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Live reports / 04.05.2015

BAIN DE BLUES

Neuvième édition du festival dirigé par Patrick Lecacheur et une programmation toujours aussi intelligente. Le vendredi, c’est le groupe Rennais Funk Eleven qui ouvre la soirée sur la petite scène. Section à vent et rythmique fournies, chanteuse élégante, c’est un ensemble prometteur qui évoque James Brown, Sharon Jones et consorts, tout en faisant montre d’une vraie personnalité. On les retrouvera avec plaisir à chaque interscène. La grande scène est lancée par Lurrie Bell et Russ Green, en duo acoustique.
Le répertoire du disque acoustique « The Devil Ain’t Got No Music » ne sera pourtant que très peu abordé, Lurrie se concentrant une fois de plus sur des standards du Chicago blues électrique. Il le fait très bien, en particulier au chant où sa voix éraillée est porteuse de nombreux frissons, mais nous laisse un peu sur notre faim. Il n’offre pas d’autre choix aux cordes de sa guitare que de se plier aux exigences de son jeu puissant, saccadé, ne leur donnant de répit que quand Russ Green prend le lead, avec des solos au classicisme reposant.

Lurrie Bell et Russ Green © Jacques Périn
 

Loretta and the Bad Kings leur succèdent et emportent facilement le morceau avec un show dynamique, mélange de blues, country, rock and roll, porté par la truculente Loretta. Excellente chanteuse et harmoniciste de plus en plus crédible, elle est soutenue par Anthony Stelmaszack à la guitare, incroyable de bon goût, le solide Mig Toquereau à la basse, et au chant pour des chœurs de rogomme, et Andy Martin à la batterie, au jeu sobre et efficace.

Loretta et Anthony Stelmaszack © Jacques Périn
 

Loretta chante et braille à la fois, avec un enthousiasme et une présence scénique entraînants, au service d’un répertoire mélangeant reprises de choix, leur Shake a hand est toujours un moment fort, et originaux bien écrits comme Who’s the rocket man. Une impression de progrès à chaque fois qu’on les voit.

Loretta et Mig Toquereau © Jacques Périn
 

On a beau être les French Blues all Stars, il faut être bon pour succéder aux Bad Kings. Youssef Remadna, vcl & hca, Anthony Stelmaszack, qui a juste eu le temps de se changer, g & vcl, Stan Noubard Pacha, g, Thibaut Chopin, bs, hca, vcl, et Simon Boyer, dm, vont l’être. Feeling, son, répertoire, ils maîtrisent leur blues, c’est sur cette force que repose leur set.

French Blues All Stars : Youssef Remadna et Stan Noubard Pacha © Jacques Périn
 

Le format All Stars requiert des changements de leaders, de Youssef à Anthony, d’Anthony à Stan (qui ne chante pas), de Stan à Thibaut (qui laisse la basse à Anthony, Youssef prenant la guitare), qui font un peu retomber la tension, mais la qualité demeure. Russ Green est invité à l’harmonica amplifié, aussi classique qu’en acoustique, et le temps passe agréablement, porté par le swing de Simon Boyer.

Stan, Youssef, Russ Green et Simon Boyer © Jacques Périn

French Blues All Stars : Anthony Stelmaszack et Thibaut Chopin © Jacques Périn
 

L’américain Chris Bergson clôt la soirée. Annoncé avec saxophone et claviers, c’est en trio qu’il se présente, avec Pat Machenaud à la batterie et Philippe Dandrimont à la basse, pour un set de country rock musclé, parfois bluesy, qu’il chante et joue honnêtement, avec une belle énergie.

Chris Bergson © Jacques Périn
 

Le samedi démarre avec Full Tags, formation dédiée au funk doux, emmenée par la chanteuse Marysa Pinto. Le public, rapidement nombreux et rempli de connaissances, génèrera tant de rencontres qu’il sera difficile de porter au groupe toute l’attention qu’il mérite. Jimmy et Elmore Jazz, au format Honeymen ouvrent la grande scène et frappent fort d’entrée. Connaissance du blues, maîtrise du son, présence scénique, répertoire, ils font monter la pression sans peine et le public ne s’y trompe pas. Jimmy chante, joue de la guitare, sans un seul solo, et martèle le rythme sur sa batterie aux pieds.

Honeymen : Jimmy Jazz © Christophe Mourot
 

Elmore aligne les interventions brillantes à l’harmonica et prend le lead au chant sur quelques titres. Chicago, Detroit, swamp, les régions et leur blues défilent, dans une unité que seul le grand talent permet.

Honeymen : Elmore Jazz © Christophe Mourot
 

T.Bo and the B.Boppers investissent la scène ensuite. Thibault Ripault, g & vcl, Abdell Bouyousfi, bs, qui poussera son fameux cri, Sylvain Tejerizo, sax, Bastien Cabezon, dm et Wazae JP Cardot, p, vont emballer le public avec un set dansant de rhythm and blues, rock and roll et country, dans un ensemble soudé, ce qui n’empêche pas Thibault de prendre toute sa place de leader.

