale (beaucoup d’improvisations, beaucoup d’écoute entre musiciens) et des rencontres, dont celle avec un véritable prodige du piano, l’incomparable Julien Brunetaud.

Nico a su me faire jouer comme je n’avais jamais joué auparavant ! Durant trois ans, ça a été 120 concerts par an en moyenne, un premier voyage aux États-Unis (La Nouvelle-Orléans, Clarksdale, etc.), un véritable déclic, une immersion totale dans les musiques afro-américaines ! Et puis un jour, avec Julien, nous avons rencontré Anthony Stelmaszack (guitare) et Nicolas Dubouchet (contrebasse) et avons décidé de nous installer sur Bordeaux pour nous lancer dans un nouveau projet : JB Boogie. 

Cette installation à Bordeaux, haut lieu du blues en France marque un vrai tournant, non ? 

Bordeaux, pour moi, c’était la découverte d’une grande ville, d’une ambiance incroyable. Nous nous retrouvions fréquemment au Comptoir du Jazz, un club mythique où nous avons d’ailleurs enregistré un live. Nous passions notre temps ensemble avec Julien, à jouer, à échanger, à aller de jam en jam. Cette période a été extrêmement fondatrice. J’ai vraiment appris à mettre de côté tout ce que l’on m’avait enseigné au conservatoire, notamment les aspects techniques, pour développer l’écoute, le feeling, le swing, ma culture musicale. Parmi les moments forts de cette période, je retiens une tournée dans le Mississippi, autour de Clarksdale. Au cours de cette tournée, nous avons eu l’honneur de faire la première partie de B.B. King au Ebony Club. Et, cerise sur le gâteau, nous avons eu la chance incroyable de pouvoir l’accompagner sur un morceau au cours d’une masterclass dans une université !

Et, déjà, des liens se tissent avec des artistes américains…

Tourner avec Nico Wayne Toussaint m’avait donné la possibilité de rencontrer de nombreux musiciens, notamment au Pays-Bas et en Belgique. Parmi ces musiciens, il y avait le pianiste hollandais Mister Boogie Woogie grâce à qui j’ai pu accompagner pour la première fois des artistes américains comme le chanteur Sam Taylor ou la pianiste Lisa Otey. Les liens noués avec cette dernière m’ont permis d’aller deux fois par an pendant un mois, à Tucson, Arizona. J’y jouais cinq soirs par semaine, dans tous les styles (blues, reggae, jazz, rhythm and blues, soul…) ce qui m’a donné la possibilité de rencontrer des artistes fabuleux comme Johnny Rawls, Bob Corritore ou Sean Costello que j’ai retrouvé à plusieurs reprises par la suite. Sam Taylor, lui, a été le premier artiste américain que j’ai fait venir en France. Entre les concerts avec JB Boogie, les déplacements à Tucson et au Pays-Bas, mon agenda était plutôt bien rempli ! 

© Remo Neuhaus

“Soul Shot a toujours été dans une démarche sincère et authentique, ce fameux esprit soulful du sud des États-Unis. Cela renvoie à une attitude, un art de vivre, une philosophie de vie.”

Fabrice Bessouat

2007 marque la fin de la période bordelaise avec une première installation à Nantes puis, dans la foulée, un fructueux épisode new-yorkais.

L’aventure JB Boogie s’étant achevée, j’ai eu alors la possibilité d’intégrer Malted Milk de 2007 à 2009. Puis, les choses de la vie ont fait que j’ai au l’opportunité de m’installer à New York. Parti pour une année sabbatique, j’y suis finalement resté quatre ans ! Suivre de près ce qui se faisait chez Daptone, assister régulièrement à des messes gospel à Harlem, rencontrer Bernard Purdie et bien d’autres batteurs de légende : cela a été très formateur. En tant que simple spectateur, j’ai pu engranger une expérience énorme qui a nourri le musicien que je suis aujourd’hui. C’est durant cette période new-yorkaise que je me suis lancé plus intensément dans le booking afin de conserver mon statut d’intermittent, d’abord en partenariat avec Aurélie Roquet de On The Road Again avec laquelle nous avons mis sur pied des tournées avec Jimmy Johnson, Jimmy Burns, Kenny “Blues Boss” Wayne, Deitra Farr… Finalement, deux ans après être revenu en France, à Nantes, j’ai fini par développer ma propre structure en créant Soul Shot en 2015. Dès le départ, mon objectif était clair : mettre en place des tournées pour des musiciens américains que j’accompagne. Pas question de se limiter au rôle de tourneur et de mettre de côté l’aspect musical. 

Tu vas rapidement développer un très riche catalogue (Jimmy Johnson, Curtis Salgado, John Németh, Guy King…). Peux-tu nous expliquer comment tu choisis les artistes que tu accompagnes ? 

