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Brèves / 18.09.2011

Willie « Big Eyes » Smith éteint la lumière

Calvin « Fuzz » Jones le 9 août 2010, Pinetop Perkins le 21 mars 2011, Willie « Big Eyes » Smith avant-hier : en un an, le blues de Chicago a perdu trois artistes fondamentaux. Smith est donc décédé le 16 septembre au matin à Chicago, d’une attaque cardiaque inattendue même si le musicien avait connu de récents soucis de santé, qui ne l’empêchaient d’ailleurs pas de continuer à se produire. Il avait 75 ans. Né le 19 janvier 1936 à Helena (Arkansas), il est élevé par ses grands-parents. Il découvre le blues par les disques mais surtout en écoutant des émissions de la fameuse station KFFA, sa famille connaissant justement des intervenants réguliers de cette radio comme Robert Nighthawk et Pinetop Perkins. En 1953, à 17 ans, Wlllie rend visite à sa mère à Chicago, qui l’emmène voir Muddy Waters. Il décide de s’installer dans la Windy City, apprend à jouer de l’harmonica et de la batterie, et forme en 1954 un trio avec Bobby Lee Burns (guitare) et Clifton James (un autre grand batteur), dans lequel il chante et joue de l’harmonica. Malgré son jeune âge et son manque d’expérience, il se fait vite connaître et apparaît à l’harmonica sur des faces d’Arthur « Big Boy » Spires (Dark and stormy night et Moody this morning, probablement en décembre 1954) et de Bo Diddley (dont Diddy wah Diddy en novembre 1955). À partir de 1957, au sein du Little Hudson’s Red Devil Trio, il privilégie la batterie, ce qui lui vaut d’être remarqué par Muddy Waters qui l’engage en 1959, notamment aux côtés de Mojo Buford, Luther Tucker, Pat Hare et Otis Spann. Mais Willie se retire en 1964, travaillant dans un restaurant et comme chauffeur de taxi. En 1968, il retrouve toutefois l’envie et Muddy, avec lequel il reste jusqu’en 1980. La même année, il forme le Legendary Blues Band avec d’anciens musiciens de Muddy, dont le pianiste Pinetop Perkins et le bassiste Calvin Jones. Smith et Jones forment alors une des sections rythmiques les plus excitantes du Chicago Blues, pleine de shuffle, inventive et instinctive. Et c’est surtout l’instinct qui caractérise Willie Smith, qui figure parmi les batteurs les plus fascinants à regarder sur scène, et tout simplement parmi les meilleurs du blues moderne. Son fils Kenny, également batteur, a d’ailleurs parfaitement hérité de son style brillant. Après sept albums et des tournées à succès (Bob Dylan, Rolling Stones, Eric Clapton…), Willie quitte le Legendary Blues Band en 1993 et grave son premier disque sous son nom en 1995, « Bag Full Of Blues ». Six autres suivront, sur lesquels il donne la priorité à l’harmonica et au chant, domaines dans lesquels sa voix expressive et son jeu roots le rendent également très crédible. Avec son dernier CD, « Joined At The Hip », enregistré en 2010 avec Pinetop Perkins (96 ans !), il obtient la consécration sous la forme du Blues Music Award du meilleur album de blues traditionnel. Et pour donner une idée de son importance, rappelons simplement qu’il a été désigné meilleur batteur aux Blues Music Awards douze fois sur quatorze possibles entre 1996 et 2009. Les grands yeux de Willie Smith, qui ressortaient encore plus dans son visage aux pommettes saillantes barré d’un perpétuel sourire, se sont donc fermés. Un peu comme si on éteignait la lumière sur le blues de Chicago.

Daniel Léon