T-Bo et Abdell "B.Bop" Bouyousfi © Christophe Mourot
 

Bon chanteur, très bon guitariste, marqué par Johnny Guitar Watson, il est élégant sur scène et sait doser les tensions et les détentes comme sur le très beau titre lent Love my babe avec un magnifique solo. La gent féminine s’intensifie au pied de la scène.

T-Bo et Wazae JP Cardot © Jacques Périn
 

La proportion masculine va reprendre de l’importance à l’arrivée de Kyla Brox, chanteuse anglaise, et son groupe. Peu connue en France, elle va le devenir tant son passage fut de qualité.

Kyla Brox © Jacques Périn
 

Avec elle, c’est Etta James, Koko Taylor, Janis Joplin qui sont convoquées sur scène, qu’elle unifie dans son propre style, d’une voix qui peut caresser comme s’emballer, portée par une grâce physique très plaisante, et agrémentée d’interventions à la flûte traversière. Danny Blomeley à la basse, Paul Farr à la guitare, Tony Marshall aux saxophones et Phil Considine à la batterie, fournissent un soutien solide, rock, blues, funky, et on se demande jusqu’où cette soirée va nous entraîner.

Kyla Brox © Christophe Mourot
 

C’est Selwyn Birchwood et son band qui donnent la réponse : loin, très loin. Le jeune floridien va tenir toutes les promesses qu’on lui attribue depuis quelques mois. Avec Regi Oliver au sax baryton, doublé d’une extraordinaire série de pédales d’effet qui lui permettent de recréer une section de cuivres complète, Donald Huff Wright à la basse, au look de gentil voyou, et le massif Courtney Girlie à la batterie, Selwyn va nous embarquer dans un set renversant, où l’alchimie avec le lieu et le public, déjà palpable auparavant, va achever de s’accomplir. Sans esbroufe mais avec entrain et efficacité, Selwyn revisite son récent disque, et se livre généreusement, avec le sourire, galvanisé par un public en fusion. Il invite même Lurrie Bell à venir interpréter un Tin Pan alley au chant et à la guitare électrique. Lurrie est comme par hasard meilleur que le soir précédent mais pas plus partageur puisqu’il ne donnera pas de solo à Selwyn !

Regi Oliver et Selwyn Birchwood © Jacques Périn

Donald Huff Wright © Christophe Mourot

Courtney Girlie © Christophe Mourot
 

Ce dernier en casse une corde et on croit alors qu’il demande à Regi Oliver d’occuper la scène pendant qu’il va faire réparer ça. Mais il ressurgit au fond de la salle, jouant de plus belle, tout de suite rejoint par Regi Oliver qui saute directement dans la foule. S’ensuivent dix minutes de folie où le public tangue, hurle, applaudit, rugit de plaisir, jusqu’à ce que les deux compères remontent sur scène. Selwyn pose ensuite sa guitare pour prendre une lap steel et enchainer sur Hoodoo stew. Ce devait être le dernier morceau mais ni le public ni Selwyn ne voudront en rester là et le groupe revient encore pour un titre endiablé. Saluts, selfies des musiciens avec le public, des sourires jusqu’aux oreilles, le concert aura beau être vraiment terminé, on aura du mal à quitter l’endroit.

Lurrie Bell invité par Selwyn Birchwood © Jacques Périn

Selwyn Birchwood © Jacques Périn

Saluons la qualité de la programmation, l’organisation, la disponibilité des bénévoles, la disposition des lieux, et prenons rendez-vous pour la dixième édition en 2016.

Christophe Mourot

 

PS : Ce sont les promesses de l'affiche qui m'ont incité à aller prendre ce Bain de Blues printanier en Bretagne. Dire que ces promesses ont été tenues serait un euphémisme. Au plaisir toujours renouvelé de voir la crème de la scène blues hexagonale – et d'être épaté par sa maturité, son érudition et sa classe – s'ajoutait celui de découvrir de nouveaux visages qui se sont souvent révélés être aussi de nouveaux talents. Je pense à Kyla Brox, fille du bluesman anglais Victor Brox, à la voix et au tempérament bien trempés. Et, plus encore à Selwyn Birchwood qui a confirmé les qualités repérées sur son album Alligator. D'un naturel extraverti, il communique son plaisir de jouer le blues et le fait partager. C'est un musicien d'un charisme irrésistible, impeccablement accompagné, qui sait faire le show sans s'y perdre.
Bain de Blues est maintenant bien installé sur la carte des festivals de blues, la présence d'aficionados – le microcosme ! – souvent venus de loin est un signe qui ne trompe pas.

Jacques Périn