Pendant des années, j’ai observé, j’ai essayé de comprendre la manière dont le système fonctionnait sur scène et dehors de la scène. Mon idée avec Soul Shot a toujours été et continue d’être dans une démarche sincère et authentique, ce fameux esprit soulful du sud des États-Unis. Au-delà des aspects culinaires, cela renvoie à une attitude, un art de vivre, une philosophie de vie. Une personne comme Jimmy Johnson incarnait cela à merveille. Il y a dans cette démarche une éthique, une sincérité qui me touchent énormément. Je retrouve cela également chez des artistes comme Curtis Salgado, John Németh, Sam Taylor ou Alabama Mike. Je me dis toujours, “si j’ai le frisson, d’autres l’auront !”. L’idée est aussi de sortir des sentiers battus, de faire découvrir des artistes en gardant mon intégrité musicale. Je n’ai jamais accompagné un artiste pour lequel je n’avais pas de convictions. L’aspect humain est évidemment primordial et je cherche toujours, autant que possible, à me renseigner au préalable sur les artistes. Beaucoup de ces rencontres se sont également faites par recommandation. C’est le cas de Curtis Salgado que j’ai connu grâce à Mike Welch, par exemple. 

Justement, comment prépare-t-on une tournée avec des artistes de ce calibre ?

Soul Shot m’a donné un luxe immense, à savoir décider des musiciens avec lesquels j’allais jouer.  Si on met les bons ingrédients, ça roule tout seul ! Le moment déterminant reste malgré tout le premier contact avec les artistes, les premières notes. Et, pour cela, il y a un travail préparatoire absolument indispensable, il faut baigner dans l’univers musical des artistes en question. J’ai toujours essayé d’associer des personnes dont je savais qu’elles développeraient des affinités aussi bien sur scène que sur la route. Être musicien, ce n’est pas seulement faire de la bonne musique. Comme le disait Miles Davis, la musique représente 20 %, l’attitude 80 %. Et quand je parle d’attitude, c’est aussi bien sur scène qu’en dehors. Cela veut dire, communiquer, aider à charger et décharger le matériel, être à l’heure, être courtois, avoir le sens du show, l’attitude, etc. Au bout du compte, je dois m’assurer que les artistes sollicités sont satisfaits musicalement. Il y va de ma crédibilité et de celle des musiciens sollicités pour tourner !

© Pierre Lesueur

“J’ai toujours essayé d’associer des personnes dont je savais qu’elles développeraient des affinités aussi bien sur scène que sur la route.”

Fabrice Bessouat

Depuis deux ans, tu fais partie de l’aventure Lowland Brothers. 

Lowland Brothers est ma première expérience durable de groupe depuis mon passage dans Malted Milk il y a presque 15 ans ! Je connais Nico Duportal depuis longtemps. Nous avons jammé tellement de fois ensemble et accompagné des artistes tels que Sax Gordon, mais jamais nous n’avons été investis dans un projet commun. Le covid a accéléré les choses. L’expérience accumulée par chacun nous permet de développer notre propre musique avec la volonté ferme de ne pas être estampillés. Max Genouel (basse et chœurs) et Hugo Deviers (guitare, percussions et chœurs) qui sont plus jeunes que nous ont un rôle prépondérant dans cette démarche. Ils ne se posent pas de questions, ils nous bougent ! À titre personnel, ils m’ont permis de découvrir des univers musicaux que je ne connaissais pas, de m’ouvrir à de nouvelles influences, de nouvelles inspirations, de me remettre en question, ce qui est fondamental. Dans ce projet qui prend une belle tournure et qui est notre priorité absolue, nous apprenons tous les uns des autres avec beaucoup de motivation ! 

Faut-il donc s’attendre à un nouveau cap dans ta carrière ?

J’avais déjà dans l’idée de ralentir le booking avant mars 2020. Le contexte de la pandémie et, surtout, le développement du projet Lowland Brothers ont confirmé mes choix. Ponctuellement, je ne m’interdis pas de tourner avec des artistes avec lesquels j’ai pu développer des liens musicaux et humains forts comme Curtis Salgado, Sax Gordon mais cela ne doit pas entraver le projet Lowland Brothers. Un projet qui nous permet de sortir d’une certaine manière de l’imitation (je ne critique pas, il est sans aucun doute indispensable d’en passer par là), de développer notre propre identité. À titre personnel, je n’aurai jamais la prétention d’affirmer que je suis totalement légitime comme batteur de blues, à l’égal de ce que peut être un Kenny Smith, par exemple. Pour lui, jouer cette musique est comme une évidence : c’est culturel, il a côtoyé les plus grands, il a baigné dans ce son. C’est pour cela que je pense qu’il faut développer son propre son, avec du blues dedans, bien sûr, mettre de la sincérité dans tout ce que l’on fait. Avec Lowland, je suis face à cela et c’est très riche et très fort !

J’aspire à toujours progresser, découvrir, m’enrichir de nouvelles expériences. Je suis ainsi directeur artistique de deux festivals : l’un, itinérant, se déroulera à La Réunion en novembre 2022 et permettra la rencontre entre des artistes afro-américains et des musiciens réunionnais, l’autre se tiendra en Allemagne en 2023 et réunira des têtes d’affiche européennes qui gravitent dans la sphère des musiques afro-américaines. Ce qui me tient à cœur, également, c’est de transmettre, de préparer la nouvelle génération à ce métier : partager, donner de son temps, faire bouger les lignes, c’est mon leitmotiv pour les prochaines années. Je souhaite vraiment encourager les gens à être acteurs et pas simplement spectateurs. 

Propos recueillis par Nicolas Deshayes
Photo d’ouverture © Pierre Lesueur

soulshot.biz

Épisode 1 : Pascal Delmas

Épisode 2 : Denis Agenet